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Affaire du 15 juin : où en sont nos camarades ?

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Début octobre, était mis en ligne sur La Bogue l’interview réalisée par Radio Vassivière, radio associative du Plateau de Millevaches, de Marie-Claire, l’une des trois mis.e.s en examen pour l’affaire du 15 juin.
Ses propos ont été retranscrits et elle les a enrichis de quelques réflexions.
En pièces-jointes, deux documents permettront d’avoir les dernières nouvelles (dont des bonnes, enfin). L’un concerne les contrôles judiciaires, le second rappelle les principaux événements depuis ce funeste 15 juin 2021.

Chronique d’une arrestation ordinaire

Rappel des faits

Le 15 juin 2021, dans plusieurs endroits du Limousin, la police antiterroriste a arrêté une dizaine de personnes entre la Creuse et la Haute-Vienne. Douze personnes ont été perquisitionnées, six ont été mises en garde à vue dont certaines pendant 4 jours, trois seront mises en examen sous contrôle judiciaire. Les faits instruits dans l’enquête menant à ces arrestations sont, d’une part, des incendies qui ont eu lieu début 2020 à Limoges sur des véhicules Enedis avec des revendications taguées contre le déploiement des compteurs Linky et, d’autre part, début 2021, près de Limoges, l’incendie du relais des Cars sur des émetteurs de tv, téléphone. Les accusations vont de "destructions en bande organisée" à "participation à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation (…) d’un ou plusieurs crimes ou délits punis de 10 ans d’emprisonnement" soit la fumeuse "association de malfaiteurs".

Interpellation

Danièle :
Tu es à la retraite depuis un an. Tu as été toute ta carrière institutrice, impliquée syndicalement et dans la vie locale. Ta sensibilité pour le vivant t’a amenée à t’intéresser à des problématiques rangées sous l’étiquette de l’écologie. Tu chantes dans des chorales qui donnent de la voix à ces problématiques. Il y a quinze mois, le 15 juin 2021, tu as été violemment interpellée chez toi avant d’être mise en examen sous le chef d’inculpation d’association de malfaiteurs. Est-ce que tu peux nous décrire les conditions de ton arrestation ?

