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Procès d’un des choristes du marché d’Argentat-sur-Dordogne – 1er juin 2021

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Le premier juin 2021 comparaissait, au tribunal judiciaire de Tulle un homme interpellé le 26 novembre 2020 sur le marché d’Argentat-sur-Dordogne, quelques heures après qu’un groupe de personnes ait chanté en chœur dans les allées du marché.

Résumé

Le prévenu (au casier judiciaire vierge) est condamné à 6 mois de prison avec sursis pour les délits de port d’arme (un opinel), d’outrage, de rébellion. Il est condamné en plus à 3 mois de prison avec sursis pour refus de prélèvement d’ADN. Il est relaxé du délit de violence sur gendarme. Il est condamné à verser 1500 euros de dommages et intérêts au titre de préjudice moral à trois gendarmes plaignants.
Il est condamné à 3 amendes de 135 euros pour non-port du masque, absence d’attestation et participation à un rassemblement interdit.

La condamnation est particulièrement sévère compte tenu des faits. Les éléments de la défense suivants ont été totalement ignorés :

  • Le procès verbal des gendarmes stipule clairement que le prévenu a été ciblé pour ses intentions, ses engagements politiques et son rôle supposé de meneur dans des contestations locales. Les gendarmes lui prêtent le qualificatif de « gilet jaune » et affirment à tort qu’il est défavorablement connu de la justice. Ces considérations d’ordre idéologique n’ont rien a voir avec les faits et ne doivent pas intervenir dans un jugement.
  • Le refus de prélèvement d’ADN n’est pas qualifié car le seul délit justifiant le prélèvement est celui de « violence sur gendarme ». Or ce délit a été notifié au prévenu en cours de garde à vue, quelques heures après la tentative de prélèvement et le refus.

Compte-tenu de ces faits, le prévenu fait appel du jugement. Il sera jugé de nouveau.

Une caisse juridique est créée pour participer aux éventuels frais de défense de ces procès. Il s’agit aussi et surtout d’anticiper le fait que d’autres procès politiques suivront vraisemblablement, puisque les lois scélérates passées ces derniers mois décomplexent les institutions policières et judiciaires à poursuivre des individus sur la base de leurs opinions. Il est vital d’anticiper cet état de fait et de s’organiser dès à présent.

Les contributions financières à la caisse juridique et les courriers peuvent être envoyés à l’adresse suivante :

Association l’Esprit en Balançoire
Aussoleil
19320 Saint Martin la Méanne

Récit détaillé

Un rassemblement de soutien devant le Tribunal

Une grosse vingtaine de personnes est venue témoigner son soutien au prévenu. La musique et les chants libertaires ont mis du baume au cœur des personnes présentes. Merci à elles !

Rassemblement devant le tribunal de Tulle. Image : France 3 Corrèze, 01/06/21Image : FR3 Corrèze 01/06/21

Début des audiences : une mise en bouche

Plusieurs dossiers sont prévus lors de la même audience, qui débute à 13h30. Elle est censée être publique. Alors qu’il reste de nombreux sièges vacants dans la salle, seuls deux proches sont autorisés à entrer, les autres personnes sont refoulées.

Le chanteur passera en second. On débute par le procès d’un détenu contre l’Administration Pénitentiaire (l’AP) de la prison d’Uzerche. Il a 23 ans, dont 3 en détention. Son parcours judiciaire débute à 15 ans et se poursuit avec une longue série de vols. Il est libérable en octobre. L’AP le poursuit en justice pour avoir mis le feu au matelas de sa cellule et cassé le téléviseur à deux reprises. Il y en a pour 600 euros de dommages matériels.

Le détenu se plaint de violences et de viol de la part des matons, de coupures d’eau et d’électricité dans sa cellule, de séjours répétés au mitard. Il fait valoir ce contexte particulier à la juge : « Vous n’êtes pas sans savoir, Madame, qu’il y a deux enquêtes en cours à la prison d’Uzerche sur des violences de la part des surveillants ». Au dernier incendie de sa cellule, il avait avalé des lames de rasoir. Il est retrouvé inconscient aux côtés de son matelas en flammes, vomissant du sang.

