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A Tulle, maintien de l’ordre moral en musique

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Tulle, jeudi 17 octobre au soir, petit concert entre ami.e.s : Kompromat, le duo formé par Vitalic et Rebeka Warrior (Sexy sushi, Mansfield.TYA) entre électro, cold wave et techno radicale.

Arrivée à la salle, petite file tranquille sous une pluie fine. Fouille des sacs, classique. Les vigiles portent des gilets pare-balles, moins classique.

Le concert commence...

Première partie, IPPON, groupe nancéien. On connaissait pas, on vous invite à écouter. Synthés avec un petit goût de Air, batterie saturée et les voix réverbérées.
Kompromat arrive. Rebeka et Vitalic en lunettes noires.
Premiers morceaux… Un drapeau palestinien apparaît dans la salle. Les artistes témoignent d’une empathie certaine pour la cause. Rebeka tape dans les mains des gens portant le drapeau. Une personne monte sur le côté de la scène, avec un autre drapeau palestinien. Un vigile la fait descendre, toujours vêtu de son gilet pare-balles, attitude friendly oblige. La foule tend un des drapeaux à Rebeka. Elle l’enroule sur ses épaules, le redonne au public.
Temps slams… Plusieurs personnes montent sur scène, se jettent dans le public. Pas d’intervention des vigiles.
Plus loin dans la salle… deux « Fées-men » sont seins nus. Panique d’un autre vigile ! Demande express de remettre les T-shirts.
Un peu plus tard… Retour de la personne portant drapeau sur scène. Le premier vigile ne maîtrise plus ses émotions, sort la personne de la foule, la coince dans un coin de la salle. Formation d’un attroupement. Kompromat arrête de jouer. Lumières blanches. Tous les regards se tournent vers le petit attroupement. Les artistes invectivent la sécurité : « Est-ce que c’est possible de nous laisser faire la fête ? Laissez-nous faire la fête ! ». Départ du vigile et de son gilet pare-balles. Retour des projecteurs, du son. Le concert repart.
Rebeka est stupéfaite et révoltée qu’un vigile demande à des personnes seins-nus de remettre leur T-shirt. Elle improvise un morceau plein de hurlements, elle sort un sein.
Le concert continue... Le contact avec le public est intense, l’énergie palpable.

Le concert se termine… Beaucoup de questions jaillissent

Ce sont manifestement deux drapeaux palestiniens qui ont déclenché la panique du service d’ordre. Initiative personnelle ou consignes données au service d’ordre, on ne sait pas, mais cette panique face à deux drapeaux palestiniens rappelle des précédents récents. Le même jour, le 17 octobre, le Café de la Danse à Paris a décidé de ne plus accueillir d’artistes israéliens et palestiniens, alors qu’il y a quelques mois il avait décidé de faire signer aux artistes une clause interdisant « (…) toute manifestation politique, drapeau ou symbole sur scène de quelques pays que ce soit. [1] . Pour justifier ces décisions, la salle a invoqué la neutralité dans un communiqué : « Nous ne voulons pas que le Café de la Danse, lieu strictement culturel, devienne une tribune, ou pire, un lieu d’affrontement. » [2]. Mais que reste-t-il de l’art si il est susceptible d’être vidé de ses messages ? Faut-il rester sage à la maison devant des images lobotomisantes pour temps de cerveau disponible ? L’art sous toutes ses formes n’est-il pas une forme d’expression souvent politique sur l’époque qui le voit naître, sur la société et ses évolutions ?

Cet argument de la « neutralité » rappelle ce que le ministre de l’enseignement supérieur, Patrick Hetzel, souhaite dans les universités et les écoles. Alors qu’il ne semble pas avoir foutu grand-chose depuis qu’il est membre du gouvernement, il a décidé de produire une circulaire sur le "maintien de l’ordre" dans les universités juste avant le 7 octobre, un an après l’attaque du Hamas en Israël [3]. Le contexte de cette circulaire ? La série de manifestations pro-palestiniennes qui ont eu lieu devant Sciences Po la semaine précédente et qui allaient selon lui "à l’encontre des principes de neutralité et de laïcité". Une université doit-elle être neutre ? Et qu’est ce que ça veut dire ? En quoi un drapeau palestinien n’est pas laïc ?

Une neutralité assurée par des services d’ordres ou par la police rappelle la conception que l’on a de l’ordre notamment en France : des doctrines d’un autre temps, reposant sur la violence et sous-tendues par une vision militariste de la société. Ce qui est défendu ? C’est l’ordre moral d’une partie réactionnaire de la société qui orchestre épisodiquement ses crises de panique pour faire avancer ses intérêts. D’ailleurs, demander à des personnes seins-nus de remettre leur T-shirts montre bien que c’est d’ordre moral qu’il s’agit et non de sécurité. Le sein fait encore peur aujourd’hui, et on revient sur des considérations entre exhibition et liberté d’expression. Le fait que cette injonction patriarcale « couvrez ce sein que je ne saurais voir » [4] refasse régulièrement surface, alors qu’on la pensait révolue, montre la force de ces tendances réactionnaires au sein de notre société. Est-ce étonnant dans le contexte politique actuel, marqué par un gouvernement de droite soutenu sans participation par l’extrême droite et par un président qui multiplie les appels du pied à cette même extrême droite depuis plusieurs années ?



Notes

[2L’établissement est finalement revenu sur sa décision, pour des raisons plus légales que de convictions politiques et morale, ibid.

[4« Le tartuffe ou l’imposteur », acte III, scène 2, 1669, Molière.

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