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Suivi du procès du 8/12

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Le procès dit du « 8/12 » s’ouvrait ce mardi 3 octobre au tribunal judiciaire de Paris. Nous essaierons quant à nous de publier tous les jours un résumé des audiences dans cet article (tous les après midi à partir de 13h30 du mardi au vendredi, pendant 4 semaines).

Dernière MàJ : vendredi 27/10
Le délibéré est prévu pour le vendredi 22 décembre à 10h.

Pour plus d’info sur cette affaire avant de suivre le procès, voici quelques liens d’articles :
Affaire du 8 décembre : L’antiterrorisme à l’assaut des luttes sociales

Récit de l’affaire du 8/12 sur Blog soutien 8/12

Pour un suivi du procès sur mastodon, vous pouvez suivre l’infoline avec le @soutien812

Radio Parleur fait également un live twitter du procès.

CR complets de chaque journée au tribunal sur le Blog soutien aux inculpé-es du 8 décembre

Voici le compte-rendu de la 1re session de ce procès.

Jour 16, vendredi 27 octobre : dernier jour, dernières plaidoiries et derniers mots des inculpé-es

Aujourd’hui, c’était au tour des avocat-es de B., S. et F. de plaider.

La journée a commencé dès 11 heures sur le parvis du tribunal, où se tenait un rassemblement en soutien aux inculpé-es ! Diverses prises de paroles ont rythmé le rassemblement : collectifs de soutien pour l’affaire du 8 décembre ainsi que d’autres affaires antiterroristes, proches, inculpé-es, collectifs féministes, collectifs du Réseau d’Entraide Justice et Vérité... Elles se sont finies en chansons, tandis que de délicieux wraps de soutien étaient dégustés par les deux cents personnes présentes.

Forcément, la salle d’audience était pleine à craquer, une bonne cinquantaine de personnes n’ont pas pu rentrer mais sont restées devant quand même.

Plaidoiries

Les avocat-es reviennent sur le fait que tou-tes les inculpé-es ont vécu très violemment toute cette procédure, au terme de laquelle on trouve juste le spectre du terrorisme d’ultragauche. Mais pourquoi, comment seraient-iels terroristes ? Où est ce projet ? où est cette intention de passage à l’acte ? Le projet n’était pas forcément à exclure en mai 2020, au moment où les enquêteurs voient ces faits. Mais ensuite, pendant toute la surveillance, les enquêteurs ont bien vu qu’il n’y avait pas de projet et de continuation de ces faits soi-disant problématiques. On ne les arrête pas sur le moment car on estime qu’il ne font rien de si dangereux, et pour attendre de voir quel est leur projet. L’un-e d’elleux se voit refuser des accréditations pendant plusieurs mois, sûrement car fiché, puis obtient miraculeusement l’accréditation, d’un coup, en espérant que son utilisation fera avancer l’enquête. Mais non, ça ne donne rien, il n’en fait rien à part un usage professionnel. Alors, on voit qu’il n’y a pas de projet et on les arrête en considérant que finalement en mai 2020 si, c’était des faits très très dangereux.

Iels se sont attaché-es à démontrer qu’il n’y avait pas de projet, pas d’association de malfaiteurs terroriste, que les parties d’airsoft n’étaient pas des entraînements paramilitaires, que les prévenu-es ne se sont pas fait engrainer par un leader charismatique pour s’armer et passer leur permis de chasse avant même de rencontrer ce soi-disant leader. Enfin, non, F. n’est pas allé au Rojava dans le but de revenir importer la lutte armée, que c’était un pur fantasme de la DGSI.

