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A Panazol, la future voie verte est plutôt brune

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Sur les bords de Vienne, les arbres ont été massivement coupés à la fin du mois d’août pour laisser place à un champ de bataille. Alors que le fonctionnement des arbres et leur rôle dans nos vies sont de mieux en mieux compris, certains préfèrent continuer l’absurdité généralisée qu’est la gestion des arbres en Limousin.

Panazol, morne berge

Souches coupées au ras du sol, taillis et branches arrachées laissés sur place, tas de fûts prêts à être expédiés, ornières profondes... Ce spectacle n’est pas inconnu pour qui parcourt la région : on peut voir le même dans la montagne limousine et les monts de Blond et d’Ambazac, entre autres. A quelques kilomètres de Limoges, le long de la Vienne, c’est plus surprenant, mais pas impossible comme le montre le résultat de l’intervention de la fin août à Panazol. L’accès à la zone déboisée annonce la couleur : des barrières servant à interdire l’accès comportent un panneau aux couleurs de la municipalité de Panazol reprenant un texte de justifications préalable au spectacle qui va s’offrir à nous. Certaines portions du chantier ressemblent à des coupes rases, avec cependant quelques arbres conservés, parfois des arbres seuls isolés des autres par plusieurs dizaines de mètres. Rappelons que la coupe rase est une pratique très controversée en foresterie, a fortiori en bords de rivière. En effet, dans ce cas les arbres participent à une ripisylve [1], un écosystème riche mais à l’équilibre fragile qui demande des interventions raisonnées. Quant au choix des specimens épargnés, il est précisé que « les arbres remarquables pour leur histoire, leur forme ou leur rôle écologique seront préservés ». La problématique des arbres isolés qui, fragilisés, risquent à terme de dépérir et de tomber, est pourtant l’un des grands thèmes du best-seller de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, mais apparemment tout le monde ne l’a pas encore lu. Tout le paradoxe tient en ce que la décision d’effectuer la coupe a été prise notamment pour réduire ce risque de chute d’arbres !

Les motifs de la coupe

C’est en tout cas l’une des justifications qui est donnée dans le texte publié et affiché par la municipalité de Panazol : chaque année, des arbres tombent sur le chemin, ce qui est dangereux et occasionne à chaque fois des frais « dispersés ». L’année passée par exemple quelques arbres et branches, moins d’une dizaine, sont en effet tombés sur le chemin, nécessitant quelques coups de tronçonneuse et le déplacement de morceaux de bois sur le côté. Tout cela doit coûter bien cher en effet, surtout quand dans le même temps la commune de Panazol doit payer l’installation de ses caméras de surveillance installées par tranches depuis 2016. Pour pallier les chutes d’arbres et de branches, le choix de la coupe rase semble avoir été fait pour provoquer la repousse d’un taillis depuis le sol, un choix discutable car la berge va être brutalement exposée à une lumière intense et continue, alors que les bonnes pratiques préconisent plutôt des taillis irréguliers pour modérer la lumière et augmenter la richesse en biodiversité du milieu. L’une des raisons avancées pour la sécurisation est l’effacement du seuil Parry, qui entraîne une baisse du niveau de la Vienne sur quelques centaines de mètres. L’effacement vise à rétablir une continuité écologique favorable à la flore et à la faune aquatiques mais aussi à limiter la température de l’eau l’été. Or cette température va être considérablement augmentée pendant plusieurs années suite à l’abattage massif des arbres. Une accumulation de non-sens écologiques de la part de la municipalité de Panazol que l’ONF, maître d’œuvre du chantier, a laissé passer. Cette passivité n’est peut-être pas sans rapport avec le mouvement social d’ampleur nationale qui s’y déroule en ce moment pour en contrer les dérives, certains agents considérant qu’il est aujourd’hui plus tourné vers l’exploitation massive des forêts que vers la promotion de la biodiversité. Un dernier détail pour la route : alors que le texte de la municipalité annonce la volonté d’éliminer les arbres qui ont pris trop de hauteur, plusieurs arbres d’assez grande taille ont été conservés. Avec des branches grossièrement cassées, sûrement que l’abatteuse ne passait pas.

