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Affaire du 15 juin : un an déjà

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Pour marquer « l’anniversaire » des arrestations du 15 juin 2021, deux des mis.e.s en examen ont pris la parole pour dénoncer leur situation : un contrôle judiciaire qui, depuis un an, les empêche de vivre leur relation amoureuse.

Le 15 juin 2021, les forces de répression intervenaient « avec les moyens de l’antiterrorisme » dans six lieux différents de Haute-Vienne et Creuse pour une affaire qui ne relève ni de près ni de loin du terrorisme. Une quinzaine de personnes subissait braquage à main armée, perquisitions et/ou interrogatoires de la part de dizaines de flics suréquipés (parmi lesquels la SDAT, sous-direction de l’antiterrorisme, et le PSIG, peloton spécial d’intervention de la gendarmerie). Police et medias expliquaient cette intervention par une enquête sur des sabotages par incendie réalisés en 2020 et 2021, à Limoges contre le compteur Linky et aux Cars contre le déploiement de la 5G. Il s’avérait rapidement que des motivations bien plus politiques étaient en jeu, et notamment l’opportunité pour la police politique d’interroger et/ou de mettre sous pression à cette occasion plusieurs dizaines de personnes et de collectifs. Cette histoire en rappelle tellement d’autres !

Depuis un an, le comité de soutien aux inculpé·e·s du 15 juin a eu l’occasion de rencontrer de nombreuses personnes inquiétées dans des circonstances similaires.

Violence des arrestations, violence des intrusions dans la vie privée, violence de la détention, violence des stigmatisations publiques, violence de la machine judiciaire. Six personnes placées en garde à vue, interrogées sur leurs opinions et leurs amitiés bien plus que sur leur éventuelle participation aux sabotages. Trois mises en examen pour « association de malfaiteurs », dont deux également pour « destruction de bien en bande organisée ». Des effets personnels saisis, des vies bouleversées, des contrôles judiciaires qui durent encore aujourd’hui…

Depuis un an, ces trois personnes sont punies avant tout procès en étant soumises à des contrôles judiciaires stricts qui les empêchent de mener une vie normale, voire entrave leur relation amoureuse.

Le 15 juin
Le 15 juin c’était il y a un an, c’était hier, c’était une autre vie.
Un an d’attente, un an de vide, un an de privation.
Le 15 juin au petit matin ici et là-bas. 6H00.
Ici et là-bas des individus armés, cagoulés, débarquent armes au poing dans ma chambre, mon intimité, en hurlant. Il y en a partout. Ils vont et viennent et se parlent. Je regarde la scène de l’extérieur. Ce n’est pas moi. Je suis au théâtre, dans une série TV. Je suis littéralement abasourdie. Je me sens dédoublée : il y a moi concernée, menottée tout le temps de la perquisition et du trajet jusqu’au commissariat à Limoges. Et il y a un autre moi qui contemple la scène.
En garde à vue, au bout d’un moment je m’aperçois avec effarement que je ne suis pas seule : une amie est là dans une autre cellule.
Pas juste une amie. Mon amie. Si proche et inaccessible. Pendant toute la durée de la garde à vue je l’aperçois. Réconfort et torture. Ils l’ont également arrêtée. Sur la même affaire.
Pourquoi ? Pourquoi : comme moyen de pression, chantage affectif. Ils ont arrêté des personnes de mon entourage plus ou moins proche. Ils m’ont mis au centre de leur toile et ont ratissé autour de moi.
Après la garde à vue c’est le passage devant la juge qui demande la mise en détention, puis le juge des libertés qui, contre toute attente, me remet en liberté sous contrôle judiciaire. Ouf ! Mais je me retrouve enfermée en liberté.
Suite à l’appel du procureur je ne peux plus sortir du département et Marie-Claire non plus, du sien. En plus de cela elle ne peut pas me « fréquenter ». Aujourd’hui moi non plus. Il y a une frontière entre nous, un mur.
Ainsi cela fait un an que deux personnes qui s’aiment, qui forment un couple, ne peuvent plus avoir aucun rapport. On est « juste » mises en examen. On n’est ni jugé ni coupable mais on effectue déjà une peine. Et celle-ci, quel que soit le résultat des courses, ne sera jamais remboursée. On n’a volé personne mais on nous vole notre vie.
Dans le droit français, les personnes mises en examen sont présumées innocentes, mais dans les faits on est déjà coupables. Enfermées en liberté.
La juge s’enferre dans une position : tant qu’elle ne nous aura pas entendues elle ne changera pas le contrôle judiciaire. Mais en un an rien n’a été fait. Elle nous reproche notre proximité, nos connivences mais n’est-ce pas le cas de tous les couples d’amoureux ? Est-ce que c’est parce qu’on n’est pas un couple dans la norme ? Norme hétéro, norme familiale avec un toit unique. Un seul type de famille possible : un papa, une maman, un enfant, une maison, et un chien ?
Et tout le reste n’existerait pas ?! Toutes les possibilités des relations humaines, non binaires, n’ont pas voix au chapitre. Notre amour ne serait pas valable parce qu’hors norme ? Homosexuel, non officiel ? Pas dans les clous de notre magistrate apparemment. Elle nous dénie le droit d’exister, le droit de vivre.