Comme la veille, il est expliqué qu’iels reconnaissent avoir produit des explosifs (qu’iels ont toujours appelés "pétard", mais vu que les pétards explosent, le mot retenu par la justice sera "explosif") pour l’un-e, fait une partie d’airsoft pour l’autre, mais iels contestent le récit fait autour de ces actes. Il n’y a pas de repérage, de cible nommée ou supposée.
Iels montrent les erreurs et les biais de l’enquête, par quelques exemples. Celui d’un carnet manuscrit avec des descriptions d’entrainement paramilitaire quand il s’agira en fait du carnet d’un flic étant venu perquisitionner. Celui d’un expert disant qu’il n’a jamais entendu parler de cette recette d’explosif en Europe alors qu’en allant qur youtube on voit qu’elle est utilisée dans toutes les campagnes françaises. Celui d’apprendre que la recette est très compliquée à faire alors que le produit de base servant à faire les pétards peut exploser dans pleins de conditions, et sans faire la bonne recette. Celui qu’avoir des brochures anarchistes fait de vous un terroriste.

L’enquête a été faite à charge uniquement, cela en fait un procès déloyal. Iels ont rappelé que toutes les demandes de la défense (accès aux vidéos des GAV, aux sonorisations, aux disques durs...) ont été refusées pendant l’instruction et pendant l’audience ; et que les questions des juges laissaient penser qu’elles n’étaient faites que pour confirmer la construction de la DGSI. Certains éléments ne sont pas dans le dossier, dont 99% des écoutes, et des documents ont même disparu, alors qu’elles étaient dans les mains des enquêteurs. Comme le dit une des avocat-es : "il est dur de contredire le vide [de l’enquête]".

La défense a déconstruit les termes de "terroriste" et d’"ultragauche" : le premier est un terme que les gouvernements utilisent pour désigner un ennemi avec qui aucun dialogue n’est possible (et qu’on peut donc priver de certains droits au passage) ; le second n’a pas de définition précise, mais est bien le signe que les prévenu-es sont jugé-es pour leurs opinions politiques. Les inculpé-es ont des avis politiques, mais il n’y a eu aucune intimidation ou terreur, ce qu’on est censé avoir dans une AMT.

Les plaidoiries reviennent aussi sur les conditions de détention, et notamment les 16 mois d’isolement et 43 jours de grève de la faim de LibreFlot pour en sortir. Iels demandent tout-es la relaxe sur le chef d’accusation d’association de malfaiteurs terroristes. Iels demandent à ce que si les prévenu-es sont condamné-es pour les infractions qu’iels reconnaissent (détention illégale d’arme, fabrication d’explosifs, refus de code de chiffrement,...), elles soient recaractérisées comme non-terroristes, et à ne pas donner d’interdiction de port d’arme et d’inscription au casier judiciaire pour que celleux qui font du tir sportif ou des artifices, puissent continuer. Iels demandent aussi qu’iels ne soient pas inscrit-es au FIJAIT et que les peines leur évitent à tout-es de retourner en prison et prennent en compte ces 3 années qu’iels viennent de (très mal) vivre.

Prises de parole des inculpé-es

Enfin, tour à tour, les prévenu-es prennent la parole à la barre. Iels réaffirment que cette "tempête judiciaire disproportionnée" a pourri leur vie depuis trois ans, qu’iels ne sont pas des terroristes. Iels expriment la peur du jugement, d’être qualifié-es de terroristes et de devoir porter ce stigmate dans les années à venir. Il leur faudra du temps pour se reconstruire, aspirent à "vivre en harmonie avec les un-es et les autres", et sont "fier-es des luttes menées et des idées défendues". "L’avenir n’est pas la violence mais la solidarité" !

Malgré les réprimandes de la présidente, la salle applaudit chaque prise de parole, et les conclut en scandant "LIBERTÉ ! LIBERTÉ !"

Le délibéré est prévu pour le vendredi 22 décembre à 10h.

