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Confinés et asphyxiés

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L’agrochimie ne s’est pas confinée, ici comme ailleurs. Récit d’une haut-viennoise.

Mercredi 22 avril 2020. Le printemps bat son plein au cœur de cet après-midi ; les arbres, tout au moins ceux qui restent, ont mis leurs feuilles, la végétation fourmille de vie ! Nos enfants sont en vacances. Confinement oblige, nous ne pouvons aller bien loin mais nous avons la chance d’habiter une petite commune de campagne, en Limousin, au pied des monts de Blond : la commune de Javerdat.
Nos garçons ont rejoint le jardin ; ils sèment, ils plantent, ils binent enivrés par les senteurs de l’aubépine voisine. Mais, tout à coup, une odeur suffocante les prend à la gorge. Maux de tête, nausées ; le voisin traite son champ de blé juste à côté. Il ne nous a pas prévenus ; c’est son droit. Puis il est reparti chez lui, comme il est venu, dans un lieu épargné ; c’est son droit.
Il faut se fermer à la maison, couper la ventilation, se barricader … Deux heures plus tard, nous voulons achever le travail engagé. Nous sortons, l’air est irrespirable, nous rentrons. Fini le jardin pour aujourd’hui. Que faire ? L’agriculteur a agi en toute légalité : il a traité par vent très modéré mais orienté en notre défaveur, tant pis pour nous. Sur quelques mètres, il a coupé l’aile droite de son pulvérisateur, par élégance. Mais son produit ne s’est pas arrêté aux bornes de sa terre ; il s’est dispersé, répandu dans les airs.
Certes, il avait le choix de ne pas cultiver la parcelle riveraine ou la cultiver autrement mais il avait aussi le droit de le faire, de disséminer chez nous des substances volatiles, invisibles qui régulièrement envahissent nos petits coins de vie jusqu’à nous priver du simple droit de respirer, d’exister …
Nuire en toute légalité ? « Mais c’est la loi qui veut ça », dit-on. La loi, choisie par les lobbies de la chimie, la loi qui permet de nuire aux agriculteurs pris au piège de la servitude volontaire et aux riverains, pris au piège de la servitude involontaire. La loi, source de guerre entre voisins, la loi qui divise pour mieux régner, la loi, qui amène, ici comme ailleurs, les campagnes à se dépeupler faute de forces pour résister, la loi qui est en train de transformer le Limousin en médiocre Beauce céréalière, la loi qui traque le vivant : incapable d’en faire son partenaire, elle l’invite aveuglément à en faire son ennemi avec des pandémies comme celle que nous connaissons actuellement …
C’est ici comme ailleurs, alors est-ce banal ou est-ce un scandale ? Confinés, asphyxiés, cependant qu’on nous invite à oublier, à vivre anesthésiés en tant que télé-humanité, les lobbies de la chimie et de la « smart technology » écrivent notre avenir, bornent le chemin de nos territoires mais rassurons-nous, avec précision... L’agriculture « de précision », le traçage de nos vies par précision auront-ils raison de nos paysannes et paysans nourriciers qui, sachant cultiver en paix avec le vivant et les gens, nous invitent à résister ?

Nicole Pignier,
professeure des universités, université de Limoges, directrice de la Cellule de recherches interdisciplinaires Ecole du jardin planétaire, habitante de Javerdat en Haute-Vienne.