La juge, Mme CLERC, le prend évidemment de haut, elle dit qu’elle n’est pas là pour parler des abus qu’il évoque, mais plutôt du téléviseur et du matelas de l’AP. Elle prétend qu’il ment, car selon le directeur de la taule, une coupure d’eau ou d’électricité affecterait l’ensemble de l’établissement. Le détenu informe la juge que, dans chaque prison de France, chaque cellule a un robinet et un disjoncteur individuel. On voudrait suggérer à la juge d’aller y faire un tour... La juge s’étend sur son irresponsabilité et son impulsivité : il aurait pu blesser des matons en mettant le feu à sa cellule ! Elle le met en garde « A la prochaine (tentative de suicide) , il se pourrait qu’il y arrive ! »

Et hop, 6 mois ferme de plus ! Ce qui lui laissera peut être le temps de crever en taule.
Les criminels ne sont pas ceux que l’ont croit.

Tous égaux devant la justice ? Tous égaux devant la justice ?

L’audition du prévenu

Après avoir dévoré un jeune prisonnier, les magistrats sont chauds, ils enchaînent avec le cas du chanteur libertaire. Les trois gendarmes qui ont porté plainte pour violence, outrage et rébellion sont représentés par une avocate. La procureure est l’enragée qui avait réclamé la comparution immédiate et la détention provisoire (en vain) au terme de la garde a vue (GAV) du prévenu.

Celui-ci est auditionné sur les faits. N’appartenant pas a priori à un groupe social stigmatisé par la police et la justice, il donne un peu de fil à retordre aux magistrats. Un opinel dans la poche à midi un jour de marché, pratique pour pique niquer, pas de quoi qualifier un port d’arme illégitime. La juge cherche à qualifier la violence et la rébellion. Les faits et gestes du prévenu lors de l’interpellation sont disséqués. Elle finit par se perdre seule dans une comparaison douteuse avec le meurtre de George Floyd aux USA. Le prévenu ne reconnaît aucun des chefs d’inculpation, sauf le refus de prélèvement ADN, qui semble illégal car, à l’entrée en GAV, aucun des délits qui lui ont été notifié rendent ce prélèvement obligatoire. Le délit de violence sur gendarme lui sera notifié quelques heures plus tard, pour régulariser tout ça.

Elle se prend les pieds dans le tapis des déclarations du prévenu, montées en épingle.

J - Vous avez refusé le prélèvement ADN.
P – Oui.
J – Vous avez déclaré que «  Le projet de fichage génétique de la population est un projet fasciste. Mon ADN ne m’appartient pas, c’est celui-de ma lignée (...) », c’est profond ça.
P – C’est ce que je pense.
J – Vous savez que la loi prévoit cela pour des faits graves ?
P – Justement, vous parlez de faits graves !

Comme tout cela est un peu risible et qu’il n’y a pas grand chose dans le dossier, elle insistera sur le fait que le prévenu n’a souhaité répondre à aucune question des enquêteurs sur sa vie privée, ni à l’enquête sociale, peut être pour suggérer qu’une telle stratégie relève forcément d’un coupable ?

L’audition des témoins

Trois témoins ayant assisté à l’interpellation sont cités à comparaître. Tous trois affirmeront que les gendarmes ont utilisé un effet de surprise pour interpeller et contraindre le prévenu à terre. Tous affirmeront qu’il n’y a eu ni violence, ni injures de sa part. La juge tente de les discréditer en appuyant sur des contradictions flagrantes entre leurs déclarations : « L’un des témoins a dit qu’au moment de l’interpellation, le prévenu buvait un café, alors que l’autre a parlé d’une bière ! ». La juge cuisinera ensuite longuement un témoin qui explique avoir pris des photos de la scène « au cas où ça dégénérerait ». En effet, la Loi sécurité globale étant dans l’ère du temps, prendre des photos des fonctionnaires est forcément suspect pour la juge.