Marie-Claire :
Le 15 juin 2021 à 6h15 du matin, je dormais encore. Je m’apprêtais à me réveiller et à aller à l’école pour une dernière ligne droite avant ma retraite, puisque c’était trois semaines avant les vacances scolaires et la fin de ma carrière. J’ai entendu des cris dehors. Je me suis levée et ai regardé par la fenêtre. J’ai vu un spectacle ahurissant. Le hameau était rempli de gens en uniformes, surarmés, avec des cagoules. Un mauvais cauchemar en somme. Mais ce n’était pas un cauchemar ; c’était bien chez moi, enfin dans mon hameau, que ça se passait. J’ai eu très peur. J’ai compris que c’était chez mon voisin que ça hurlait. Je suis descendue, paniquée, en imaginant le pire. Je suis sortie et dans le même temps des policiers sont arrivés à ma porte. J’ai demandé : « Qu’est-ce qu’il se passe, enfin ? ». On m’a attrapée, rentrée dans la maison, mis les menottes, assise sur mon canapé et je me suis dit : « Ouf ! Ce n’est pas mon voisin. Il n’y a pas eu de malheur en fait ! ». Je crois que la redescente a été salutaire pour moi. Je ne suis pas retournée en panique et mon cerveau s’est déconnecté en fait. Cette situation était tellement surréaliste. Je ne comprenais pas du tout ce qu’ils faisaient chez moi, pourquoi il y avait autant de monde, pourquoi ils m’avaient mis les menottes. On m’a lu un chef d’inculpation avec toutes les accusations. Je ne comprenais absolument rien de ce qui se passait. Ce qui m’importait sur le coup c’était de demander : « Vous faites quoi ? Pourquoi vous êtes chez moi ? » et on me répondait « Ouh ! lala ! Mais madame si on est là ce n’est pas pour rien ! On sait tout, vous êtes au courant forcément. » Je ne comprenais rien à rien. J’ai demandé : 
« Mais vous faites quoi là ? 
On va perquisitionner et vous emmener ».
 Alors j’ai dit : « Non, non, là, il faut que j’aille à l’école ! » ce qui a déclenché des éclats de rire dans les uniformes et ils ont continué :
« Vous savez, ce qu’il vous arrive c’est grave, l’école n’est pas la priorité.
Oui mais moi je suis directrice d’école et on m’attend. »
Devant mon insistance, ils ont appelé l’inspection de l’éducation nationale pour prévenir. J’étais obnubilée par cette histoire qu’il fallait que je prévienne, que je ne pouvais pas quitter l’école comme ça. C’était un mardi matin en pleine semaine.
Donc il y a eu la perquisition de la maison qui a duré des heures et des heures. Il fallait que je suive. Ils me posaient des questions, je ne répondais pas forcément. Il fallait que je suive parce que je devais être présente et témoin de ce qu’ils fouillaient, prenaient pour mettre dans les scellés. Tout un protocole complètement dingue qu’on voit dans les films ou qu’on lit dans les livres. C’est à ce moment-là, en observant, que j’ai réalisé qu’il y avait la SDAT (sous direction de l’antiterrorisme), le PSIG d’Aubusson, la police judiciaire. J’ai appris plus tard qu’il y avait des gendarmes qui barraient les routes d’accès au hameau. Cette opération avait commencé très tôt dans la nuit.
Après on m’a emmenée à Limoges, menottée dans le dos pour un voyage de 1h30 avec déviations et erreurs d’itinéraire grâce à l’abus de confiance en un GPS de la part de personnes ne connaissant pas le territoire. Il y avait beaucoup de gens rassemblés dans le hameau et qui étaient apparemment très choqués de ce qu’il m’arrivait. Et ça m’a fait du bien de les voir. Je me suis dit okay ils m’emmènent à Limoges, très bien, on va suivre, ça va se régler, qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie.

Garde à vue

Ce n’était pas une plaisanterie. Puisqu’une fois arrivée à Limoges je suis restée quatre jours en garde à vue, l’ancien régime de l’antiterrorisme qui est maintenant passé dans le droit commun. Et on m’a interrogée longuement. J’ai été accompagnée par un avocat qui m’a beaucoup soutenue et qui m’a demandé de garder le silence [à ce propos se reporter à l’article [https://labogue.info/spip.php?article1331]]. Je ne comprenais rien de ce qu’on me disait et je ne connaissais rien de ce dossier. C’est un droit de garder le silence en garde à vue et je le conseille vivement à tout le monde parce qu’on est dans un état psychologique de choc, on ne sait pas de quoi on nous parle et parce que l’avocat ne connaît pas le dossier lui non plus. Il n’y a que les policiers, en face, qui connaissent le dossier, qui essaient de piéger les gens jusqu’à ce qu’ils s’accusent eux-mêmes. C’est vraiment un travail de psychologie sur les gens et on n’est pas à armes égales avec eux. On est en état de choc, on n’est pas formé ni pour manipuler les gens ni pour résister à ces stratégies de manipulation.
À la sortie de ma garde à vue, la juge, après avoir entendu un résumé de l’affaire par la police, m’a mise en examen sous contrôle judiciaire pour association de malfaiteurs. C’est-à-dire qu’on a des amis qui sont peut-être impliqués dans des actions, des délits, qui se retrouvent au centre d’une enquête et on peut être accusé d’association de malfaiteurs. Ce mot fait très très peur mais ça peut arriver à tout le monde. C’est, pour reprendre un terme que l’on a beaucoup entendu dans un autre contexte, ce que j’appelle « cas contact d’un cas suspect » !

Danièle :
À l’occasion de cette affaire tu as découvert que tu as fait l’objet, pendant plusieurs mois avant l’arrestation, d’une surveillance policière particulière.

