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Coronavirus, « Dehors, le cercueil, dedans la télévision, la fenêtre ouverte sur un monde fermé ! »

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Contester le danger du coronavirus relève à coup sûr de l’absurdité. En revanche, n’est-il pas tout aussi absurde qu’une perturbation du cours habituel des maladies fasse l’objet d’une pareille exploitation émotionnelle et rameute cette incompétence arrogante qui bouta jadis hors de France le nuage de Tchernobyl ? Certes, nous savons avec quelle facilité le spectre de l’apocalypse sort de sa boite pour s’emparer du premier cataclysme venu, rafistoler l’imagerie du déluge universel et enfoncer le soc de la culpabilité dans le sol stérile de Sodome et Gomorrhe.

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Quel cynisme que d’imputer à la propagation du fléau la déplorable insuffisance des moyens médicaux mis en œuvre ! Cela fait des décennies que le bien public est mis à mal, que le secteur hospitalier fait les frais d’une politique qui favorise les intérêts financiers au détriment de la santé des citoyens. Il y a toujours plus d’argent pour les banques et de moins en moins de lits et de soignants pour les hôpitaux. Quelles pitreries dissimulera plus longtemps que cette gestion catastrophique du catastrophisme est inhérente au capitalisme financier mondialement dominant, et aujourd’hui mondialement combattu au nom de la vie, de la planète et des espèces à sauver.
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Fallait-il le coronavirus pour démontrer aux plus bornés que la dénaturation pour raison de rentabilité a des conséquences désastreuses sur la santé universelle - celle que gère sans désemparer une Organisation mondiale dont les précieuses statistiques pallient la disparition des hôpitaux publics ? Il existe une corrélation évidente entre le coronavirus et l’effondrement du capitalisme mondial. Dans le même temps, il apparaît non moins évidemment que ce qui recouvre et submerge l’épidémie du coronavirus, c’est une peste émotionnelle, une peur hystérique, une panique qui tout à la fois dissimule les carences de traitement et perpétue le mal en affolant le patient. Lors des grandes épidémies de peste du passé, les populations faisaient pénitence et clamaient leur coulpe en se flagellant. Les managers de la déshumanisation mondiale n’ont-ils pas intérêt à persuader les peuples qu’il n’y a pas d’issue au sort misérable qui leur est fait ? Qu’il ne leur reste que la flagellation de la servitude volontaire ? La formidable machine médiatique ne fait que ressasser le vieux mensonge du décret céleste, impénétrable, inéluctable où l’argent fou a supplanté les Dieux sanguinaires et capricieux du passé.
Le déchaînements de la barbarie policière contre les manifestants pacifiques a amplement montré que la loi militaire est la seule chose qui fonctionnait efficacement. Elle confine aujourd’hui femmes, hommes et enfants en quarantaine. Dehors, le cercueil, dedans la télévision, la fenêtre ouverte sur un monde fermé ! C’est une mise en condition capable d’aggraver le malaise existentiel en misant sur les émotions écorchées par l’angoisse, en exacerbant l’aveuglement de la colère impuissante.
Mais même le mensonge cède à l’effondrement général. La crétinisation étatique et populiste a atteint ses limites. Elle ne peut nier qu’une expérience est en cours. La désobéissance civile se propage et rêve de sociétés radicalement nouvelles parce que radicalement humaines. La solidarité libère de leur peau de mouton individualiste des individus qui ne craignent plus de penser par eux-mêmes.
Le coronavirus est devenu le révélateur de la faillite de l’État. (...)
Le coronavirus a fait mieux encore. L’arrêt des nuisances productivistes a diminué la pollution mondiale, il épargne une mort programmée à des millions de personnes, la nature respire, les dauphins reviennent batifoler en Sardaigne, les canaux de Venise purifiés du tourisme de masse retrouvent une eau claire, la bourse s’effondre. l’Espagne se résout à nationaliser les hôpitaux privés, comme si elle redécouvrait la sécurité sociale, comme si l’État se souvenait de l’Etat-providence qu’il a détruit.
Rien n’est acquis, tout commence. L’utopie marche encore à quatre pattes. Abandonnons à leur inanité céleste les milliards de bank-notes et d’idées creuses qui tournent en rond au-dessus de nos têtes. L’important, c’est de « faire nos affaires nous-mêmes » en laissant la bulle affairiste se défaire et imploser. Gardons-nous de manquer d’audace et de confiance en nous !
Notre présent n’est pas le confinement que la survie nous impose, il est l’ouverture à tous les possibles. C’est sous l’effet de la panique que l’Etat oligarchique est contraint d’adopter des mesures qu’hier encore il décrétait impossibles. C’est à l’appel de la vie et de la terre à restaurer que nous voulons répondre. La quarantaine est propice à la réflexion. Le confinement n’abolit pas la présence de la rue, il la réinvente. Laissez-moi penser, cum grano salis , que l’insurrection de la vie quotidienne a des vertus thérapeutiques insoupçonnées.
17 mars 2020
Raoul Vaneigem

A lire intégralement dans lundimatin#234.