Jour 14, mercredi 25 octobre : réquisitoire du PNAT

Le procureur

Le proc commence en citant le manifeste de la Conspiration des Cellules de Feu, dont le document a été trouvé dans les affaires de deux des inculpé-es : "Nous voulons détruire la civilisation et les rapports de pouvoir qui gangrènent les rapports personnels". C’est sûr que ça fait peur, mais les ficelles sont grosses et surtout quel est le rapport ? Selon lui, le principal accusé a été plusieurs fois en Grèce, avant et après le Rojava, et ce texte éclairerait chacune de ses actions (les auteurs de cette brochure sont grecs). Sic
Il trouve que la ligne de la défense, qui fait bloc, est "il faut sauver le soldat F", parfois au détriment des autres inculpé-es, et c’est là qu’il pense voir sortir cette notion de leader.
Il se plaint que l’enquête n’était pas facile, iels cryptaient leur communications, bougeaient tout le temps (c’est le but de vivre dans un camion) et en plus il y avait le confinement alors c’était dur pour les flics de se cacher... Tous les keufs et magistrats ont été exemplaires du début à la fin, la défense a été méchante d’ailleurs elle n’a fait que construire un récit et imposer un agenda politique. Il ose prétendre que la défense a utilisé une stratégie d’intimidation (en mettant le proc à l’isolement pendant quinze mois ?), et qu’elle ait choisi les éléments qui l’arrangeaient : donc la DGSI a le droit, mais eux seulement. Bizarrement il n’a pas proposé six mois de procès supplémentaire pour examiner chaque élément saisi en 3 ans d’écoutes, de filatures, d’observations, etc etc.

Il fait la pub des services de renseignements généraux antiterroristes : on a déjoué ça, puis ça, etc, puis un exposé sur l’Ultragauche qui, selon lui, situe l’engagement politique radical des prévenu-es, le Rojava qui serait la nouvelle Palestine en termes de formation des militants, mais violente. Pour bien montrer, au cas où on aurait encore un doute, qu’il est spécialisé dans le terrorisme, il fait du name dropping de tous les groupes de lutte armée d’Europe depuis les années 80, de la RAF aux NAPAP. Et forcément Action Directe (AD) ! Mais bien sûr, "aucune confusion dans le propos en évoquant AD, nous savons faire la part des choses". Déjà que c’est pas crédible, mais il voit carrément une filiation entre AD et cette affaire peu après !

Il fait un pseudo-lapsus scandaleux quand il dit [LibreFlot] pour Merah, mais en soit c’est toujours la même histoire : LibreFLot est un "leader charismatique" tombé dans le "messianisme révolutionnaire" qui veut recruter tout le monde pour mettre la France à feu et à sang... Le proc reprend dans chaque brochure évoquée ce qui peut se rapprocher de faits évoqués pendant la procédure.

Il dit que tous les éléments dangereux évoqués dans la procédure ont été vérifiés, et que toutes les activités citées sont bel et bien dangereuses et problématiques, ne sont pas des actes isolés.
Bref, ça a duré deux bonnes heures, la défense c’est des vilain.es manipulateur.ices.

La procureure

La proc recommence toute l’histoire depuis 2017...

Elle nous relit des extraits, nous raconte que l’alcoolisme était une stratégie consciente de déresponsabilisation, sort des tas de détails choisis soigneusement dans les montagnes de données collectées, se permet des remarques personnelles complètement déplacées. Elle nous dit que l’expert était impartial vu qu’il a "corrigé les litres en centilitres" (et donc dit qu’ils avaient fait "peu d’explosifs")... Pour nous convaincre de la dangerosité des explosions à l’engrais elle reparle du port de Beyrouth (un entrepôt du plus grand port du pays, rien à voir avec les quantités saisies).

Elle tient à montrer sa surprise des "déclarations évolutives des détenu-es" : c’est sûr qu’on ne réagit pas pareil quand on nous sort en GAV que notre pote s’est fait choper le doigt sur la gâchette prêt à buter quelqu’un, que dans un tribunal après 3 ans d’enquête, mais la DGSI peut sortir des mythos gros comme ça c’est pas grave. Elle s’étonne que la tentative de dissociation n’ait finalement pas marché et que la défense soit collective, au détriment de l’intérêt des prévenu-es parfois : vous vouliez absolument inventer un groupe terroriste, vous semblez trouver une stratégie de défense collective.