Marie-Claire :
Dans les interrogatoires, pendant les 4 jours de garde à vue, on commence à comprendre pourquoi on est là, quelle est la logique du récit policier qui fait qu’on est venu m’arrêter. Même si ça paraît délirant, il faut essayer de comprendre leur logique à eux, ce qu’ils se sont racontés pour aller me chercher, moi. Et effectivement, on s’aperçoit qu’on a été surveillé. Et puis après, en ayant accès au dossier – puisqu’en tant que mis en examen on a accès au dossier de l’instruction – il y a une autre violence : on a été suivi, écouté, les courriers éventuellement lus, les domiciles des amis chez qui on était sur écoute, les voitures, les téléphones. Je me suis aperçue que des policiers de la SDAT étaient envoyés à Limoges pour suivre les manifestations. La SDAT – sous direction de l’antiterrorisme - on voit tout de suite des trucs horribles, les attentats, des massacres. Mais il faut savoir qu’il y a un tiers des effectifs qui est dédié à la surveillance des militants notamment ceux qu’ils disent d’ultragauche et/ou écologistes. Alors les agents de la SDAT suivent des gens en manifestation pour voir leur attitude, leurs liens avec d’autres. Ils font du renseignement. Il s’agit de manifestations autorisées, où je suis allée, pour la défense des retraites, du service public, du climat, où en général je chante. D’ailleurs la récolte était maigre : on n’a rien su me reprocher durant ces manifestations.

Contrôle judiciaire

Danièle :
Après la garde à vue, tu as pu retourner chez toi, placée sous contrôle judiciaire. De quelles contraintes il s’est agit jusqu’à maintenant ? Tu as fait plusieurs fois appel pour obtenir la levée de ce contrôle. Peux-tu nous dire ce que ça implique de vivre avec ça ?
Marie-Claire :
Quand je suis sortie de garde à vue, j’ai été placée sous un contrôle judiciaire sévère (heureusement à ce jour Marie-Claire n’est plus sous contrôle judiciaire lire le doc en PJ) : je ne pouvais pas sortir du département de la Creuse, or j’habite à la frontière de trois départements – Creuse, Corrèze, Haute-Vienne et quand on habite sur le plateau de Millevaches, la vie sociale, économique, relationnelle, etc. se déroule sur les trois départements. D’ailleurs ma fille et mon petit-fils habitent à 10 km… en Corrèze. Donc je ne pouvais pas aller voir ma fille ni mon petit fils ; je ne pouvais pas aller au marché à Eymoutiers (tout le plateau y va au marché), au cinéma Art et essai, à la piscine sans chlore de Saint-Léonard-de-Noblat, bref, c’était assez cauchemardesque. J’avais une vision très traumatisante du territoire avec la Creuse et moi tout au bout, tout près du barbelé qui entourait ce département. Je n’avais pas le droit de participer à des manifestations sur la voie publique, je n’avais pas le droit de voire cinq personnes dont deux inculpé.e.s et trois qui ne le sont pas, qui avaient le droit d’aller où ils voulaient mais je ne pouvais pas avoir de contact avec ces gens qui ne sont d’ailleurs pas dans mon cercle d’amis. Je devais également pointer tous les quinze jours à la gendarmerie de Gentioux. Je crois que je n’ai rien oublié. Ça a duré six mois. On a fait plusieurs demandes avec mes avocats pour lever ce contrôle judiciaire, ça a été refusé à chaque fois. En faisant appel on a obtenu quelques miettes au fur et à mesure. Les quelques miettes c’était : d’accord vous pouvez aller partout mais pas en Haute-Vienne. Là, l’image de mon territoire s’est transformée en un vaste espace avec un trou à la place de la Haute-Vienne. Je pouvais quand même participer à un concert de chorale, la juge ayant précisé que manifestation publique ne voulait pas dire un concert de chorale dans la rue ou une place publique ce qui me permettait de continuer à chanter et à pratiquer une activité culturelle que j’adore. Le reste n’avait pas bougé. Puis dernièrement, ça c’est un peu allégé de nouveau : je peux aller partout, en France ; avant je pouvais aller à l’étranger et j’avais uniquement la Haute-Vienne d’interdite, maintenant je n’ai plus l’autorisation pour l’étranger ! Ce sont des écritures. Ils ne se rendent pas compte qu’en nous donnant quelque chose ils nous en enlèvent ; ça c’est… la justice ! Et je dois pointer seulement une fois par mois à Gentioux, ce qui tombe bien parce qu’il n’y a pas souvent de fonctionnaires à la gendarmerie de Gentioux et c’est assez difficile pour pouvoir signer le contrôle judiciaire. Apparemment la brigade de Gentioux-Pigerolles est « mutualisée » avec Felletin et Royère-de-Vassivière et, comme partout dans le service publique, il y a un manque d’effectifs. Donc, théoriquement, il y a une permanence de 14 à 18 heures le mardi, mais souvent ils sont en opération à l’extérieur, etc. Donc quand j’allais pointer, souvent il n’y avait personne, je devais sonner, être en communication avec Felletin qui me disait « Ah ! C’est pas possible, il faut appeler ». Donc il faut prendre rendez-vous avec les gendarmes pour signer son contrôle judiciaire !

