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Jeudi 23 mars à Limoges : la police en roue libre

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Récit personnel et non-exhaustif des manifestations du lundi 20 mars au soir et du jeudi 23 mars post-manifestation officielle, dont le déroulement a été décrit dans un article précédemment paru, avec toute sa répression. Ce témoignage donne à voir et à comprendre les façons de faire des forces de police, d’une rare violence à Limoges : disproportion, gratuité, intimidations, menaces. Deux situations identiques, un maintien de l’ordre différent.

Prélude : Lundi 20 mars

Rassemblement du lundi 20 mars au soir. Aucun enjeu national, initiative purement locale même si d’autres villes procèdent ainsi. Nous sommes plus de 200 personnes réunies pour échanger, crier notre mécontentement et improviser des actions : manifestation sauvage en déambulation dans les rues de Limoges, poubelles renversées, certaines enflammées, tags. Très faible présence policière, limitée à la protection des lieux de pouvoir : la mairie et la préfecture sont gardées chacune par une dizaine de policiers lourdement équipés. Ils ne sont pas spécialement menaçants et laissent les différentes actions se dérouler tant qu’elles ne s’attaquent pas aux bâtiments qu’ils protègent. Après une longue boucle, tout se termine au début : le carrefour devant l’aquarium de Limoges où nous avons perturbé la circulation et fait un feu de joie. Après auto-dispersion des manifestants, les policiers interpelleront malheureusement quelques traînards pour les motifs qu’ils ont pu trouver (dégradation volontaire et outrage à agent injustifié).

Trois jours plus tard

Nous avons participé à la manifestation organisée du jeudi après-midi 23 mars. Une longue promenade tranquille mais plus dense que les précédentes. À la toute fin de la boucle, une petite partie du cortège, les cheminots principalement, bifurque avenue Georges Dumas pour rejoindre le four des Casseaux, à l’entrée de l’A20, où ça chauffe pour les manifestants déjà présents en bord de Vienne d’après ce que les rumeurs éparses du cortège rapportent à nos oreilles. Après quelques pérégrinations, nous décidons de nous y rendre pour soutenir et participer à l’action de blocage de l’axe autoroutier.

Arrivés sur place, ça sent le gaz : plusieurs centaines de manifestants s’opposent à un cordon surarmé de policiers qui entrave lui-même la circulation. Des manifestants parviennent en coupant à travers bois le long de la Vienne à arriver derrière le cordon policier. Malgré quelques appels, ils ne parviennent pas à emporter l’adhésion générale des autres participants, le risque d’encerclement et de division des forces étant élevé. Les flics perdent patience et tirent : gaz à nouveau, LBD, grenade de désencerclement. Un homme prend un LBD dans la cuisse juste devant nous tandis qu’un autre nous montre les stigmates d’un autre tir, vieux d’une heure dit-il, à l’intérieur du biceps. Leurs boucliers arrêtent des projectiles en réponse, des pierres glanées çà et là. Il est toujours étonnant de lire dans la presse des blessés côté policier tant la carapace de ces cloportes est épaisse. Une charge a lieu et aboutit à l’arrestation musclée d’un jeune homme, ce que tentent d’empêcher les manifestants sur place, en vain. Devant le statuquo, la plupart des personnes présentes optent pour jouer au jeu du chat et de la souris : direction la mairie en manif sauvage, laissant là des flics étonnés et ridicules de ne pouvoir suivre avec leur équipement lourd.

Nous remontons l’avenue Jean Gagnant et perdons une bonne partie des participants au blocage des bords de Vienne. Près du centre culturel, un manifestant renverse une poubelle et tente d’y mettre le feu. À cet instant, deux membres des RG infiltrés dans le cortège sauvage sont identifiés car ils prennent, dans leur discrétion légendaire, des photos de la scène pour une future interpellation. Passés près du lynchage, ils partent la queue entre les jambes sous les huées et les insultes. Le cortège traverse le centre-ville (Jourdan, République) et arrive au milieu de la rue Jean Jaurès. Nous fonçons vers la mairie tandis que les flics qui barraient l’accès au secteur Fnac-préfecture nous poussent dans le dos. À l’intersection de la rue Jean Jaurès et du boulevard Louis Blanc, des sirènes de police se rapprochent à grande vitesse. Nous comprenons qu’ils souhaitent nous couper l’herbe sous le pied et parvenons à leur bloquer le passage sur le boulevard en occupant toute la chaussée. Une voiture de flic manque de percuter un jeune homme en essayant de forcer le passage.