La réquisition de la procureure

La procureure parle du mal-être des forces de répression dans le pays. Quelques milliers de flics manifestent devant l’Assemblée Nationale, il est important que les magistrats en tiennent compte ! Si les magistrats en faisaient autant à chaque fois que mille personnes manifestent dans le pays...
A propos des pauvres gendarmes, la procureure explique qu’eux n’ont pas le droit de se syndiquer, de s’exprimer, mais qu’eux aussi sont malheureux... Et puis la pièce de théâtre devient burlesque. Pour la procureure, une des gendarmes plaignantes, qui prétend avoir reçu des coups, la « petite Marie C. », qu’elle connaît personnellement (sic) est une très jeune gendarmette fraîchement sortie de l’école de gendarmerie de Tulle, qui a subi un énorme traumatisme a cette occasion.... Pleurez dans les chaumières. L’avocat de la défense dira plus tard que c’est la première fois qu’il lit un certificat médical de gendarme plaignant sur lequel le médecin écrit « Aucun traumatisme visible... ».

Manifestement échaudée par les regards ironiques dans la salle, la procureure se tourne vers le prévenu « il serait temps que vous fassiez profil bas ! ». C’est donc cela qui se joue dans un procès : soumettre les prévenus à l’autorité de l’institution.

La procureure demande 8 mois de prison avec sursis probatoire et 3 mois pour l’ADN.

La plaidoirie de l’avocate des parties civiles

Elle n’est pas originale, elle demande des cadeaux pour les gendarmes, 1500 euros de dommages et intérêts pour « la petite Marie » et 1000 euros pour chacun des deux autres pandores.

La plaidoirie de l’avocat de la défense

L’avocat de la défense, Maître Armand, demande la relaxe complète. Il décrit le procès dans son ensemble comme un procès politique, dans lequel les engagements idéologique, les références au passé militant du prévenu occupent une place centrale, le prévenu n’étant pas traité comme un prévenu de droit commun. Il affirme que ces considérations n’ont pas leur place dans un procès pénal. Il s’étonne par ailleurs du dispositif militaire mobilisé depuis Brive pour un trouble à l’ordre public à peine qualifiable, et demande ce qui a bien pu motiver un tel déploiement de force.

A propos du prélèvement d’ADN, il soulève un vice de procédure qui justifie pour lui la nullité : le prévenu n’est pas entré en GAV pour le délit de violence sur gendarme, or seul ce délit rend le prélèvement d’ADN obligatoire. Le prévenu était donc en droit de refuser.

Le délibéré et le jugement

Au tribunal, la cadence est folle. Il est 17h30, il y a encore un dossier à traiter. Le juré se retire pour délibérer. Les juges balaient d’un revers de la main les points soulevés par la défense. La condamnation est sévère :

Le prévenu (au casier judiciaire vierge) est condamné pour les délits de port d’arme (un opinel), d’outrage, de rébellion. 6 mois de prison avec sursis. Il est condamné en plus à 3 mois de prison avec sursis pour refus de prélèvement d’ADN. Il est relaxé du délit de violence sur gendarme.
Il est condamné à verser 1500 euros de dommages et intérêts au titre de préjudice moral à trois gendarmes plaignants. Il est condamné à 3 amendes de 135 euros pour non-port du masque, absence d’attestation et participation à un rassemblement interdit.

Le jugement ne surprend pas tout le monde. Il s’agit de taper fort pour intimider ou terroriser. Il est totalement en phase avec le contexte du moment, à la fois à l’échelle nationale et locale.

Le prévenu fait appel du jugement. Il sera jugé de nouveau.

Une caisse juridique est créée pour participer aux éventuels frais de défense de ces procès. Il s’agit aussi et surtout d’anticiper le fait que d’autres procès politiques suivront vraisemblablement, puisque les lois scélérates passées ces derniers mois décomplexent les institutions policières et judiciaires à poursuivre des individus sur la base de leurs opinions. Il est vital d’anticiper cet état de fait et de s’organiser dès à présent.