Gérard :
Précisons que nous sommes dans un département rural, que Felletin est à 25 km de Gentioux et qu’ils ont du mal à mettre en place un contrôle judiciaire avec pointage en gendarmerie. Donc situation kafkaïenne…

Marie-Claire :

Souvent, ils sont agacés eux aussi par ça parce qu’ils doivent faire des allers retours juste pour me faire signer, ils doivent trouver des gendarmes qui sont en opération ailleurs, je dois revenir le lendemain. Il m’est arrivé de mettre trois jours avant d’avoir un rendez-vous pour pouvoir signer.
Un contrôle judiciaire, théoriquement, sert pour les besoins de l’enquête. Donc c’est pour éviter la réitération des faits – avec l’association de malfaiteurs je ne voix pas ce que ça peut être… il ne faut plus que j’ai d’amis ! Le contrôle judiciaire est aussi mis en place pour éviter une communication entre les inculpés, la préparation d’un récit commun ou la destruction de preuves. Ce sont des interdictions et des obligations qui sont plus ou moins contraignantes pour les personnes. Il faut savoir que le contrôle judiciaire est appliqué à des gens qui n’ont pas forcément une implication énorme dans certains dossiers. On pourrait croire qu’un contrôle judiciaire c’est parce qu’on a des preuves, des éléments vraiment importants pour mettre en examen les gens. En fait non ! Il y a eu un glissement de la Justice depuis quelques années. Dans la logique de "justice", pour être mis en examen, sous contrôle judiciaire, il faudrait que les enquêteurs aient des éléments probants. Maintenant il suffit de faisceaux d’indices concordants, des soupçons de corrélations. C’est très flou.

Gérard :
« des raisons plausibles de supposer que... »

Marie-Claire :
Exactement ! Le conditionnel est vraiment surexploité. On met en examen, sous contrôle judiciaire voire en détention provisoire des personnes que les renseignements génér"eux" désignent comme potentiellement "activistes", sans preuves et en foulant aux pieds joyeusement la présomption d’innocence. Quand on croit encore à la Justice, à son fonctionnement, on se dit que les gens placés en détention provisoire ont forcément été pris en flagrant délit ou qu’il y a des preuves. Mais non, pas du tout. Les contrôles judiciaires, c’est pareil, il n’y a pas forcément de preuves. La garde à vue et les arrestations spectaculaires servent éventuellement à recueillir des aveux, faire pression sur les gens, les faire craquer. Une perquisition sert à chercher des preuves, à faire du renseignement, à faire des liens entre les gens, les militants, etc. C’est un peu gratuit, le contrôle judiciaire, en France. Sauf que c’est une atteinte à la liberté des gens, c’est une souffrance psychologique, sans compter les arrestations qui sont d’une violence inouïe.

