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Le manque d’eau, un désastre écologique

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AGIR IMMÉDIATEMENT MAIS COMMENT ?

Un forum de réflexion et d’action ?

Alarmée par la situation vécue en Creuse, tout à fait nouvelle, à mon arrivée en juillet 2019, j’ai imaginé écrire tous azimuts, y compris à la préfète à Guéret, pour témoigner… mais surtout j’ai cherché les analyses précises qui avaient pu être faites sur ce qui se passe ici. L’eau est le sujet le plus politique qui soit, et le révélateur des dénis de tous sur un scandale permanent et de longue date. Car trop de choses sont en cause. J’en prends conscience vraiment aujourd’hui. L’eau est à l’évidence le problème majeur, bien plus que la question présentée de façon abstraite du CO2, ou même la question du nucléaire qui nous engloutira tous d’un seul coup. Le manque d’eau nous fera mourir à petit feu après avoir occasionné la perte de toute production, des forêts, et des guerres d’un nouveau genre de cruauté.

Le manque de pluie et les canicules répétées font surgir les dégâts causés de longue date par les politiques et les pratiques agricoles en Occident et en France. Celles-ci n’ont jamais tenu compte des mises en garde générales des agronomes et écologistes au plus haut niveau, entre autres sur la disparition progressive de l’eau. Selon le site de Propluvia, 85 départements français sont placés depuis mercredi 21 août en restrictions d’eau plus ou moins sévères. Mais ces mises en garde, faites par des gens compétents, sont à mon avis restées cependant à la surface des problèmes.

L’eau, un bien commun

Les holdings de l’agroalimentaire, les hommes politiques, les syndicats agricoles les plus puissants, l’Europe ont poussé dans la voie toujours plus folle de l’élevage industriel (en considérant que les animaux sont des objets qui doivent rapporter de l’argent), de l’agriculture industrielle, de l’utilisation des engrais chimiques, des pesticides divers, et surtout finalement de l’offre gratuite de l’eau, prélevée sur la collectivité, sans laquelle la folle marche vers toujours plus de rendements et de rentabilité s’effondrerait.
« Il suffirait » de se dresser face aux holdings et de leur dire : « Stop, désormais vous allez payer l’eau, et les citoyens gèrent l’eau, et décident à quoi elle doit servir », et c’en serait fini !

Bien sûr l’expression « il suffirait » est risible. Elle suppose régler tout ce que personne n’ose dire et n’ose faire ; elle suppose anéantir le pouvoir exorbitant de ceux qui ont l’armée et la police à leurs bottes ; elle suppose dépasser la peur des citoyens [1] de se lever en masse pour faire valoir une autre vision des choses alors qu’ils sont formatés à la sujétion (sauf qu’il y a eu les Gilets jaunes et leurs prédécesseurs !) ; elle suppose abolir tout le mépris des classes possédantes et de ceux « qui savent tout », envers les petites gens. Bref quel travail pour que la formule « il suffirait » apparaisse dans toute sa simplicité ! Si les obstacles ne sont pas levés, c’est le réchauffement qui va régler le compte des holdings, et le nôtre avec eux.

Mais ce qui me frappe, c’est le fait que les écolos eux-mêmes ne semblent pas croire en leur force potentielle, et paraissent avoir peur de se saisir de la question de l’eau dans toute son ampleur, l’eau qui est le bien commun de tous. Ce bien est littéralement confisqué ici, dans le centre de la France, par le lobby des éleveurs de bovins et celui des producteurs de maïs, ces lobbys n’étant pas clairement identifiés. Je réduis la question à sa plus simple expression car c’est ainsi qu’elle est vécue dans le territoire où je suis.

Le problème : l’agriculture industrielle

Aujourd’hui, avec les canicules répétées, il est clair que la terre brûlée peut devenir impropre à la culture, que le bétail, en surnombre du fait des politiques insensées et de la baisse de la consommation de viande, peut manquer de nourriture, de foin entre autres (car il n’y a pas de regain), et d’eau, que les zones humides sont en voie de disparition, que l’eau vient à manquer, que les épis de maïs seront réduits à zéro. Depuis des années, les autorités publiques auraient pu au minimum (!) faire payer l’eau à tous, et faire recueillir systématiquement toutes les eaux de pluie dans des citernes et aider les maisons à lier entre elles leurs gouttières, pour que la manne qui tombe parfois du ciel soit conservée.
Certains l’ont fait à titre privé de façon très astucieuse ; nous sommes nombreux à avoir mis des tonneaux sous les gouttières pour les jardins, mais ça n’a jamais été une politique publique, ni une revendication de ceux qui parlent d’écologie.