En conclusion, elle charge tou-te-s les inculpé-es, et voilà sa version : LibreFlot travaille, oui, et même activement, à la lutte armée. Il n’y a certes pas de groupe terroriste et de projet d’action violente imminent, c’est pour ça qu’on est en correctionnelle et pas aux assises. Mais des projets au long terme existent, elle voit une "entreprise terroriste pour trouble grave à l’ordre public". Cette entreprise est menée par un homme violent radicalisé charismatique qui mobilise des gens d’accord avec lui et qui s’y agrègent. Tou-tes étaient volontaires, étaient au courant des volontés de F, de ses soi-disant discussions sur la volonté de tuer des policiers, et ont participé volontairement à des essais d’explosifs ou à des entrainements paramilitaires. D’après elle, il n’y a eu aucune remise en question pendant ce procès de la part des 7 inculpé-es, iels ne regrettent rien et sont intéressé-es par la violence politique. Les inculpé-es semblent, selon les procs, ne pas croire en la justice et la police et la remettent en cause continuellement.

Peines requises :

  • Demande à ce qu’iels ne récupèrent pas les scellés.
  • Demande d’inscription au FIJAIT (Fichier des auteurs d’infractions terroristes).
  • Interdiction de port d’arme pendant 10 ans pout tou-te-s ?
  • Pour les 3 ayant refusé de donner des clés de chiffrement 1500 euros d’amende.
  • Il est demandé pour LibreFlot 6 ans avec mandat de dépôt différé.
  • Pour les autres, de 2 ans de prison avec sursis simple à 5 ans avec 4 ans de sursis. Les 6 personnes concernées ne retourneront donc pas en prison (même la procureure le précise), elles ont toutes maximum un an de prison ferme.

Jour 13, mardi 24 octobre : dernier jour d’audience avant les réquisitoires. Le fond et les Contrôles Judiciaires.

Ce mardi, la salle était vraiment bien pleine, il y avait beaucoup de soutiens ! L’audience a été longue : il a d’abord été question du fond du dossier avec un nouveau passage à la barre de tou-tes les inculpé-es (sauf 1 déjà passé vendredi). Il s’agissait pour les juges et les procs de chercher ce qui aurait pu être vu par la DGSI comme des "projets" terroristes. On le verra, il n’y a rien de tangible et les discussions tournent en rond. Puis dans la soirée, il a été question de la façon dont les contrôles judiciaires ont été respectés par les prévenu-es, ainsi que de leur situaton actuelle et de leurs "projets" futurs.

Fond de l’affaire : comment ça se passe globalement

Pour chaque personne, c’est toujours la même chose. Épargnez-vous la lecture de ces quelques lignes si vous avez suivi les audiences précédentes. La DGSI a construit un narratif, où les inculpé-es auraient fomenté une attaque terroriste contre des forces de l’ordre, avec des armes et des explosifs. Il n’y a pas d’élément concret ni le début d’un quelconque plan, alors la juge interroge les inculpé-es sur du vent : des écoutes de discussions entre mecs bourrés, le contenu de fanzines retrouvés sur des disques durs, des essais d’explosifs par un artificier, des parties d’airsoft, des réponses données en GAV antiterroriste... Puis les procs posent toujours les mêmes questions : iels veulent savoir ce que pensent les inculpé-es de la violence révolutionnaire. Iels souhaitent juste une validation du récit de la DGSI. Pour ça iels s’aident des mêmes écoutes, des mêmes brochures, des mêmes auditions de GAV. Les procs ont fini par bouder : iels n’ont plus posé de questions aux 2 derniers interrogés, peut-être lassé-es d’entendre les sifflements de la salle quand iels parlaient (la présidente a fait évacuer la salle pendant 30 minutes pour nous punir). Puis la défense et les inculpé-es démontrent, question après question, que le dossier est monté sur du vent, qu’il s’agit d’une pure construction de la DGSI et du parquet, qu’il est facile de prendre des éléments par-ci par-là pour faire dire ce qu’on veut.