Danièle :
On peut dire aussi que c’est une forme de punition avant un jugement qui n’interviendra peut-être que dans plusieurs années.

Marie-Claire :

Oui, c’est l’idée. C’est le sentiment qu’on a face à ces mesures arbitraires, injustes. On se dit okay ils nous détestent. Ils nous détestent mais pourquoi ? On essaie de s’opposer à une logique mortifère de ce monde, on essaie de dénoncer des abus sur le vivant, sur les gens, le social, etc. On n’est pas de leur bord. C’est une sorte de punition sans jugement, d’avertissement et de menace sur le seul critère de nos opinions politiques qu’on n’avait pas cru utile de taire !
Les journaux s’en donnent à cœur joie avec des titres terrifiants et des descriptions de personnes qui sont tout aussi claires que s’ils donnaient leurs noms et prénoms. Encore une violence, médiatique celle-là, tentant de démolir la réputation de personnes pour vendre des journaux en flattant du côté du manche.
Après mon arrestation, le directeur académique m’a suspendue de mes fonctions de directrice d’école et d’enseignante, à titre conservatoire, pour me protéger et protéger le service a-t-il précisé. Sauf qu’il n’a fait que bafouer la présomption d’innocence à laquelle j’avais droit et m’a volé ma fin de carrière contre mon avis, celui des élus de Gentioux-Pigerolles et des parents d’élèves qui avaient communiqué à monsieur le directeur académique leur souhait de me voir terminer l’année scolaire dans l’école communale.
C’est une telle violence, sur la violence déjà subie, que je n’ai pas de mots pour décrire mes sentiments d’alors. Une longue période de dépression nerveuse et d’abattement a suivi cette décision cruelle et inhumaine.

Danièle :
En plus de ça pour te défendre tu as du dévoiler une partie de ta vie intime en rendant publique le fait que tu avais une relation affective avec une autre personne inculpée dans cette affaire. Comment tu as vécu ça ?

Marie-Claire :
Comme une autre violence, une énième violence. Toute cette affaire n’est que violence de la part de la police et de la justice. En ce qui me concerne, je trouve que c’est un véritable scandale. On n’est plus dans un État de droit. On ne peut plus sérieusement croire ni en la démocratie ni en la justice de ce pays. C’est une orchestration d’injustice, de pression sur les gens, d’humiliation de la part d’un pouvoir arbitraire et il faut bien qu’on sente ce poids sur la nuque. Tout est fait pour qu’on le sente bien, à chaque instant. Et effectivement, se faire arrêter chez soi, gardée à vue, mise en examen, placée sous contrôle judiciaire, et après ; qu’est-ce qu’il nous reste pour nous défendre ? Alerter l’opinion publique en disant : « Regardez ce qu’il se passe, ce qu’on nous fait ». Il reste à dévoiler des choses intimes auxquelles ils se sont attaquées et étaler sa vie. De toute façon, eux, sont allés gratter dans notre vie. Ils ont fouillé partout, alors on le publie aussi parce qu’il faut que les gens comprennent ce qu’il nous est arrivé. C’est difficile de garder dans l’intimité les choses qui ont été violées par la police et la justice, et de demander aux gens de comprendre qu’on est dans une situation terrible. En fait on est obligé à un moment d’expliquer aux gens que dans toutes ces violences et ces injustices, il y a encore une violence et une injustice supplémentaire. Nous avions une relation amoureuse depuis trois ans Anne et moi. Pourquoi la justice a-t-elle utilisé cette information pour faire pression sur nous deux ? Serait-ce de l’homophobie, l’occasion de profiter d’une situation ? Depuis plus de 16 mois, je n’ai pas pu revoir Anne mise en examen elle aussi. Comment peut-on justifier de séparer deux personnes qui s’aiment, briser leur vie pendant des mois, des années peut-être sans même leur permettre de s’expliquer sur les faits qui leur sont reprochés ?
Pendant un an la justice n’a pas eu le temps de nous entendre et même après un premier interrogatoire elle continue à nous broyer en silence. Notre relation amoureuse n’est sans doute pas conforme au modèle de la famille nucléaire hétéronormée et peut-être paie-t-on pour ça aussi, en 2022, en France, comme beaucoup de personnes qui pensent et vivent différemment de la norme dominante ?
Nous sommes des victimes parmi tant d’autres de cette machine à élaguer tout ce qui dépasse.
Cette souffrance qui nous est infligée depuis trop longtemps maintenant, nous avons décidé de la rendre publique parce que cette situation n’est plus tenable pour nous. C’est notre intimité que l’on jette en pâture parce qu’on n’a plus le choix, parce qu’on nous la refuse.
Oui c’est, avec toute la retenue que je peux avoir, car malgré ce qu’ils disent - ils m’ont classée dans les ultra je n’sais pas quoi – je suis quand même une personne assez réservée et raisonnable, mais c’est une colère qui est en train de monter par rapport à toute cette injustice, à cette mise en scène, à cette violence. Et jusqu’à quand ? Ça fait seize mois ! Mais quand est-ce qu’on me lâche ?

