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La Bogue débloque l’écriture à la fac bloquée

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Le mercredi 11 avril à 18 h 30 s’est tenu un atelier d’écriture de La Bogue à la fac bloquée durant « L’Université populaire » ou « L’Université ouverte ». Nous avions proposé un moment d’écriture collective réinventé par les organisateurs en « atelier d’écriture journalistique ». Or, notre intention était de produire un temps d’écriture collectif en dehors des cadres du journalisme dominant. Mais aussi, un lieu d’écriture pour exprimer une sensibilité, des émotions, des ressentis sur ce qui se passe durant la mobilisation étudiante. Le souci d’objectivité s’efface face à l’intensité du moment.
Les cadres d’énonciation d’une écriture subjective sont difficiles à déconstruire, notamment dans un atelier comme celui-ci. Il peut alors devenir délicat de s’autoriser à parler de soi, l’autocensure revient et l’écriture devient automatique.
Les textes ci-dessous tentent donc de restituer des vécus d’étudiants en lutte :

Notre première fois

Neuf heures, j’émerge doucement, l’appréhension m’envahit, ça fait une heure que je devrait être debout. J’arrive devant les portes barricadées de la fac, un beau matin de printemps, après m’être faufilé entre les poubelles, j’entre enfin à l’intérieur. Je dois me mettre au boulot mais d’abord un bon petit dèj, y’a qu’a se servir dans le stock déposé en ce saint lieu par des âmes bienveillantes. Intrigué par le vide dans la fac, je suis des individus qui se dirigent vers les amphis, et retrouve un regroupement dans l’un d’eux, c’était une assemblée générale.
J’me demande vraiment ce que je fais là, j’reprends à peine les études et j’risque de foirer mon semestre. On dirait une entreprise, avec les institutions, les organisations, les grandes gueules et moi qui comprend pas tout. J’entre dans l’amphi, une amie syndiquée me fit m’asseoir à côté d’elle et m’initia au nouveau monde militant. Toutes ses remarques me troublent, j’apprécie de pouvoir échanger à propos de la situation politique du pays, c’est ça qu’est bon à la fac.
Les caméras de TV sont là, ça fait monter la pression on se croirait sur un plateau télé plus qu’à la fac. Je n’ai qu’une envie, de partir, mais les portes de l’amphi se referment derrière moi. Je n’avais pas penser que nous serions aussi peu nombreux pour voter le blocus, au fur et à mesure des interventions je sens croître le sentiment que c’est la meilleure chose à faire dans la plus belle fac du monde. Le blocus est voté, cool pas cours, je pars ! Je reviendrai pas avant la prochaine AG, ce n’est qu’à ce moment que je m’arrêterai pour rester un peu sur place.
Notre organisation est militante. A travers la défense de l’accès aux études supérieures nous sortons de la condition étudiante. C’est l’école de la citoyenneté, tout le monde met la main à la pâte, chacun a son mot à dire. La vie quotidienne du groupe rappelle l’ambiance de colonies de vacances, il y a de la vie, des activités, des cinés-débats et même des open-mic !
Dans une dynamique d’éducation populaire libre à chacun de puiser chez les autres l’énergie dont il y a besoin, assouvir sa curiosité, apprendre et se détendre ! Dans l’idée c’est beau comme cette vieille maxime d’Horace : « Placere et docere », plaire et instruire, autrement dit apprendre autrement !