Conversations privées obtenues par les écoutes

Sur les conversations où les enquêteurs décellent des projets terroristes, alors qu’il s’agit de débats, ou de discussions un peu alcolisées parfois, une avocate reviendra sur la "fonction phatique du langage" : bien souvent, on parle juste pour parler, faire la conversation, sans autre but que la conversation elle-même. Il est donc problématique que les enquêteurs prennent le contenus de ce genre de conversations pour argent comptant. Par ailleurs, puisqu’il s’agit d’un tribunal et de respect de la loi, un avocat rappellera qu’il n’y a rien d’illégal à avoir ce genre de conversations dans le cadre privé.

À de nombreuses reprises, les juges et les procs veulent connaître le "rapport à la violence" des inculpé-es, sur la base des écoutes. Parlant de procs et juges, les uns requièrent des peines de taule tandis que les autres envoient des gens en taule, si ça c’est pas de la violence ! Et bien réelle celle-ci, pas fondée sur des sonorisations à la retranscription aléatoire.

Les brochures, la preuve d’un passage à l’acte violent ?

Là encore, on a du mal à voir ce qu’il y a de répréhensible à posséder des brochures ou des photomontages. Des inculpés sont interrogés sur des documents, quelques-uns parmi des dizaines de milliers, stockés dans des dossiers qu’ils n’ont parfois jamais ouverts. Les métadonnées des dossiers le prouveraient, mais c’est ballot la DGSI fait mine de pas savoir faire "clique droit -> propriétés".

Sur le contenu des brochures politiques [1], juges et procs ont la stratégie suivante : trouver un dénominateur commun entre un-e inculpé-e et une brochure (par exemple ils défendent une "organisation horizontale", le "B-A BA d’un-e militant-e libertaire") pour tenter de prouver que l’accusé-e a prévu de passer à l’acte selon les modalités décrites dans la brochure. On dirait qu’ils n’ont jamais lu un livre avec un regard critique. Là-dessus, les inculpé-es critiquent la stratégie des juges et procs. F. répond même sur le fond, et le fait que ses principes anti-autoritaires ne le poussent pas à prendre le pouvoir par la force - technique réservée aux "bolcheviks". D’ailleurs il serait "fantaisiste" de croire qu’on pourrait faire face à la puissance de feu de l’OTAN.

Réponses données en GAV

On ne revient pas trop dessus dans ce compte-rendu et sur le crédit qu’on peut apporter aux réponses données par les incupé-es en GAV. Une avocate décrit la "mécanique de réinterprétation" à l’oeuvre dans le cas d’un inculpé : la DGSI lui a sous-entendu en off que F. avait été arrêté "le doigt sur la détente". Alors en effet, pendant la GAV, il a pu réinterpréter des paroles en l’air tenues 6 mois plus tôt par F. (sur "tuer des flics" au milieu d’autres choses) à la lumière de ce qu’on lui a sous-entendu. Et du coup il mentionne ce genre de conversation avec F. pendant la GAV.

Pour d’autres analyses sur la façon d’obtenir des aveux en GAV, voir la brochure sortie par des soutiens.

Déplacements à l’étranger

C’est allé assez vite là-dessus, car F. s’est rendu dans plusieurs pays européens en 2020 pour parler de son expérience au Rojava, pour donner des billes aux personnes qui pensent y partir et pour éviter que des gens y partent sur un coup de tête, non préparés. Il ne s’en est d’ailleurs jamais caché, il a fait les voyages avec son camion ou payé les billets avec sa carte. Il a été question d’un autre voyage à Athènes de deux des inculpés, mais là encore juges et procs n’ont pas pu donner d’éléments sur de potentielles rencontres avec des "cellules" (mot utilisé pour un collectif qui a écrit une des brochures dont il était question) étrangères.

