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Campus Condorcet : 28 étudiants placés en garde à vue pour avoir occupé un bâtiment

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Au bout de la ligne 12 du métro parisien se dresse l’hideux Campus Condorcet, construit en quelques mois seulement à la Plaine Saint-Denis. S’y déroulent depuis deux ans les séminaires d’une quinzaine d’universités d’Île-de-France, coincés entre les bureaux d’Orange, de Venteprivée.com, et les quartiers ouvriers d’Aubervilliers. Lundi 23 Janvier, afin de s’organiser pour la lutte contre la réforme des retraites, des étudiants ont décidé d’y occuper une salle. Rapidement, la police est intervenue sur le campus pour évacuer le bâtiment avant d’interpeler 28 élèves. L’une d’entre eux, nous a confié ce témoignage édifiant d’une nuit de garde à vue cauchemardesque. Il s’agit de garder des traces, non pas pour propager la peur du pouvoir mais afin de bien saisir et se souvenir du régime dans lequel nous vivons.

Écrire pour garder des traces, pour ne pas oublier, pour écrire nos histoires, celles des bifurcations, des brèches, celles des traumatismes qui nous forment et nous radicalisent, celles des souffrances qui nous font grandir, celles des oppressions, celle des enfants de traverse. Ce récit est celui de notre séjour en garde à vue le 23 janvier 2023 au soir pour avoir lancé l’occupation d’un bâtiment sur le Campus Condorcet.

Commissariat. Bâtiment froid dans lequel l’hiver s’engouffre. Le béton d’une dureté implacable endolorit mes os. Le bruit des portes de fer claque avec violence. Émission de sons abrupts et glacials qui impriment nos tympans d’une peur qui résonne encore en nous. Perte de la notion du temps, absence de fenêtres, plus accès à la moindre montre, le temps passe à reculons. Le monde extérieur semble loin face à cet isolement. Quand sortirons-nous ? Nos camarades nous soutiennent-ils ? L’avocate ne sera jamais venu nous voir. « Vous êtes tous seuls, même votre avocate s !en fout de vous ». Chez les flics, le mensonge est roi. Ils peuvent se le permettre. A défaut du droit, ils connaissent parfaitement leur impunité. Dans l’enceinte de ce blockhaus, ils se déchaînent et font régner leur propre loi fasciste. Comme déchus de notre citoyenneté, nous perdons tout droit. A mesure que nous sommes hors-la-loi, ils sont par-delà-la-loi, protégés par tout un système étatique qui a besoin d’eux. Société sécuritaire dont ils ne sont que l’allégorie, la caricature, le monstre créé par l’Etat lui-même. En réalité, notre avocate ne fut contactée qu’au beau milieu de la nuit. Appel masqué. Pas de numéro pour rappeler. Aucune information sur notre localisation.

On nous y avait amené debout, entassés dans une succincte camionnette de police. Ce rodéo était d’un rare déferlement de violence. Les coups de frein nous faisaient tomber les uns sur les autres et nous couvraient d’hématomes. Démonstration de force dans laquelle la domination s’exerce, s’exhibe et s’entretient. Cette manière de crier, de claquer les portes, d’humilier, de mentir, de conduire, de menacer de mort ou de viol, tout cela fait partie de ce comico du spectacle, de cette performance de la domination. Routinisation d’une violence presque normée, on aura échappé de peu à celle du petit Jésus consistant à menotter en croix le détenu aux grilles de sa cellule afin de le faire suffoquer. La violence de ce monde contre lequel nous tentons de créer d’autres cadres de vie est ici sous sa forme la plus visible et exacerbée. Hurlements d’une prise d’empreinte forcée, les cris retentissent dans nos oreilles mais nous ne savons pas d’où ils proviennent. On nous empêche de nous lever. Nos camarades pleurent, d !impuissance et de rage. Seize camarades sont entassés dans une cellule de quatre mètres carrés. Les policiers ferment la fenêtre d’aération. Ils suffoquent. Un camarade tabassé par un policier a une côte fêlée. Il a le visage blême. Ils l’appellent côtelette. Nous n’avons de cesse d’exiger un médecin mais il sera d’abord envoyé dans le « hammam », comme les policiers dénomment ironiquement la cellule où ils sont entassés.

Sursaut. Je m’étais assoupie. Attroupement et cris de mes camarades. Les policiers pratiquent la strangulation pour forcer l’un d’entre nous à la prise d’empreinte. Ils l’isolent dans un bureau à l’arrière. Ils sont six sur lui. Chaque fois que les policiers éteignent leur caméra, c’est paradoxalement la peur qui s’empare de nous. L’isolement d’un camarade et les tentatives d’intimidation nous remplissent d’angoisse. Le stress et la rage nous maintiennent dans un état d’alerte permanent. Nous voulons nous lever. Nous sommes rassis de force, menottés aux bancs du hall du commissariat. Nous serons à maintes reprise divisés en différents groupes, répartis entre différentes cellules puis divers commissariats. Cellule en non mixité non choisie. Pour la moitié d’entre nous, nous aurons habité ce hall des heures durant, sans cesse surveillés par les flics. Alors nous tentons l’humour : « A défaut d’occuper notre fac, on occupe le commico ! »

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