Pendant ce temps le lobby Suez fait payer l’eau du robinet à des niveaux extravagants aux citoyens. Quel prix font-ils aux éleveurs qui font appel à lui ? En Creuse par exemple, terre d’étangs, on voit ces derniers diminuer de volume, et être pollués par les algues dites bleues, toxiques, en raison des effets de l’agriculture industrielle sur une eau qui ne bouge plus, tandis que les éleveurs viennent toujours y pomper tous les jours de grandes quantités d’eau pour leurs bovins. On les voit sillonner les routes avec leurs gros tracteurs et leurs citernes. Ils le faisaient déjà mais aujourd’hui, les petits étangs étant vides, cela devient insupportable de les voir pomper l’eau dans ce qui fut de gros étangs. Pourtant personne ne désire apprendre que les bêtes d’un élevage sont mortes de soif. Alors tout le monde ouvre l’accès aux étangs et aux lacs, aux rivières encore disponibles. Certains étangs sont à sec suite à une gestion déplorable du conseil départemental de la Creuse qui trouve le moyen de vouloir nettoyer un étang et de le vider après un hiver de sécheresse. Les imbéciles prospèrent parmi ceux qui prétendent tout savoir. Ainsi le joyau de l’étang des Landes, réserve de poissons et d’oiseaux, est devenu une mare. (France Info, reportage sur YouTube, La Montagne du 14 août 2019)

Des rivières ne sont parfois plus que des filets d’eau à certains endroits (la Tardes, la Voueize, et bientôt le Cher), avec quelques bassins d’eau croupissante. Heureusement il y a encore des étangs, mais souvent envasés, remplis d’algues nocives, et qui ont recueilli tout ce qui est le plus mauvais venu des prés lorsque ceux-ci sont lessivés brutalement par une pluie. La conséquence la plus directe est la mort des arbres. Je n’ai jamais autant vu d’acacias et de chênes déjà morts ou en train de mourir.

L’élevage de bovins est soutenu par l’État au travers de nombreuses primes. Chaque éleveur tente d’avoir le plus grand nombre de bêtes au détriment de ce qui est utile. Quelques petites structures de 20 à 35 vaches subsistent mais les longs hangars de tôle de 100 à 300 bêtes sont légion, souvent les uns à côté des autres. L’odeur y est insoutenable. Il s’en est encore créé en 2018-2019. C’est à croire qu’une majorité d’éleveurs ont oublié qu’ils avaient une tête pour réfléchir. EDF a proposé aux éleveurs d’installer des hangars avec toiture photovoltaïque pour son compte, mais permettant l’engrangement des bottes de foin et de paille et un abri pour les tracteurs. Certains écolos qui hurlent contre les éoliennes ne disent apparemment rien contre ces énormes structures de tôles grises qui déparent le paysage, à côté de villages dont les maisons et les anciennes granges sont toutes en pierres de taille.

La conjonction d’un élevage de bovins intensif qui est à l’évidence en surproduction, mais préservé par l’État et l’Europe, avec l’arrosage en continu du maïs, va tuer le département. Le maïs ne peut donner des épis qu’à la condition d’être arrosé presque en continu. Cette conjonction, qui n’a rien à voir avec la satisfaction raisonnée de besoins humains, est en train, à l’aide du réchauffement, de faire mourir une terre, un département, plusieurs régions du centre de la France. Les zones humides au lieu d’être préservées sont systématiquement détruites par ces pratiques. La Creuse n’est qu’un exemple parmi d’autres. Des quantités de départements sont dans la même situation.
Oui il y a une modification du climat, mais il y a eu préalablement un comportement mortifère d’une classe sociale minoritaire, dévorée par l’idée du veau d’or, qui aujourd’hui montre sa stupidité comme jamais ça n’était auparavant apparu. Des citoyens n’en croient pas leurs yeux.

Des éleveurs désespérés, qui commencent à prendre peur, se refusent à poser les vrais problèmes et n’hésitent à faire des propositions contre nature, par exemple de « retenues d’eau dans les rivières souterraines » (La Montagne du 13 Juillet 2019) ) pour persister dans leurs erreurs, car ils sont tous endettés avec leurs beaux tracteurs, et paniquent devant la faillite. Les gens du pays les plus lucides disent que les banques sont les vrais propriétaires de ces élevages.

