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Battre le pavé avec les lycées bloqués

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Dans ce climat de ras le bol général, les lycées ne sont pas en reste. Plusieurs mouvements avaient déjà été lancés pour dénoncer Parcours sup, la réforme du bac, la réforme des lycées pro. Cette journée s’inscrit dans la continuité de celle de vendredi et peut-être d’autres à venir.
2 000 personnes manifestent dans une ambiance dynamique et socialement mixée. A la tête du cortège, des élèves des lycées Limosin, de Dautry ou encore de Renoir. Des dynamiques de liens naissent, des gilets jaunes ont rejoint la manif, des agriculteurs aussi. Les ambulanciers étaient attendus. Ces rencontres permettent aussi de rappeler que les mouvements sociaux sont peut-être avant tout des occasions de sortir de son isolement.
En tout cas le dispositif policier laisse présager une répression à la hauteur de celle exercée lors des manif contre la loi travail mais démontre surtout une inquiétude grandissante du côté des puissants ! Restons unis ! El pueblo unido jamas sera vencido ! No ?

Je vous propose un regard, des ressentis, des observations d’une personne présente à la manif parmi 2 000 autres vécus. Un appel est lancé pour contribuer à étoffer ce témoignage, à décrire cette journée de mobilisation lycéenne.

Lundi 11h, j’apprends que les lycées de Limoges sont à nouveau bloqués. Vite, j’enfile les baskets et direction la rue pour rejoindre les lycéen·ne·s en colère. Des étudiants ont bloqué la fac de Lettres et Sciences Humaines ce matin, où la ministre de l’enseignement supérieur, Vidal, devait venir ce matin mais qui a annulé à cause des manifestations et sont déjà à la manif. Pour ma part, je les retrouve devant le lycée Valadon devancés par les flics, lacrymos à la main, casque sur la tête et très nerveux qui bloquent la rue F. Perrin. Le cordon policier est soutenu par une horde de bacqueux armés jusqu’aux dents : cagoules, gilet pare-balles, Lanceur de Balle de Défense (Flashball) à la main, pistolet à la ceinture, et torse bombé à bloc. RG et consorts sont bien entendus au rendez-vous. Pour autant cette milice ne freine pas l’élan lycéen, plus de 2000 personnes se mettent à courir et scander « Valadon avec nous ! ». Les portes restent fermées mais des camarades aux fenêtres applaudissent. J’aperçois un lycéen et une lycéenne qui semble vouloir guider cette foule joyeusement déterminée à coup de « doucement », « on s’arrête », mais péniblement il faut l’avouer. Ces « représentants » désignés comme tel par les flics discutent allègrement avec la police pour tracer le trajet de la manif. J’apprends pourtant que la manif s’est déjà faite gazée devant le lycée Renoir. La suite ? Direction Turgot, le débrayage continue. Je peux voir des milliers de jeunes formant un corps en colère pouvant surpasser les peurs individuelles. La confrontation avec la police n’est pas à l’ordre du jour mais l’envie qu’il se passe quelque chose est là.
Arrivée de la manif à Turgot, aux cris de « Turgot avec nous ! », immédiatement des lycéen·ne·s sortent de partout, même par les fenêtres !

12h, place des Carmes, des gilets jaunes sortent de leur voiture et rejoignent la manif lycéenne. Au début parsemés dans la foule ils arrivent progressivement en tête de cortège et commence à vouloir dicter la posture à adopter. « Marchez sur la route et non sur le trottoir », « Restez ensemble », ... ces comportements qui se voulaient rassembleur étaient surtout paternalistes. Dommage de déposséder les lycéen·ne·s de toute initiative malgré leur capacité à s’organiser pour bloquer leur lycée, aller débrayer, mener des actions décidées par elleux...

12h30, direction Limosin. Petit temps de flottement, personne ne sait trop quoi faire ni où aller. Des lycéens de Limosin sont déjà présents dans la manif et il est donc décidé d’aller devant la préfecture. Le cortège avance au rythme de slogan tels que « Mort aux vaches, mort aux condés », « Macron démission », « Aux armes lycéens », « Macron nique ta mère », « Macron t’es foutu la jeunesse est dans la rue », « Macron si t’es champion démissionne ». Devant la préfecture, un moment de tension entre la manif et le cordon de police, amène la dizaine de gilets jaunes à faire tampon entre les flics et la manif. Ce service d’ordre improvisé a été fustigé par de nombreux manifestants. Peu de personne comprennent la démarche, le chant « police partout, justice nulle part » est de mise mais rapidement stoppé. Les gilets jaunes rétorquent « ça fait 15 jours qu’on bloque dans le calme alors patience, ne soyons pas violents ». Il leur est répondu « Gilets jaunes avec nous, pas contre nous ! ». Ce temps a permis d’ouvrir des débats sur le thème du blocage, de la casse, ... et pour beaucoup de gilets jaunes ce mouvement social est leur premier. J’ai trouvé que c’était un mélange politique intéressant. Est-ce une convergence qui ne dit pas son nom ? L’ambiance reste joviale : cris, klaxon, caddie porté au-dessus des têtes. Une impression que le temps est suspendu, seul le présent compte et toutes les rêveries sont permises.

12h45, plusieurs tracteurs arrivent. Les gilets jaunes se justifient et nous éclairent sur leurs agissements « Voyez, il faut attendre, les agriculteurs arrivent, les ambulanciers aussi, on le savait, c’était l’idée ! » et ajoutent « en 15 jours, nous n’avions pas réussi à tenir la place Stalingrad, les lycéens ont réussi, soyons fiers et soyons ensemble, faisons groupe ». Le mot convergence me brûle les lèvres. Mais il ne sera jamais employé.
Seul bémol à cette initiative, aucun manifestant-e n’a été mis-e dans la confidence. Heureusement que la jeunesse s’enivre d’envie d’être entendue. Des dizaines de personnes se mettent à sauter dans les remorques de tracteurs, dansent, crient, chantent. La place Denis Dussoubs est bloquée, des automobilistes klaxonnent de contentement.

13h15, la marche ne s’arrête pas à la Pref, tout le monde à la bougeotte et c’est donc reparti, direction le Rectorat. Les gilets jaunes et les tracteurs ne suivent pas pensant ne pas être concernés. Dommage. Environ 500 personnes s’y rendent, toujours escortées par la BAC. L’un des bacqueux est celui qui a blessé une camarade samedi soir - 10 points de sutures au crane - lors d’un rassemblement de soutien aux 4 interpellations de gilets jaunes. Soyons vigilant-e, les chiens sont de sortis.
Le cortège stagne quelques minutes devants les locaux de l’Académie de Limoges. Puis, la fin de la manif se fait entendre par le son de nos ventres qui crient famine. Les « représentant-e-s » de la manif prennent le soin de rappeler au mégaphone que le cadre policier prend fin et invitent poliment tout le monde à reprendre gentiment le chemin des trottoirs et que la fête s’arrête là.

13h30, j’aperçois les tracteurs qui s’en vont de la pref’. Il ne reste plus que du fumier déposé sur plusieurs mètres. Et la suite ?

Je n’étais qu’une petite souris dans un gruyère géant parsemé de trous.