C’est bon, on le fait, j’ai l’impression de vivre un de mes rêves. Je peux, nous pouvons enfin mettre en avant nos valeurs, nos idéaux. L’histoire que nous vivons va devenir l’Histoire. Le combat a, pour moi, commencé dès l’année dernière avec l’engagement, l’éveil de ma conscience politique. Je me joins donc au combat que je trouve juste, la justice sociale. A travers le mouvement de « révolte étudiante » j’estime défendre une partie de cette justice sociale, l’accès aux études.
Nous avons actuellement un gouvernement qui est arrivé au pouvoir à la manière de Napoléon III. Et rien d’étonnant à ça, il agit comme si Napoléon III était au pouvoir. C’est peut-être par là que je peux remercier des gens cons d’exister, sans eux je ne me battrai pas ! Du coup notre mouvement a commencé il y a quelques mois, en fait je devrais plutôt dire que j’ai rejoint le mouvement il y a quelques mois, mais que le mouvement a débuté il y a un certain nombre d’années.
Depuis janvier je participe à des actions de sensibilisation contre la loi ORE, j’ai participé à des dizaines de tractages pour informer les gens de la gravité de la situation. Puis dans la suite « logique » je me suis joint aux manifestations contre ce putain de gouvernement. Nous arrivions à sensibiliser les gens à notre cause, nous arrivions à montrer notre opposition. Mais plus le temps passait plus je m’apercevais que le gouvernement était myope. Et ça j’espérais qu’on s’en rendrait tous compte. Là l’Histoire commence à devenir pétillante. Nous avions décidé de bloquer le bâtiment public qu’est notre fac. Pt’être Napoléon prendrait rendez-vous chez l’ophtalmo, mais rebelote rien ne se passa. Nous prenons alors la décision d’occuper la fac, puis de se la réapproprier pour ouvrir notre université populaire. Je ne serai dire si la terminologie est la bonne, mais il s’avère que quoi qu’il arrive cette université populaire m’a appris beaucoup de chose, aussi bien pédagogiquement qu’humainement. J’ai, par exemple, appris ou compris qu’il était finalement très difficile d’entretenir des relations avec des gens opposé(e)s à moi par leurs valeurs. Alors oui ça peut se discuter mais cependant moi ça m’a permis de vraiment savoir en quoi j’avais conviction. Bref Napoléon n’a toujours pas pris son rendez-vous. C’est donc le moment ou personnellement je me demande si on ne devrait pas durcir le mouvement. Pourquoi je dis ça ? Beh car le tractage ne marche pas, la manif, le blocus et l’occupation idem (alors que cette dernière nous à permis de mettre en pratique notre vision de l’université ouverte a tous, pour tous, et par tous). J’en viens donc à penser que le gouvernement attend qu’on saccage le pays pour prendre rendez-vous. Je ne serai certainement pas triste, mais un peu déçu d’en arriver là…
L’HISTOIRETILLANTE DOIT DEVENIR EXPLOSIVE.

M. : Je suis étudiante à la fac en troisième année de licence d’histoire. Je suis venue aux AG. On a décidé de faire une université populaire un peu à la mode 1968-69 comme il y avait eu à Vincennes.
Je trouve que les choses bougent et ce n’est pas un mal. Je suis assez sensibilisée au militantisme, à tous ces problèmes de société, parce que mes parents étaient déjà assez agités comme on dit, ma mère était à Révo et mon père est anar.
En 2006 j’étais au lycée, j’étais un peu dans la rue aussi, dans les cortèges. Ça permet de se forger une expérience. En ce moment, je sens qu’il se passe quelque chose de fort. En AG il y en a un qui disait : « ça fait déjà trois mois et qu’est-ce que vous avez obtenu comme résultat », alors que justement ça ne fait que commencer et ce n’est pas au bout de trois mois qu’on peut avoir des résultats. Mais il y a quelque chose qui se met en place, des solidarités, notamment entre les cheminots et les étudiants.
Au début on était très peu nombreux, on faisait un blocage, c’était le vocabulaire de l’administration quand ils nous envoyaient des mails « Attention les étudiants mobilisés bloquent la fac », alors qu’il vaudrait mieux parler de piquets de grève. Maintenant on parle plutôt de « réappropriation des lieux » que de blocage, alors que c’était le terme qu’on employait nous-mêmes au début. C’est plus positif.
J’espère bien que ça se développera, pour le moment ça a l’air bien parti, maintenant il y a la peur pour beaucoup de ne pas pouvoir passer les partiels à la fin de l’année, ça revient souvent parmi ceux qui sont contre l’occupation.
En 1998 quand la fac était bloquée le doyen avait joué là-dessus pour faire voter la fin du blocage : « Vous n’aurez pas de vacances, les partiels seront passés sur plusieurs mois. » Et des bruits courts comme quoi on donnerait 10 à tout le monde à la fin, que le diplôme serait donné s’il n’y avait pas de partiels. Il y en a qui râlent : « J’ai bossé dur ce n’est pour avoir 10 à la fin ! »
Je viens pour supporter et pour les conférences qui sont données, je suis plus de l’extérieur en quelque sorte. Dans ma promo c’est difficile de discuter car il y en a beaucoup qui sont contre le mouvement et j’ai du mal à leur dire ce que je ressens vraiment, à leur faire part de mon point de vue, alors que parfois j’aimerais bien leur rétorquer des choses. Il y en a deux qui discutaient de la grève des cheminots en disant qu’ils ont déjà la retraite à cinquante ans, etc., moi je n’osais pas trop les rabrouer pour leur dire...

A. : Ce n’est pas toujours évident d’être à l’aise pour s’exprimer en public, ce serait bien qu’il y ait des ateliers pour faciliter la parole, en petits groupes, travailler sur les façons de la faire circuler, de se la réapproprier pour oser affirmer son point de vue en groupe, que ce ne soit pas toujours les mêmes qui parlent.



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