Hygiène numérique

Il n’en sera question que pour deux inculpé-es ce mardi, 2 autres ayant été interrogé-es vendredi, qui justifient l’utilisation d’outils chiffrés et l’"hygiène numérique". L’un s’y intéressait car s’intéressait à l’informatique, voulait avoir une meilleure hygiène rapport aux publicités qu’on peut recevoir ensuite, il n’a malheureusement jamais trop suivi cette hygiène, mais trouve bien que les gens utilisent ces logiciels pour se protéger des GAFAM. L’autre d’abord pour se protéger des GAFAM, puis à son retour de Syrie, par peur des services secrets turcs et de potentielles représailles des loups gris (organisation fasciste turque). Enfin viendra la peur des services de renseignement français et de Daesh. Le proc ironisera sur ça : est-ce que F. se sent "si important que ça" pour être la cible de tous ces services ? Mais pourquoi il parle lui, toutes les craintes de F. s’avèrent légitimes vu la surveillance qu’il a subie et où il se retrouve aujourd’hui. Par ailleurs, la défense rappelle que l’intérieur annonce surveiller "2 à 3000 personnes d’ultragauche", ce qui justifie les craintes des inculpé-es. Il n’a pas donné ses codes de tel ou d’ordi en GAV car il gardait le silence. Puis face à son refus de donner ses codes au juge d’instruction, il a expliqué qu’en plus du principe fondamental de respect de sa vie privée, il a peur que la DGSI transmette des infos sur des personnes prises en photo en Syrie à d’autres services secrets.

Contrôles judiciaires et conditions de détention

En fin de soirée, les prévenu-es se succèdent à la barre sur le respect des contrôles judiciaires (CJ), leur situation actuelle, et le déroulement de la détention provisoire (DP) pour les 5 inculpé-es qui en ont fait (jusqu’à 15 mois). Les procs n’écoutent même plus et sont déjà absorbés dans l’écriture de leurs réquisitoires. Normal, il n’y avait que des éléments à décharge.

La juge semble vouloir passer très vite sur les conditions de détention, mais les inculpé-es et leurs avocat-es tiennent à les aborder en audience. La DP a été la "pire expérience" de leur vie pour celleux qui en ont fait. Iels décrivent tout-es l’horreur de la détention en soi, à laquelle se rajoutent les humiliations des fouilles à nu systématiques après les parloirs (parfois comme cobaye pour "former" des ELACs), la crasse des cellules (cafards, punaises de lit), les commentaires et l’arbitraire des mâtons... La prison a "bousillé leur vie". Pour LibreFlot, la détention s’est essentiellement passée à l’isolement. Il y a été envoyé en raison d’une "note blanche", sûrement pour lui mettre la pression. C’est la "pire chose de toute [s]a vie". C’est vraiment un "tombeau". Avec ses avocat-es, il décrit l’enfer de l’isolement et l’impossibilité d’accéder à des soins, ou de participer aux activités proposées aux autre détenus. Il n’en sortira qu’après une grève de la faim, "risquant la mort pour rester en vie", passant plusieurs jours dans un état critique à l’hôpital. Son isolement a d’ailleurs été jugé illégal cette année par un tribunal administratif.

Posée tranquillement dans son fauteuil, la juge sort au sujet de C. "certaines de ces fouilles n’étaient pas forcément indispensables, c’est bien cela ?". L’art d’euphémiser pour cacher la violence à laquelle elle contribue. Puis elle leur dit que les problèmes de détention (fouilles systématiques, isolement) ne sont pas de son ressort et se défausse sur les institutions carcérales. La défense rappelle qu’iels se sont précisément retrouvé-es en prison à cause de l’institution judiciaire... Pareil quand un-e des inculpé-es dénonce les abus d’un SPIP pendant les entretiens, la juge dit que c’est dommage mais que voilà. Y a jamais personne pour assumer ses responsabilités quand vient le moment. Tout le monde se renvoie la balle, et à la fin il ne reste que des vies brisées.