Les contributions financières à la caisse juridique et les courriers peuvent être envoyés à l’adresse suivante :

Association l’Esprit en Balançoire
Aussoleil
19320 Saint Martin la Méanne

Le contexte politique national et local de l’affaire

Cette péripétie, en apparence absurde (en procès pénal pour avoir chanté sur un marché...) se comprend mieux en analysant le contexte politique dans lequel nous nous débattons. En bref :

Une offensive contre la population en France

En novembre 2020, le peuple français est soumis de nouveau à d’importantes restrictions de libertés publiques dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et d’un second confinement. Pendant ce temps là, le gouvernement œuvre pour faire passer des lois scélérates et liberticides, et combat un mouvement social qui s’est mis en branle pour défendre nos libertés publiques (les « Marches des Libertés »).

La « Loi sécurité globale », que le gouvernement a cru bon de requalifier « Loi sécurité globale préservant les libertés », légalise une surveillance étendue et répond à des revendications politiques émanant de l’extrême droite et de syndicats de police.

Elle prévoit l’usage de drones et de la reconnaissance faciale pour la surveillance et le maintien de l’ordre, elle donne un pouvoir d’auxiliaire de police à des agents de sécurité privée. Elle réduit drastiquement les possibilités de remise de peines pour les détenus condamnés pour des délits de « violence sur personne dépositaires de l’autorité publique ». Elle protège la police contre la population, pour satisfaire aux revendications corporatistes des flics (fichage des achats d’engins pyrotechniques, punition de l’usage d’informations permettant d’identifier des flics, etc).

La « Loi séparatisme » s’attaque aux libertés d’association. Elle fournit des outils à l’État pour contrôler et entraver l’action des associations (dissolution, perte d’agréments, de subventions et d’emplois aidés), en particulier des associations ayant des objets politiques, revendicatifs ou militants.

Des décrets pour le fichage généralisé des militant-e-s politiques. Depuis une dizaine d’années, des fichiers de renseignement (le PASP et le GISASP) renferment des informations sur les activités politiques et les positionnements idéologiques d’individus. Les nouveaux décrets permettent d’étendre considérablement les informations recueillies :

• Fichage automatisé à partir des données de vidéo-surveillance/reconnaissance faciale, d’utilisation d’internet, des réseaux sociaux, etc
• Collecte d’informations sur les habitudes et les modes de vie
• Collecte d’informations sur les opinions politiques et sur la santé, non plus sur les activités seules.
• Fichage de l’entourage des personnes fichées.

Un contexte répressif à Argentat

Depuis une quinzaine de mois, plusieurs personnes constatent une surveillance lourde et renforcée à leur encontre : lignes téléphoniques sur écoute, comptes bancaires contrôlés, véhicules pistés par GPS, gendarmes en poste de guet à quelques centaines de mètres des domiciles, contrôles routiers répétés dans des impasses menant aux habitations, survols d’hélicoptères... Les gendarmes sont parfois trop bavards « Ce ne sera pas comme à Tarnac ici » déclare l’un deux à l’occasion d’un contrôle d’attestation de déplacement valide. Les consignes viennent donc sans doute de la préfecture, de la DGSI, pas de la caserne du coin.

A la veille du second confinement, un groupe d’habitantes et d’habitants organise une soupe sur la place publique et une déambulation à Argentat, histoire de passer un bon moment avant l’obscurité. A la fin de la soirée, passée sans aucune forme de trouble, de problème quelconque, des militaires du PSIG de Brive la Gaillarde (Peloton de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie) font irruption pour intimider et menacer les personnes présumées être à l’origine de la petite fête. Faire venir des troupes d’intervention depuis Brive (50km) pour mettre la pression suite à un repas de quartier... Etrange... ?

Durant cette période, une autre forme de répression se met en marche, pour cibler une population particulière. Des contrôles routiers zélés et systématiques ont lieu en dehors des « heures de bureau » aux différentes sorties d’Argentat. Ça fait du chiffre. Selon nos comptages, une cinquantaine de permis de conduire sont suspendus...

Aujourd’hui, l’orage semble passer en apparence. Le maire a semble-t-il été pris à parti par de nombreux quidam qui se plaignaient de l’attitude des gendarmes. La campagne électorale en cours l’a peut être incité à leur demander une plus grande discrétion.

Cependant, nous savons que la société de surveillance est belle et bien là. Communiquer, nous informer, construire une solidarité locale, au quotidien, sont autant de choses que nous pouvons faire concrètement pour nous protéger.



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