19h devant la mairie : la police fait monter la tension

Arrivée au carrefour devant l’aquarium vers 19 heures. Comme un air de déjà-vu. Nous ne sommes plus qu’une poignée par rapport aux Casseaux alors que nous attend, armée jusqu’au dent, une cohorte de cloportes campée devant l’Hôtel de ville. Du jamais vu. Nous perturbons la circulation jusqu’à ce que les déviations des autorités vident le secteur de tout véhicule. Un face à face calme s’engage alors entre nous manifestants bien décidés à tenir la position du carrefour et les policiers qui transforment le bâtiment du pouvoir municipal en camp retranché. En raison d’une certaine stérilité, notre nombre diminue pour atteindre la cinquantaine tandis que le nombre des policiers ne cessent de croître par la venue de multiples renforts pour atteindre environ le nombre de 80. Certains d’entre nous ramènent des bières, une enceinte passe du punk, un conducteur de one-wheel assure le spectacle avec quelques numéros improvisés, ça échange, ça discute, ça rigole et lance quelques slogans bien placés à l’encontre de la meute. L’heure progresse, notre nombre recule. Un feu démarre avec ce qu’on trouve. Une poubelle y passe et dans une ambiance carnavalesque ou de feu de Saint-Jean, on fait brûler une marionnette géante de papier mâché déjà aperçue dans le cortège de l’après-midi, réchauffant ainsi nos cœurs militants. Il est 21 heures. Sans doute vexée de l’affront de joyeuseté ou pour sauver une maigre poubelle, la riposte policière se met immédiatement en branle. On crie au loup. Une manœuvre d’encerclement se dessine : un groupe d’une vingtaine de policiers passe sur la gauche tandis qu’un autre groupe de taille similaire passe par la droite alors qu’un nombre encore important reste face à nous, campé sur leurs positions devant la fontaine de la mairie. Nous ne tardons pas à déguerpir place Haute-Vienne, au-dessus de l’aquarium où la poignée que nous sommes se disperse sans faire d’histoire en dehors des quelques slogans anti-flics classiques du haut de notre promontoire et d’un ou deux lancers de bouteilles de bière ratés.

Bar gazé et air saturé : la police se déchaîne

Pensant l’épisode clos et les velléités policières terminées, nous décidons d’aller avec quelques amis manifestants nous désaltérer dans la joie et la bonne humeur au bistrot le plus proche, c’est-à-dire l’Internationale, toujours place Haute-Vienne alors quasi déserte des ex-manifestants. Quelques minutes s’écoulent, nous nous désaltérons en écoutant au loin l’animation blind-test organisée par l’établissement. Soudain, sans sommation, sans cri, sans uniforme bleu, en parfaite traîtrise, une grêle s’abat depuis le carrefour en contrebas : les giboulées de mars. Pas un tir, ni deux, ni trois, ni quatre mais au moins cinq tirs de lacrymogène, si ce n’est plus, arrivent en cloche ricochant sur les carrosseries des véhiculent alors stationnés. La place est gazée, la terrasse est gazée, l’intérieur du bar est gazé, toutes les personnes sont gazées y compris le personnel du bar. Alors que nous n’avons plus que nos yeux pour pleurer et nos bouches pour cracher dans cette fumée épaisse, des cloportes arrivent de tous les côtés, ils sortent des escaliers à tous les coins de la place pour se précipiter sur… rien, personne en-dehors des clients du troquet. Aucune arrestation, interpellation, purement gratuit. Était-ce nécessaire ? Assurément non ! Il n’y avait pas l’ombre d’une menace. La police veut avoir le dernier mot alors c’est parti pour une folle cavalcade de 40 policiers dans les rues alentours à la recherche de Jacques Mesrine sous les insultes, les railleries et les huées d’un bistrot complétement hébété et sidéré de l’agression dont il est victime. Les flics cherchent tout groupement de plusieurs personnes dans l’espoir d’avoir quelques trophées de jeunes gauchistes, réels ou supposés qu’importe, à ramener à la maison poulaga. Chou blanc ! Ils finissent par se regrouper sur la place Haute-Vienne et redescendre par les vomitoires d’où ils étaient venus. Incident clos pense-t-on.

