Se Connecter

Inscription

A propos de la prise en charge des mineurs étrangers isolés en Creuse

|

En France, quand les représentants légaux d’un jeune mineur sont absents ou dans l’incapacité de s’occuper de lui, la loi stipule que c’est à la collectivité publique de le prendre en charge. Remarquez bien, la loi française ne fait pas de distinction entre mineur français ou étranger : un jeune est un jeune et il faut s’en occuper, quelle que soit son origine. Nous pouvons être fiers de cette bienveillance de notre droit.

En Creuse, nous avons la chance d’avoir quelques dizaines de jeunes mineurs arrivés de l’étranger sans parents et sans personne pour les accueillir ici (beaucoup viennent d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, mais aussi d’Europe de l’Est ou d’Afghanistan). C’est une chance parce que ces jeunes ne pensent qu’à une chose : aller à l’école, apprendre un métier et travailler. Les enseignants, formateurs, maîtres d’apprentissage sont le plus souvent enchantés d’avoir des jeunes aussi motivés et qui savent pourquoi ils sont là. C’est une chance aussi parce que ces jeunes, dans leur majorité, sont prêts à faire leur vie en Creuse, et ce faisant à combler notre démographie déficitaire.

Le conseil départemental de Creuse ne respire pas l’hospitalité

Alors on se dit que notre conseil départemental, par l’action son service d’aide sociale à l’enfance (ASE), doit réserver un très bon accueil à ces jeunes qui ne posent pas de problèmes, qui ne vont pas coûter grand chose à former (2 à 3 années) et qui vont faire la richesse du pays. Eh bien non ! On se trompe ! Le CD23 ne respire pas l’hospitalité, c’est le moins qu’on puisse dire. D’abord, et contre toute attente, l’ASE fait une grosse différence entre mineurs français et mineurs étrangers. Impossible, direz-vous, puisque la loi ne fait pas de distinction. Eh bien si, c’est possible, parce qu’à l’ASE de la Creuse, la loi, on s’assoit dessus.

Concrètement, ça donne : une fois les jeunes filles et les plus jeunes garçons placés dans des familles ou en foyer, les autres sont logés à l’IRFJS [1] (bien loin du centre de Guéret pour ne pas être vus) et on leur colle une unique personne référente (vu leur nombre, c’est clairement pas assez), une personne qui en plus n’a aucune expérience en la matière (avant elle s’occupait d’insertion professionnelle des adultes) et qui n’est pas particulièrement enchantée de se coltiner ce public.

L’une des premières choses qui est annoncée à ces jeunes quand ils arrivent à l’IRFJS, c’est que la personne référente ne s’occupera pas de leurs démarches administratives. Par exemple, s’il leur faut un passeport ou une carte consulaire (c’est obligatoire pour pouvoir demander un titre de séjour quand on a 18 ans), ils n’ont qu’à se débrouiller ! Ailleurs c’est le CD qui prend en charge ces démarches et accompagne les jeunes. En Creuse, ce sont des bénévoles associatifs qui emmènent les jeunes dans les ambassades et les consulats, à leurs frais, puisque les jeunes, on s’en doute, n’ont pas un sou en poche...

Des professionnels aux abonnés absents ?

Ah oui, d’ailleurs ça marche comment du côté financier [2] ? C’est simple, en France, un jeune placé à l’ASE a droit, de la part du CD, à une allocation d’entretien (dans les 400 euros par mois, versés à la famille d’accueil éventuelle), une prime de vêture, une aide pour les loisirs, une allocation de rentrée scolaire, un cadeau de Noël, et surtout à de l’argent de poche mensuel (autour d’une cinquantaine d’euros). En théorie, les éducateurs et les familles d’accueil vous le diront, l’argent de poche est donné directement au gamin qui peut l’utiliser comme il l’entend (pour s’acheter des bonbons, se payer un ciné ou des écouteurs, économiser pour s’offrir ses baskets rêvées, etc.). Eh bien, à l’IRFJS, d’abord, c’est pas tout le monde qui a droit à de l’argent de poche. Vous croyez que je blague ? Pas du tout : il y a des jeunes qui n’ont pas un centime en poche, et on les laisse comme ça. Peut-être qu’on attend qu’ils volent, qu’ils se prostituent, qu’ils fassent la manche ou qu’ils trouvent un travail au noir. En tout cas c’est une pratique courante. Et pour ceux qui ont la chance d’avoir droit à 50 euros par mois (ou même pas tous les mois), devinez à quoi ça sert : à acheter du crédit pour le téléphone, du dentifrice et du shampoing (à quand le papier toilette aussi ?), parce que ces articles de luxe ne sont évidemment pas fournis par le CD23.

Dans ces conditions, leur dire qu’ils doivent se débrouiller pour payer les démarches pour obtenir des documents d’identité (et à 18 ans pour payer les timbres fiscaux pour leur demande de titre de séjour), c’est sacrément cynique, non ? Bienvenue à l’IRFJS.

Je ne mentionne pas l’absence totale de prise en charge psychologique de ces jeunes qui en ont vu de pas tristes chez eux et au cours de leur voyage pour arriver ici, l’absence d’activités organisées pour eux (du coup ils passent des heures sur les écrans de leurs téléphones portables, ce qui est une excellente chose que tous les psys recommandent, comme chacun sait), ou encore les règles spéciales de confinement qui leur interdisent de sortir même pour aller s’acheter une brosse à dents au supermarché d’à côté (il ne faudrait pas qu’ils croient qu’ils ont les mêmes droits que la population, et puis quoi encore ?).

Quand on aura dit que c’est encore aux jeunes de se débrouiller pour trouver des stages, un apprentissage ou faire une demande de contrat jeune majeur (tout ce dont les jeunes d’ici, pourtant parfaitement francophones, sont le plus souvent incapables), on aura à peu près fini de dresser un tableau fort réjouissant : en gros, si une famille s’occupait de ses enfants de cette façon-là, on dirait avec raison des parents qu’ils sont, au mieux, négligents, plus vraisemblablement, maltraitants.

Et quand ce sont les professionnels de l’aide sociale à l’enfance, que faut-il dire ?

J-P M


P.-S.

Pour aller plus loin, écouter Karine Parrot https://universiteouverte.u-cergy.fr/quel-avenir-pour-le-droit-dasile/


Notes

[1Institut régional de formation jeunesse et sport.

[2Il y a une délibération qui fixe les montants qui sont accordés aux jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) (66 euros par mois pour se fringuer, 50 euros par mois d’argent de poche, 300 euros par an pour les loisirs, 70 euros à Noël, 180 pour la rentrée scolaire au lycée, 8 euros par jour pour les vacances, 80 s’ils réussissent leur CAP, 180 pour s’acheter un vélo, 500 euros et le BSR s’ils ont besoin d’une mobylette pour aller en apprentissage, le BAFA s’ils veulent s’orienter vers l’animation), thune dont les jeunes étrangers n’ont jamais vu la couleur.