Danièle :
Et, là, tu as déposé un nouvel appel pour la levée du contrôle judiciaire.

Marie-Claire :
Il sera examiné en chambre de l’instruction le 27 octobre. J’ai été interrogée par la juge. Elle m’a questionnée longuement, plus de deux heures, sur tous les points qui me concernent dans le dossier et qui finalement sont assez peu nombreux. Sur un dossier qui fait presque 8 000 pages, je crois qu’il y avait 43 points, enfin c’est une recherche de mots-clef : il y a 43 mots ou choses qui font penser que peut-être… j’étais au courant ou je connaissais des gens. Donc l’interrogatoire pour moi s’était bien déroulé. J’avais pu, à l’aide de mes avocats, m’expliquer et renverser tout le récit policier. Parce que quand on vous dit « Ah ! Vous avez parlé du vent au téléphone, c’était dans le mail de revendication », là j’ai dit à la juge : « Beaucoup de gens parlent du vent, qu’il y en ait ou pas, c’est un mot assez courant. » Et tout à l’avenant. Vraiment le fil est mince pour faire des raccords entre mes propos, mes blagues et cette affaire. Mais voilà, c’est leur logique, c’est le récit policier, c’est le but. Donc je suis sortie du bureau de la juge assez confiante en me disant, ça y est on s’est expliqué, c’est bon. On a fait une demande de levée de contrôle judiciaire après cet interrogatoire, demande qui a été refusée. C’est à cette occasion que la juge a allégé un peu le contrôle judiciaire en autorisant la France entière et en me faisant pointer une fois par mois mais en m’interdisant toujours de manifester et de voir 5 personnes dont mon amie. Donc on a fait appel, évidemment. Je ne veux pas de miette. Je veux seulement que la juge prenne le temps de lire ce dossier et qu’elle en conclut ce qu’elle doit en conclure : que je n’ai rien à faire là-dedans. Et tout ce cinéma depuis seize mois, c’est tout bonnement scandaleux.

Où en est-on aujourd’hui ?

La chambre de l’instruction a décidé le 27 octobre 2022 de lever mon contrôle judiciaire et dans la foulée la juge a ordonné la restitution du dernier scellé (sur 12) encore maintenu, à savoir mon ordinateur.
Mon amie a vu son contrôle judiciaire allégé et nous pouvons donc nous revoir. Il aura fallut plus de 16 mois pour obtenir ce qui était pour moi le minimum d’un point de vue humain !
Je suis toujours mise en examen pour association de malfaiteurs en attente d’un procès ou d’un non-lieu.

