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S’opposer à CIBV c’est construire un territoire vivant contre une industrialisation mortifère

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Mis en avant comme une « innovation » s’inscrivant dans la « transition énergétique », le projet CIBV (Carbon Ingen’r Bugeat Viam) d’implantation d’une usine biomasse nous semble plutôt relever d’un effet d’aubaine extractiviste et court-termiste favorisé par des politiques publiques (et notamment européennes) improvisées. Loin de représenter une solution miracle pour l’emploi qui « valoriserait » des « déchets » forestiers, cette implantation industrielle risque au contraire de faire fuir de possibles arrivants, de nuire à l’émergence d’une culture forestière soucieuse de la préservation de l’environnement et pourvoyeuse d’emplois, et d’accélérer la dégradation des forêts du territoire.

Une forme innovant de charbon de bois : le pellet torréfié !

Afin de mettre sur le marché un substitut aux combustibles comme le charbon fossile, le projet d’usine CIBV propose de produire chaque année 45 000 tonnes d’une forme « innovante » de « charbon de bois » appelée pellets torréfiés, à partir de la collecte de 113 000 tonnes annuelles de bois vert sur un rayon de 80 km autour de Viam.
Un procédé « expérimental » en France... bientôt étendu à l’Europe entière ?
La production de combustible envisagée par CIBV repose centralement sur un procédé expérimental. Elle s’inscrit dans le cadre des recherches actuelles visant à trouver un substitut au charbon fossile à partir de bois vert, qui ont également été effectuées par le CEA-« EA » [1] et par AREVA, et peuvent être rapprochées des recherches de fabrication de « biocarburants » à partir de la même ressource menées à proximité de Bure, également portées par le CEAEA (projet Syndièse [2]).
Nous sommes donc avant tout en plein dans la « transition énergétique », du moins telle qu’elle est portée par l’Union européenne et ses État membres, dont le principal effet « sur le terrain » est une importante augmentation de la convoitise sur la « ressource bois » : l’UE a prévu de consacrer au bois-énergie, à l’horizon 2020 [3], autant de bois que la totalité de ce qui a été coupé dans l’Union en 2013 tous usages confondus. Un premier problème apparaît d’emblée : la ruée actuelle vers la biomasse s’inscrit dès le départ en concurrence avec tous les autres usages possibles du bois. Vu sous cet angle, le projet CIBV devient immédiatement autre chose qu’une petite production locale aux incidences raisonnées : c’est la déclinaison locale (la première de ce type au sein d’une mode déjà bien installée) d’une politique générale qui vise à « extraire » des quantités croissantes de « matière » ensuite exportées, dont la combustion permettra aux pays membres d’améliorer leurs pourcentages « d’énergies vertes ». En l’occurrence, près de 80 % de cette production (devenue même 100 % dans les déclarations du promoteur le 29 avril dans La Montagne) servira à fournir la Compagnie parisienne de chauffage urbain, pour chauffer des logements à Saint-Ouen, à 600 km de Viam.

Un bilan carbone douteux

Hormis la question de l’exportation systématique du produit fini, se pose la question du bilan carbone total et de son éventuel avantage comparatif. Apparaît alors un deuxième problème : si l’on refuse de s’en tenir aux garanties de « meilleur rendement calorifique » avancées par l’industriel, il semble que le bilan de l’ensemble du processus soit bien moins intéressant qu’annoncé. Abattage et transport de matière première, broyage et torréfaction puis exportation finale produisent des émissions de carbone largement négligées. En outre, l’augmentation de l’exploitation forestière et le prélèvement des souches et branchages devraient être considérés pour ce qu’ils sont : la suppression de puits de carbone. Sur ces questions, les études effectuées par l’association FERN [4] montrent que « le futur développement de la biomasse ne compensera pas les émissions résultant de sa combustion » et pointent le fait que « l’investissement actuel de l’UE dans la bioénergie constitue donc une stratégie d’atténuation des effets du changement climatique qui n’est ni valable ni efficace ».

Approvisionnement et conséquences

CIBV prévoit de s’approvisionner sur un rayon de 80 km autour de Viam. Sous prétexte de débarrasser les forêts de leurs « déchets » et de « valoriser » ce qui est « improductif », l’industriel convoite les souches et les rémanents, mais aussi les parcelles à l’abandon. Il s’agit tout d’abord d’une grave mise en danger des sols qui ont besoin de ces « déchets » pour se régénérer, mais aussi d’une sérieuse menace pour les taillis qui sont de futures forêts de feuillus déjà en voie de disparition.
Or prélever ces ressources à moindre coût nécessite un accès facile et massif à celles-ci. Cela encourage donc le modèle des coupes rases, qui fait déjà beaucoup de ravages, qui est déjà largement remis en question, et qui s’accompagne d’une monoculture intensive à grand renfort d’intrants chimiques.
Le territoire d’approvisionnement, dont nous sommes les habitants, ne risque-t-il pas de ressembler toujours plus à une succession de champs d’arbres que l’on moissonne comme les blés ? Quoi qu’en dise le PNR [5], aucune « charte des bonnes pratiques » ne peut être compatible avec la rentabilité économique la plus basique d’un tel projet, puisque celui-ci exige de concentrer les prélèvements : nous pourrions bientôt nous réveiller au milieu d’une sorte de « Beauce forestière » conquise parcelle après parcelle...
Enfin, n’oublions pas qu’une fois l’usine « en marche », il faudra bien l’alimenter en bois vert, d’ici ou d’ailleurs, avec son cortège de grumiers et d’abatteuses, et même avec l’éventuelle extension de sa surface d’approvisionnement au nom de la « sauvegarde des emplois » : cauchemar d’un projet adossé aux politiques et aux aides publiques directes ou indirectes [6], qui finirait par s’étendre encore et justifier même un plan de sauvetage pour ce qui était dès le départ une idée fumeuse !

