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De Bessines à Bure : lettre ouverte en soutien aux personnes perquisitionnées et interpellées autour de Bure le mercredi 20 juin

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« Cʼest ici quʼest né le premier combustible pour lʼindustrie française. Sans les mines dʼuranium en Limousin, elle nʼaurait pas existé et nous ne serions pas au premier rang mondial aujourdʼhui.
Tout ce que nous faisons en Namibie, au Niger, au Kazakhstan... est développé ici ».
Anne Lauvergeon à Bessine-sur-Gartempe (Haute-Vienne), le 31 mai 2011

Chers amis, chers camarades,
À l’heure où la répression vous frappe violemment pour la troisième fois en un an, nous voulons d’abord vous envoyez un fraternel salut depuis l’autre bout de la chaîne de production du nucléaire, celui d’où fut issue près de la moitié de l’uranium français avant que Mme Lauvergeon et ses amis ne trouvent des plans plus rentables en Françafrique.
Une vingtaine d’années après la fermeture des dernières mines, nous avons hérité en Limousin, à Bessines-sur-Gartempe et autour, d’un stockage sous hangar de près de 200.000 tonnes d’uranium appauvri et de millions de tonnes de déchets de mines, d’un provoquant « laboratoire de recherche contre le cancer » basé sur l’utilisation de plomb 212 en provenance directe de la Hague, et d’ un inénarrable musée interactif à la gloire de l’uranium nommé Ureka. Un « modèle de reconversion de site minier » selon les autorités, qui n’arrive pourtant pas à nous faire oublier les mines laissées à ciel ouvert dans toute la région, les rivières et lacs pollués par la radioactivité qui en a ruisselé en aval, ni les cadeaux empoisonnés de l’ancienne COGEMA qui a, pendant plus de vingt ans, distribué ses « stériles » à toute personne ou collectivité cherchant du remblai gratuit. Des « stériles » chargés d’une radioactivité trop faible pour mériter d’être enrichis, qu’on nous propose encore régulièrement de stocker – pardon, il faut dire entreposer parce que c’est censé être temporaire – ici ou là dans la région, et dont personne ne sait vraiment quoi faire.
C’est dire si la fable d’un site nucléaire propre et sans danger gentiment décoré d’un musée et d’infrastructures de pointe, censément vecteur d’emploi et de développement économique, nous évoque quelque chose. Ici nous héritons de ce qui se passe après le début de la chaîne, l’affaire qui vous occupe est celle d’après la fin : mais dans les deux cas, ce sont bien les populations de régions entières qui se voient imposer les conséquences d’un « après » dont elle n’ont jamais eu le loisir de choisir le début.
Ainsi va l’industrie nucléaire, qui partout enchaîne le futur aux délires du présent, laissant derrière elle à chaque étape des traces variablement nocives dans un silence plus ou moins radieux... et toujours pour les siècles des siècles.
Mais il est un autre aspect de ce qui vous tombe dessus qui ne peut qu’attirer notre attention : nous parlons évidemment de la tempête répressive qui s’abat sur vous par vagues de plus en plus violentes.
Le petit bourg de Tarnac, situé au coeur de la montagne limousine, à moins de 20km d’une demi-douzaine d’anciennes mines, a lui aussi subi, il y a presque dix ans, la répression féroce de plus de 150 policiers venus arrêter une dizaine de personnes au prétexte d’actions de rue illégales et de lutte contre la société nucléarisée.
Pourtant aujourd’hui, point de buzz médiatique à Bure : juste la froide chronique d’une répression qui se présente comme mesurée et sélective.
Point de grand récit antiterroriste non plus : l’arrestation de « leaders », avec leurs « actions violentes » et autres « association de malfaiteurs internationale » est retournée dans la banalité du droit commun (qui s’est dans l’intervalle largement exceptionnalisé).
Point de poussée miraculeuse des comités de soutien enfin, malgré quelques remarquables apparitions : comme si le mélange de marche forcée macroniste, avec l’hypersollicitation qu’elle suggère en retour, et d’habileté dans la communication gouvernementale, avaient réussi à provoquer une sorte de sidération générale. Dix ans après l’échec du storytelling grossier lancé par l’État à Tarnac, on ne peut que constater que les « coups de filet » au cours desquels les forces de répression interviennent dans des lieux collectif pour en extraire des « éléments subversifs » se sont à la fois adaptés et banalisés. Opérations de ces derniers mois à Bure, Roybon ou Saint-Victor et Melvieu, où des hordes de policiers assistés par hélicoptère