Les hommes politiques qui ont fourvoyé les éleveurs en les transformant en commis des banques ou salariés de l’Europe doivent rendre des comptes, exactement comme dans les affaires du sang contaminé ou de l’amiante, même si celles-ci n’ont pas abouti à faire punir les coupables. Il faut le faire pour rendre publics les vrais problèmes. Il faut nommer, caractériser : quels sont les lobbys qui sont là derrière ? À qui obéissent tous les ministres de l’Agriculture agenouillés devant la rentabilité ? À qui obéit cette vénérable Europe que la question de l’eau indiffère profondément, comme le reste ?

La faute au maïs ?

Venons-en à l’autre problème. Que signifie produire du maïs en France aux frais de la communauté en eau, en pompant sur ce bien commun ? L’eau, si elle n’était pas pompée gratuitement, rendrait le prix de revient du maïs inintéressant. Ce n’est évidemment pas l’eau du robinet qui arrose le maïs mais les nappes phréatiques, pour le plus grand bonheur des producteurs qui ont même fait du maïs en France une céréale d’exportation ! 45 % du maïs est exporté ! Car bien arrosée avec l’eau qui est notre bien commun, le maïs a un rendement exceptionnel. On croit marcher sur la tête mais on est tellement habitué à un formatage centenaire que nous laissons faire. Nous sommes devenus les « sujets » des holdings.

Isabelle Saporta a fait une brève étude sur la question du maïs dans un livre terrible qui dénonçait la cruauté de la production industrielle des porcs : Le Livre noir de l’agriculture  (2011 Fayard). Elle disait déjà, il y a 8 ans, tous les méfaits de la culture de cette céréale. Le maïs, cette céréale tropicale, se cultivait jadis chez les Incas en association avec les haricots grimpants et la courge, les trois plantes s’aidant solidairement à croître ensemble (préservation de l’humidité, lutte commune contre les insectes ravageurs…). On m’a ri au nez quand j’ai parlé de céréale tropicale ! La preuve en est qu’elle ne peut se passer d’eau pour croître, même si elle a déjà été modifiée génétiquement pour l’Europe.

Le maïs venu d’Amérique, introduit en Europe au XVIe siècle, est entré dans le système de polyculture de l’époque par l’Espagne. Puis elle parut tellement miraculeuse qu’elle a été propulsée en monoculture à la fin du XIXe siècle, dès que les cultures intensives à très haut rendement ont été imaginées avec la production des engrais chimiques. À condition d’utiliser un maximum d’eau ! Alors que la tradition paysanne reposait sur l’économie d’eau et souvent des semences résistantes à la sécheresse ! La grande faille de l’industrie chimique agricole, c’est l’eau ! Et la grande faille de la monoculture, c’est l’apparition et la multiplication des ravageurs. Il fallait bien qu’on asservisse les citoyens à n’être que la dernière roue de la charrette, qu’on leur lave les méninges, et qu’on en fasse les « sujets de la société de consommation » éternelle et dite démocratique, pour qu’ils aient (que nous ayons) laissé l’eau à la disposition des lobbys de l’industrie !

La responsable, c’est la chimie !

L’agronomie traditionnelle est, entre autres fondée sur la solidarité et la complémentarité d’une part des plantes et céréales, d’autre part des activités de production, où, en plus, rien ne se perd, tout se répare ou se transforme. Symbole puissant de ce que devraient être les interactions entre les humains et leurs activités. Aujourd’hui la concurrence a remplacé ces interactions.

L’industrie chimique à la fin du XIXe a fait naître l’idée que la chimie, vue comme une « magie », pouvait se substituer sans dommage à la polyculture traditionnelle. Dans la monoculture la chimie et le capital (l’argent) allaient révolutionner la production, les modes de culture et de vie par des rendements jamais vus. Peu ont vu à l’époque que cette nouveauté portait en elle une force destructrice majeure, nommée la « rentabilité ». Pas même franchement Marx qui a adoré l’industrie. Sismondi n’en fait pas état en tant que tel.
Les idéologues et les tenants du pouvoir ont appelé cela la science et la modernité, au détriment de la réflexion et de l’expérience hors du cadre d’une véritable connaissance de la nature. Ce qui n’était qu’une nouvelle connaissance de la manipulation du vivant, la chimie, aurait dû être envisagée avec d’infinies précautions.

Que répond-on à l’époque aux hésitations ? Un refrain bien connu : la science, donc la chimie, viendra à bout de tous les problèmes. La recherche scientifique orientée vers l’appât du gain s’engage alors dans les mais hybrides censés mieux résister aux maladies, au détriment de la qualité. Dans toutes les cultures céréalières, l’agroalimentaire crée des semences stériles, à l’aide des OGM, pour répondre aux inconvénients de la monoculture.
Vandana Shiva sur un terrain très général a fustigé ladite « révolution agricole » à partir des hybrides stériles céréalières, lesquelles sont affamés en eau. Et tout le monde a accepté, comme pour les bovins, ou autres animaux d’élevage, où l’intrant principal de la production de ces « marchandises » est gratuit : l’eau.