Est-ce que boire une bière constitue une agression à leur encontre ? Et bien oui semble-t-il mais voyez plutôt. Il y a beaucoup de monde ce soir-là au bar et l’odeur de gaz encore omniprésente pousse quelques personnes à s’asseoir sur le parapet au-dessus de l’aquarium, dominant ainsi ce qu’il reste des forces de l’ordre massées devant la mairie. Bière, clope, discussion sur l’agression de la terrasse. Deux jeunes hommes ne prêtent que peu d’attention aux lumières inquiétantes agitées dans leur direction provenant des flics positionnés en bas. Surgissant de nulle part, une vingtaine de policiers suréquipés remonte pour les chasser de cette place publique, à deux pas du bistrot. En réalité, nous ne supposons que plus tard qu’ils étaient venus par provocation chercher un motif d’interpellation, sans légitimité aucune. Matraque à la main en les bousculant, voici l’échange au mot et au geste près, le tout sous une caméra de vidéosurveillance et les témoins de la terrasse :

Le flic : Aller barrez-vous ! Dégagez de là !
L’un des deux hommes, calmement : Vous pourriez en faire autant…
Le flic : Quoi, qu’est-ce que t’as dit ? Qu’est-ce que t’as dit ?
Le même homme, toujours calmement : Que vous pourriez en faire autant…
Les flics empoignent le deuxième jeune homme qui tentait de s’interposer avec le corps sans violence entre son ami et le flic enragé. Ils le repoussent manu militari : Toi dégage !
Ils attrapent l’homme qui avait osé répondre, l’assoit sur le parapet, matraque dans les côtes, au risque de le faire tomber dans les 2-3 mètres de vide qui séparent la place et l’entrée de l’aquarium en contrebas  : Qu’est-ce que t’as dit connard ?? On a une chambre bien au chaud pour toi si tu veux ! Aller dégage, retourne picoler ta bière !! T’es qu’un connard ! Rentre dans le rang !

Fin de l’incident, les flics s’en vont définitivement. Plus un policier en faction devant la mairie. Il existe un outrage à agent mais existe-il un outrage à civil ?

De quoi cette fin de journée est-elle révélatrice ?

D’une disproportion criante entre les violences des deux camps. L’une est en prévention, l’autre en réaction. À aucun moment de la journée les policiers ne se sont sentis en danger, ce qui ne les a pas empêchés d’user de moyens dangereux voire létaux (souvenons-nous de Rémi Fraisse). Aussi, voit-on se dessiner une politique bien particulière du maintien de l’ordre : la recherche du résultat. Il apparaît qu’un maintien de l’ordre réussi est vu à l’aune des interpellations. Elles sont désormais systématiques. L’enjeu politique cependant décuple le potentiel de violences policières. Entre le lundi et le jeudi soir, les consignes ne sont pas les mêmes. En début de semaine, nous avons à faire à des policiers complètement surpris et finalement peu véhéments malgré notre nombre. L’enjeu de la mobilisation nationale jeudi dernier contre la réforme des retraites change la donne : le ministère de l’intérieur a détaché les chiens et enlevé les muselières alors que notre effectif était plus faible. Deux situations identiques à quelques jours d’intervalle et deux réactions policières différentes pour le maintien de l’ordre.

L’épisode autour de la place Haute-Vienne est révélateur de l’origine de la violence : elle est policière. Nous avons toujours du mal à comprendre comment un simple feu de poubelle joyeux et une « occupation sauvage » dans le calme de l’espace public peuvent conduire à pareil comportement de la police. Cela confirme néanmoins clairement ce que nous savons déjà depuis longtemps : que les menaces, les intimidations, les insultes, l’impunité, les agressions et violences gratuites relèvent d’une stratégie globale afin de provoquer des outrages à agents, des rebellions, permettre des fouilles et contrôle d’identité pour obtenir un motif d’interpellation et engranger des données. Autrement, les interpellations (préventives ou non) ont pour fonction de créer de la peur dans l’opinion publique dans le but de casser la mobilisation et le soutien aux militants. Elles justifient également une présence policière démesurée. Il s’agit aussi de satisfaire les objectifs fixés par le ministère de l’intérieur. Celui-ci adopte une idéologie du maintien de l’ordre qui ne cherche pas l’apaisement par le dialogue mais l’écrasement de toute contestation sociale par le rapport de force. Un maintien de l’ordre réussi est un maintien de l’ordre avec interpellations. Pour rappel, dans la nuit dernière du 16 au 17 mars à Paris, 292 interpellations ont été effectuées, 283 sont classées sans suite. Enfin, elle protège et rassure l’ordre établi bourgeois tout en donnant du grain à moudre aux chiens de garde médiatiques.

Stratégie de la terreur depuis de nombreuses années. Ce n’est que le début de l’État policier. Le pire reste à venir. Nous leur rendrons au centuple.



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