Anne, mise en examen.

Bonjour, je suis Marie-Claire, une des mises en examen dans l’affaire du 15 juin. Je vais vous lire un texte pour essayer d’expliquer la situation dans laquelle je me trouve actuellement.
Quand la main de l’état pèse de tout son poids sur la nuque, essayant de faire courber l’échine, on ne peut plus parler d’état de droit ou de démocratie exemplaire. J’ai été arrêtée le 15 juin 2021 au petit matin, menottée, terrorisée, perquisitionnée, enfermée pendant 4 jours, interrogée, mise en examen et placée sous contrôle judiciaire pour avoir ... fréquenté Anne ! Je suis cas contact d’un cas suspect pour eux donc suspecte aussi. Comme ils disent, on partage de nombreuses idéologies écologistes en lien avec la protection de la nature et notamment de la forêt limousine. En plus, on chantait dans une chorale militante, ouh ! là ! là ! Le profil inquiétant ! Et puis surtout, je fais partie de la mise en scène pour effrayer, faire pression sur tous les réseaux écolos de gauche et ça tombe bien, en plus, j’habite sur le plateau de Millevaches ! J’ai passé 6 mois sans pouvoir quitter la Creuse alors que j’habite au croisement de 3 départements. Aujourd’hui encore, je n’ai pas le droit d’aller en Haute-Vienne. On m’interdit de « participer à une manifestation revendicative, à caractère politique ou social, qui se déroule sur la voie publique », on écrit des menaces sur de possibles autres arrestations et mises en examen de personnes gravitant dans mon entourage ! Mais de quel droit, avec quels arguments ? Comment peut-on enfermer, restreindre la liberté de penser, de s’exprimer, de se mouvoir ou de fréquenter ses amies sur de simples intuitions policières ? On terrorise les personnes qui dérangent parce qu’elles osent remettre en question les orientations d’un état et du capitalisme fous qui massacrent tout, qu’elles osent réfléchir autrement et s’exprimer publiquement parce qu’elles croyaient encore avoir le droit de s’exprimer. La présomption d’innocence n’est pas pour tout le monde apparemment. Ma hiérarchie m’a suspendue de mes fonctions de directrice d’école 6 jours avant les vacances scolaires et ma retraite. Tout est permis pour faire taire et les gros moyens sont déployés ... après la justice démêlera tout ça. Ah ! Oui ! Mais là, des moyens, il n’y en a plus, plus assez de monde pour lire les 10 000 pages d’un dossier pourtant assez vide. Alors, il faut attendre et en attendant on paye ! Depuis un an, je n’ai pas pu revoir Anne mise en examen elle aussi. Comment peut-on justifier de séparer deux personnes qui s’aiment, briser leur vie pendant des mois, des années peut-être sans même leur permettre de s’expliquer sur les faits qui leur sont reprochés ? Depuis un an la justice n’a pas eu le temps de nous entendre mais elle continue à nous broyer en silence. Notre relation amoureuse n’est sans doute pas conforme au modèle de la famille nucléaire hétéronormée et peut-être paie-t-on pour ça aussi, en 2022, en France, comme beaucoup de personnes qui pensent et vivent différemment de la norme dominante. Nous sommes des victimes parmi tant d’autres de cette machine à élaguer tout ce qui dépasse. Cette souffrance qui nous est infligée depuis un an maintenant, nous avons décidé de la rendre publique parce que cette situation n’est plus tenable pour nous. C’est notre intimité que l’on jette en pâture parce qu’on n’a plus le choix, parce qu’on nous la refuse. Nous sommes actuellement dans l’attente d’une èniemme décision en appel pour que cesse ce contrôle judiciaire cruel et arbitraire qui n’a que trop duré déjà. Violences d’état, négation du droit à une vie intime, voilà ce que nous vivons depuis un an ! Je profite de cette tribune pour remercier chaleureusement toutes les personnes qui nous soutiennent dans cette situation assez incroyable et pourtant tellement banale, toute cette humanité qui nous permet de tenir et d’espérer encore. Merci !

Le 15 juin 2021, ce ne sont pas seulement des arrestations qui ont eu lieu, c’est aussi un couple homosexuel qui s’est trouvé déchiré. Cette relation qui existait entre Anne et Marie-Claire est largement documentée dans le récit policier, et cela comme un élément « à charge » pour appuyer leur complicité soi-disant inévitable dans les faits qui leur sont reprochés. Depuis ce moment-là, ce couple est frappé de l’interdiction de se fréquenter sans aucune raison qui soit en lien avec les faits reprochés. Nous demandons que cette pression psychologique, teintée d’homophobie, cesse immédiatement. La juge refuse aujourd’hui de prendre au sérieux cette relation, alors que dans le dossier, elle est le principal fondement de l’arrestation de Marie-Claire. Cette mascarade doit cesser. Nous attendons donc que leur énième appel soit enfin entendu.

C’est pourquoi nous donnons rendez-vous jeudi 23 juin à 8 h 30 devant le palais de justice
– place d’Aine - Limoges.

Le comité de soutien aux inculpé.es du 15 juin.

« Comment peut-on justifier de séparer deux personnes qui s’aiment ? » :