L’arrosage intensif a été interdit cet été. Il n’y aura donc pas d’épis de maïs. Certaines régions permettent l’arrosage de nuit pour « éviter l’évaporation », mais surtout pour qu’il ne se voit pas. Cette interdiction est catastrophique pour l’agrobusiness.

Si les éleveurs et les producteurs de maïs étaient dans l’obligation de payer l’eau au prix de l’eau du robinet, leur affairisme s’effondrerait, avons-nous dit. Au lieu de cela, l’Europe a imaginé (cyniquement ?) signer le CETA (qui fonctionne « à l’essai » déjà depuis deux ans avec le silence de tous) puis un autre accord de libre-échange avec le Mercosur. Ainsi la filière bovine sera anéantie par un commerce tueur, et « nous » bénéficierons des bovins trafiqués venus du Canada ou d’Amérique du Sud, et des cultures OGM à bas prix que nous refusons en France… jusqu’à ce que le problème de l’eau devienne insupportable sur le plan international. Il l’est déjà en Inde, et dans d’autres pays dont on parle le moins possible, comme en Afrique.

Pour finir, il faut ajouter que là où l’eau est le plus nécessaire d’un point de vue industriel, outre ce dont je viens de parler, ce sont principalement les centrales nucléaires, le gaz de schiste. Poser le problème de l’eau c’est donc bien mettre en question tout le système industriel tel qu’il est. Alors que fait-on ? À part causer et analyser, quelles actions ?

Quelques pistes :
Je suggère un forum où les milliers de gens qui pensent des choses approchantes de ce que j’exprime, et qui sont déjà engagés dans des expériences, fassent valoir des propositions, et qu’on envisage immédiatement des actions fortes : j’ai écrit dans une lettre à la préfète de la Creuse le 26 août 2019 les points suivants :
Plus aucun nouvel élevage de bovins, plus aucune nouvelle extension d’élevage mais un plan de diminution drastique du nombre des bovins, diminution des surfaces cultivées de maïs, interdiction de les arroser, exigence que la pollution soit prise en charge par les producteurs et que les pesticides cessent immédiatement, organisation de la récupération systématique des eaux de pluie, paiement obligatoire de l’eau sous une forme à mettre en place…

Qui peut ouvrir cette discussion ? Des tas de gens très divers. Eric Piole avait fait venir à Grenoble Aurélien Barreau. On peut recommencer avec les mêmes et d’autres. Des individualités peuvent ouvrir la discussion le plus démocratiquement possible, et faire susciter des actions dans des assemblées de citoyens. Qui disait « l’imagination doit être au pouvoir ? »

Hormis ce qui précède on peut ajouter les suggestions suivantes :

  • l’eau doit être gérée partout par des services publics contrôlés par les citoyens. C’est un rapport de forces qui devrait imposer cela.
  • le contrôle citoyen de l’eau peut être mis en place dans les villes, les villages, si ce rapport de forces est créé
  • la récupération de l’eau doit s’organiser au plus vite
  • le contrôle citoyen sur les productions doit s’organiser en même temps.
  • les lobbys doivent dégager. Les dettes des éleveurs et producteurs peuvent être effacées partiellement : à discuter au cas par cas. Il faut discuter de toutes les mesures intermédiaires à prendre pour ne pas achever de désespérer des gens qui ont été trompés.
  • que produire, comment produire, avec quoi produire : questions essentielles. Comment les citoyens peuvent se réapproprier la maîtrise de leur vie (un petit exemple à ne jamais oublier : celle des LIP).

Une grande discussion démocratique doit s’ouvrir.



Notes

[1Je parle en termes de « citoyens » intentionnellement et parce que c’est la seule réalité dont on peut se saisir. En 1789 les citoyens ont remplacé les « sujets ». Cette transformation était lourde de sens, elle introduisait la responsabilité et la participation, contre des rapports sociaux qui demeuraient évidemment injustes. Mais tout a été fait pour que les citoyens ne saisissent pas leur pouvoir potentiel sur la maîtrise collective de l’organisation de la société, et pour qu’ils redeviennent des sujets. Les citoyens sont de toutes les classes sociales. La lutte des classes passe aujourd’hui par la lutte des citoyens contre les holdings et contre la mainmise d’une poignée de gens sur toute la production utile à la vie. Les citoyens sont appelés à redresser la tête.