interviennent pour saccager des lieux de vie et interpeller leurs résidents, arrestations médiatiques calculées pour entretenir la guerre psychologique en réponse aux mouvements sociaux (telles l’affaire de la mousse expansive à Rennes, celle du quai de Valmy à Paris, ou celle des incendies de véhicules de police à Limoges), tentatives sans cesse répétées pour monter les opposants et manifestants les uns contre les autres : quelque chose n’a pas du tout cessé de pourrir au royaume de Jupiter, et nous voilà ce 20 juin 2018 avec une dizaine de personnes arrêtées par plus de 200 policiers à l’issue de la perquisition de leurs lieux de vie, qui subissent une garde-à-vue prolongée et risquent de se voir inculpés d’association de malfaiteurs en relation avec des dégradations de biens... dans l’indifférence quasi complète du reste du pays.
Il est pourtant notable que ce dernier cas de répression intervienne dans le cadre de l’opposition à l’enfer nucléaire : car on ne saurait oublier que dans le même temps où évoluaient la guerre psychologique et les stratégies de répression, où se multipliaient aussi les actions et mobilisations collectives pour des « zones à défendre » et dans les « cortèges de tête », les gouvernants français n’ont cessé de réaffirmer leur croyance dans la société nucléarisée. Déclarations selon lesquelles « tout cela ne serait pas arrivé avec l’EPR [1] » en pleine catastrophe de Fukushima, prolongation à l’infini de l’exploitation de centrales de plus en plus dangereuses, blanc-seing fanatique malgré les défaillances de conception de la centrale de Flamanville, renouveau de l’exportation du « savoir-faire français », entêtement à préparer l’enfouissement à Bure au mépris des échecs éprouvés à l’étranger : aucun doute, la France s’enferre, en même temps qu’elle enferme et atomise. Dans le pays le plus nucléarisé du monde, les dirigeants successifs affinent sans réserve leurs techniques et moyens pour contenir une population dont tout débordement sérieux ne peut qu’être un danger explosif.
En Limousin, ces dernières années ont vu réémerger par saccades une certaine opposition : soutien déjà évoqué aux inculpés de Tarnac (qui percevait la dimension antinucléaire des actes qui leur était reprochés, malgré les efforts de l’État pour en détourner le regard), mobilisations collectives suite à l’accident de Fukushima et pour le blocage du train CASTOR à Valognes en 2011, actions de sabotages discrètes mais efficaces en relation avec la « reconversion » du site de Bessines-sur-Gartempe, mobilisations locales contre plusieurs projets de création de sites d’entreposage de stériles, départs collectifs pour les grands rendez-vous de l’opposition à la poubelle nucléaire de Bure, début de prise de contact avec les opposants à la nouvelle piscine de stockage de Belleville-sur-Loire, à quelques encâblures de la région...
Mais à l’heure où la répression frappe à Bure plus durement que jamais, il nous semble important de marquer notre soutien avec une énergie renouvelée.
Or une cible est toute trouvée, à laquelle nous n’avons pas encore eu l’occasion de faire l’honneur qu’elle mérite : la verrue Ureka, seul musée national à la gloire de l’enfer atomique, vecteur éhonté d’acceptabilité sociale pour un projet de société nécessairement totalitaire, est une offense permanente à toutes les victimes du nucléaire et du contrôle social généralisé qu’impose sa présence. Le site où elle réside est le miroir en début de chaîne de ce que vous subissez avec le « trou du nuke » de Bure. Il convient de commencer dès maintenant à préparer le jour où des centaines de personnes viendront en secouer les grilles.

Mais pour l’heure, face à l’urgence de la situation qui vous est faites, nous commencerons par un premier rendez-vous à Limoges en réponse à votre appel à se retrouver devant les préfectures dès ce mercredi. Alors à toutes celles et ceux qui, depuis le Limousin uranifère et au-delà, ne veulent pas laisser passer sous silence la répression féroce des camarades qui vivent et luttent à Bure :

Retrouvons-nous devant la préfecture de Limoges
ce mercredi 27 juin 2018 à 19h

Soutien inconditionnel aux chouettes hiboux de Bure ! De la Meuse au Limousin, enfouissons la nucléacratie !

Comité Antinucléaire de Tarnac



Notes

[1European Pressurized Reactor (soit Réacteur Pressurisé Européen) : réacteur nucléaire dit « de troisième génération », dernier exemple en date du « savoir-faire français » en matière de chaudière infernale.

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On va tout fêter !