J’ai eu la chance d’avoir beaucoup de soutien autour de moi. C’est grâce à toutes ces personnes impliquées dans notre calvaire et notre défense que nous avons tenu mon amie et moi pendant presque un an et demie sans pouvoir communiquer alors que nous avions une relation amoureuse depuis trois ans.
J’ai perdu beaucoup de points de vie dans cette histoire et vais sans doute mettre beaucoup de temps à retrouver mes capacités physiques et surtout psychologiques.
Ces méthodes sont dignes d’un État qui bafoue le droit d’opinion et qui ne supporte aucune contestation. Mais ces méthodes deviennent banales à force d’être utilisées contre tous les militants surtout s’ils sont de gauche avec un penchant vers l’écologie. Personne aujourd’hui ne peut se dire à l’abri d’une arrestation arbitraire et d’une mise en examen avec comme seuls indices ses opinions politiques.
Je voulais partager cette expérience tellement incroyable pour la plupart des gens que j’ai besoin de l’écrire et de la raconter, de dénoncer encore et encore cet acharnement policiaro-judiciaire sur des personnes dont les opinions politiques dérangent le pouvoir et/ou la logique capitaliste. La stratégie utilisée est la terreur, avec une mise en scène délirante lors des arrestations, des moyens démesurés, un budget incroyable qui serait tellement utile ailleurs et puis des mois et des mois de privation ou de limitation de liberté qui feront dire à certain.es qu’"il n’y a pas de fumée sans feu quand même depuis le temps ..." et le tour médiatique est joué !
Et pendant ce temps-là, les puissants peuvent continuer tranquillement à détruire la vie en toute impunité.

Merci encore à toutes les personnes qui nous ont soutenus sans réserve et qui ont donné de leur temps pour freiner la machine infernale qui essaie de nous broyer.
Le combat n’est pas fini et il nous faudra encore beaucoup de force pour cette affaire comme pour les nombreux autres scandales en cours ou à venir.

La criminalisation des mouvements écologistes légitimée par des lois de plus en plus liberticides

La terre chauffe, la violence contre les plus faibles s’accentue, les délires industriels grossissent mais devant l’évidence de plus en plus visible de la folie du capitalisme... on muselle, on écrase, on défait les liens, on criminalise à tout va.
Si tout l’argent et tout le pouvoir que l’on met à faire taire ceux et celles qui essaient de sauver la vie étaient utilisés pour le bien commun, l’espoir serait encore permis. Il est si tard... On est au contraire encore à accélérer dans la mauvaise direction et à remettre à grands coups de bottes les lucides dans le droit chemin qui nous mènera tous dans le précipice – et d’abord les plus fragiles !
Les véritables criminels sont nos bourreaux aujourd’hui comme hier.
La criminalisation des mouvements écologistes n’est pas nouvelle, pas plus que les arrestations arbitraires pour pensées, orientations politiques, chants, écrits, lectures qui dérangent un pouvoir qui n’a sans doute pas tout à fait bonne conscience, mais les moyens utilisés sont de plus en plus redoutables, légitimés par des lois de plus en plus liberticides.
On ne veut voir qu’une tête, devant sa télé le soir... Dormez braves gens, fermez vos gueules, on s’occupe du reste !
Et quand tous les fonctionnaires aux ordres s’acharnent à fabriquer de la rumeur à partir d’autres rumeurs et à en rajouter une louche à chaque fois qu’ils le peuvent, on voit enfermer dans un carcan d’injustices, de pressions et de tentatives de destruction, des êtres humains dont les seules fautes sont finalement d’avoir une conscience sociale, écologique et de tout simplement se préoccuper de la vie en général.
À celles et ceux qui avaient encore quelques illusions sur la liberté d’expression et de pensée de notre « démocratie » ou « État de droit », l’État, aidé de toutes ses forces de répression, appuyé par une presse décomplexée vis-à-vis de la déontologie et des fonctionnaires zélés qui devancent la justice, cet État donc, vient de faire la démonstration encore une fois de la dérive totalitaire dans laquelle il entraîne ce pays.

Marie-Claire, arrêtée brutalement le 15 juin 2021 à son domicile, gardée à vue pendant 4 jours, mise en examen et sous contrôle judiciaire pendant 16 mois, suspendue par sa hiérarchie, privée de relation avec son amie le temps de la durée du contrôle judiciaire. En attente d’un jugement ou d’un non-lieu !