Économie locale et rapport au monde

Cette emprise sur les forêts locales génère in fine une concurrence entre ceux qui comptent « créer de la valeur » à partir de la commercialisation de forêts devenues « biomasse », et ceux qui entendent vivre de et avec la forêt, tant pour l’autosuffisance locale en bois–énergie [7] que dans le cadre des métiers locaux liés plus ou moins directement à la forêt : petites scieries au savoir-faire du « sciage de gros », forestiers pratiquant la « sylviculture douce » et conseillant une gestion en « forêt continue » ou futaie jardinée, tourisme et accueil de séjours « nature », production de matériaux d’isolation, réhabilitation de maison en bois, etc.
Au-delà d’un impact environnemental localisé, ce projet d’exploitation industrielle pose la question de nos rapports au monde et à l’économie locale. Il promeut la monoculture plutôt que la diversité, le dessouchage plutôt que la restauration des sols déjà épuisés, la coupe rase plutôt que le prélèvement raisonné arbre par arbre, l’exploitation forestière pour la biomasse plutôt que pour la construction ou le bois de chauffage, le travail aliéné plutôt que l’indépendance. C’est la concentration des ressources et des profits dans les mains de quelques industriels et financiers, quelles qu’en soient les conséquences locales, plutôt que la multiplicité des usages de la forêt, considérés depuis chaque bout de territoire avec ses besoins et ses particularités.
L’enjeu selon nous, qui dépasse le cadre de notre association, est celui de réinterroger collectivement notre relation avec cette entité vivante qu’est la forêt. Comment nous l’habitons et comment elle nous habite, quel avenir pour notre forêt. C’est une « autre culture » de la forêt qu’il s’agit de revendiquer, mais avant cela il est nécessaire de la penser collectivement, de produire un « commun ».
La forêt n’est pas un gisement, un énième minerai, ni même seulement un espace recouvert d’arbres. C’est un territoire où nous habitons, et où nous voulons vivre.

« C’est une réalité sensible, une façon singulière d’agencer le monde, de l’imaginer, de s’y attacher » (J-B Vidalou, Être forêts, 2017).

Non à la montagne pellets, actions en cours et à venir

Informer : comme nous l’avons fait jusqu’à maintenant, nous continuerons à organiser des réunions publiques et à partager des analyses, et nous restons ouverts à toutes les invitations. Des réunions publiques sont en préparation. Le site internet (nonalamontagnepellets.fr) poursuivra ses publications régulières, le compte Facebook (NMPViamBugeat) également.
Mener des actions en justice  : malgré les lacunes du dossier CIBV sur de nombreux points, le préfet a sans surprise donné son autorisation pour le début des travaux. Pour autant, nous n’avons pas encore épuisé toutes les voies légales pour obtenir l’abandon du projet. Des recours en justice seront déposés prochainement. Nous travaillons avec plusieurs juristes spécialisés dans le droit de l’environnement, et nous sommes convaincus que la prise en compte de l’ensemble des conséquences néfastes de ce projet permettra de le faire enfin annuler.
Rassembler et élargir la mobilisation  : nous partons de deux constats. D’abord, les rassemblements organisés par Non à la Montagne-Pellets ont montré qu’une part croissante de la population locale partageait notre opposition ; ensuite, l’exploitation industrielle de la forêt suscite toujours plus de contestation à l’échelle nationale comme internationale. C’est pourquoi nous lançons un appel à prendre des initiatives et créer des comités locaux (voir encadré), et nous organisons un grand rassemblement estival à la fin du mois de juillet (précisions à suivre dans nos prochains communiqués).)]


P.-S.

Retrouver tout un dossier dans IPNS, journal d’information et de débat du plateau de Millevaches, de juin 2018, sur la question des projets de développement industriels en zone rurale.


Notes

[1Eh oui, depuis quelques années, le Commissariat à l’énergie atomique s’est mis à bégayer : il s’est doté d’un second doublet « EA », comme... énergies alternatives !

[4Voir à nouveau la note du FERN (http://fern.org/sites/default/files/news-pdf/briefingnote%20bioenergy_french.pdf), qui a également réalisé une courte vidéo visant à sonner l’alarme sur la question de la biomasse (http://fern.org/playingwithfire)

[5Pour ne citer que quelques sources, mentionnons les contributions des entreprises « Arbogeste » et « Forêt continue » à l’enquête publique sur CIBV, ou même la nouvelle charte du PNR...

[6M. Gaudriot et certains élus ont beau jeu de répéter à qui veut les entendre que CIBV ne profite d’aucune subvention : il s’agit en fait d’avances remboursables, à hauteur de 3 M€ de la part de la Région et de 4 M€ de l’ADEME. Des « prêts à l’innovation » qui sont connus pour encourager la prise de risques financiers, quitte à ne jamais être remboursés par la suite.

[7Pour référence, en 2014, la DRAAF recensait 233 000 m3 de bois-énergie récoltés sur les trois départements du Limousin. Selon qu’on se base sur la masse volumique moyenne des résineux (0,65 t/m3) ou sur celle des feuillus (0,89 t/m3), les 113 000 t convoitées par CIBV représenteraient entre 54 % (sur 207 370 t « théoriques » de feuillus) et 74 % (sur 151 450 t « théoriques » de résineux) de ce total (la valeur juste étant sans doute située entre les deux, soit environ les deux tiers).

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