Une voie verte, large, bétonnée et en pointillés

Ces arguments liés à la sécurité sont contradictoires et légers par rapport à la lourdeur du bilan écologique. C’est alors que la lumière se fait avec une deuxième justification : la future voie verte qui reliera Limoges à Vassivière. Ou plus sagement Limoges à Saint-Léonard de Noblat. Ou plus probablement Limoges au Palais-sur-Vienne... C’est qu’il faut rester raisonnable face à ce projet aussi souvent évoqué que reporté : l’association Véli-vélo date son premier tracé à 1998, avec une révision en 2005. D’ailleurs, faut-il vraiment pleurer cette future voie verte, vu l’empressement de l’agglomération à bétonner les itinéraires piétonniers et cyclistes ? Il n’y a qu’à voir les chemins des parcs de la ville de Limoges : du béton, pour ne pas crotter les souliers du dimanche des promeneurs. De plus le texte de la ville de Panazol suggère d’élargir le sentier existant pour constituer la véritable voie verte, démontrant ainsi une conception très autoroutière de l’objet, comme le souligne le passant qui a annoté les panneaux municipaux...

Un sous-traitant connu pour sa poésie forestière

Un tel chantier n’aurait pas pu être mené sans une intervention extérieure : il paraît déjà difficile de dégager le chemin des quelques arbres qui y tombent, alors une telle coupe n’en parlons pas. C’est le mot clé « autofinancement », aujourd’hui indispensable en novlangue politique, qui est sorti du chapeau pour justifier l’appel à une société forestière extérieure. En effet, grâce à elle, il est possible de mécaniser le chantier, grâce à une abatteuse, et donc de faire rentrer les coûts dans la valorisation, c’est-à-dire la vente du bois. L’intervention d’une abatteuse, annonce toujours l’arrivée de la poésie dans le chantier forestier et c’est un habitué des chantiers bucoliques, International Paper, qui a remporté le pompon de l’appel d’offre, si appel d’offre il y a eu, aucun document n’en faisant état. Le texte de justification municipal évoque l’entreprise C.B.B.(Comptoir des Bois de Brive), un nom qui a l’air bien innocent mais qui est en fait une filiale de la papetière de Saillat-sur-Vienne, qui appartient elle-même à la multinationale américaine International Paper. Cette fililale est dévolue à la coupe de bois et on la croise souvent commettre ses méfaits dans le Limousin et au-delà, la plupart du temps sous la forme de coupes rases. Cette méthode présente l’avantage d’être économique pour les forts volumes de bois, ce qui est particulièrement intéressant pour la trituration, c’est-à-dire à la production de pâte à papier, une activité à faible valeur ajoutée qui se satisfait de la piètre qualité du sapin Douglas massivement planté dans la région (sur ce point, voir par exemple cette analyse de la filière bois en Limousin par l’assocation BSTCB).

Couper des arbres puis en replanter : une passion contemporaine

Le chantier de Panazol peut paraître anecdotique, mais on assiste à la répétition de massacres similaires, en Limousin notamment mais pas seulement. On peut citer celui qui a été organisé par le conseil départemental de Corrèze fin 2017 et a fait monter une belle contestation chez les habitants du département, y compris des élagueurs. C’est plus largement la question des arbres du Limousin qui ressurgit : champs industrialisés de pin Douglas, usine de bois-énergie à Bugeat, vente de forêt mature à Rochechouart. Si l’urbanisme contemporain, dans les villes comme dans les villages, passe souvent par la coupe d’arbres qui ne sont même pas encore adultes, il passe aussi très souvent par la plantation d’autres arbres, juvéniles. Qui seront coupés parce que malades d’être isolés dans un environnement urbain, ou parce que le pouvoir politique aura une nouvelle lubie...

Les arbres une fois coupés laissent voir la dérive de la pseudo-démocratie : à Panazol, le dernier conseil municipal s’est tenu début juin, la décision a été prise fin juin et n’a apparemment donné lieu à aucune consultation, ni des commissions, ni de la population. Mais, comme l’a dit récemment un adjoint au maire de Panazol [2] :

On ne peut pas réunir les commissions à chaque fois qu’il y a une décision à prendre.”

Déjà que les commissions ne servent à rien, si en plus il faut les consulter...



Notes

[2Phrase prononcée lors d’un conseil municipal plus tôt dans l’année, déjà à propos de reboisement.

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