Quand ce n’était pas la prison, les inculpé-es avaient des contrôles judiciaires (CJ) très contraignants : pointage, interdiction de sortir d’un territoire parfois très restreint, interdiction de manifs, obligations de suivis en tous genres et de travail (devoir taffer aux "champs ou à l’usine : métiers pourris, salaire de misère"), histoire d’accentuer le contrôle social. Ces 50 nuances de CJ ont chamboulé leur vie : "sur le plan professionnel ou personnel, ma vie est niquée". Le regard des proches quand on est accusé-e de terrorisme, l’obligation de vivre dans certains lieux, l’impossibilité d’exercer des métiers qui les passionnaient, la peur de la sanction au moindre manquement... Dans les rapports qui sont rendus par les personnes qui les ont suivi-es, on voit que c’est la façon d’être des inculpé-es qui est jugée. Au demeurant, il n’y avait rien à dire sur elleux, iels ont tout-es respecté les contraintes qu’on leur avait imposées. Mais si un-e psy quelconque vous juge potentiellement en marge, gare à vous !

L’audience se termine à près de 23h, et en sortant, une surprise nous attend sur le parvis du tribunal : une batucada de soutien du tonnerre !

Ce mercredi, l’audience ne reprend qu’à 14h30 avec les réquisitions des procs

Jour 12, vendredi 20 octobre : Il suffira de Signal...

Témoins

Une militante de Rennes témoigne pour C. Elles se sont rencontrées pendant les Gilets Jaunes en 2018. Plus tard, elles se sont côtoyées durant la préparation des mobilisations féministes du 25 novembre 2019 et du 8 mars 2020 ; également dans la préparation de mobilisations avec le comité Justice et Vérité pour Babacar [2] mais aussi dans des mobilisations auprès des sans-papiers, notamment avec la réquisition d’un immeuble d’habitation à l’hiver 2020. Elle décrit la volonté de construire un monde plus juste, les idéaux qu’elles portent, mais aussi la répression et la criminalisation grandissante de ces milieux par l’État. Elle dresse un portrait d’une militante qui refuse les relations d’ascendance et prône des moyens d’actions non violents, à mille lieux de la vision apocalyptique construite par la DGSI et le parquet.

C’est ensuite un témoin pour S. qui s’avance à la barre. Il est chef de tir à Disney et a été son collègue pendant plus de 7 ans. Il décrit S comme un très bon artificier, très sérieux et de confiance. À l’aide des avocat-es, son intervention permet de démystifier pas mal d’éléments développés par l’accusation les 1ers jours.
Le diplôme d’artificier s’obtient au terme d’une formation de 5 jours dont 3 dédiés aux lois en vigueur, sinon toute la vraie formation se fait sur le terrain ; il n’y a pas d’école de pyrotechnie spectacle, ni d’école d’effets spéciaux cinéma en France et ce dernier milieu reste très fermé. Tous les artificiers sont des passionnés et cherchent à progresser. Alors oui, il est normal et fréquent de mener des expérimentations d’explosifs lorsqu’il faut satisfaire une commande d’effets spéciaux, tout comme il est normal qu’un artificier se balade constamment avec ses outils. Oui, la "bidouille" est omniprésente parce qu’il faut savoir réparer et s’adapter aux demandes des clients, qui implique de modifier des produits normés car en matière d’effets spéciaux, ce qui est demandé n’existe par définition pas avant la commande, "il faut être MacGyver". C’est d’ailleurs ce qu’il a lui-même fait lorsque l’armée lui a passé commande pour un événement. Bien sûr, l’artificier est en contact avec des produits dangereux, oui il peut en transporter et en stocker dans des quantités raisonnables, ces limites sont indiquées dans le diplôme. Donc avoir 2kg de poudre noire chez soi - qu’on peut tout-à-fait récupérer en ouvrant des pétards achetés dans le commerce - c’est vraiment pas grand chose. Et trouver du matos d’artificier dans la voiture d’un artificier, son logement ou même son sac, quoi de plus banal. Enfin, l’avocate le fait réagir sur une phrase de l’expert explosif (dont on comprendra définitivement que son terrain à lui, c’est le petit labo bien circonscrit de la DGSI, commande précise et résultat bien défini à l’avance, taillé sur mesure pour rentrer dans le tableau du parfait terro, le client est roi là aussi). Il y a une semaine l’expert fier de sa science clamait : "l’artifice c’est une chose, l’explosif en est une autre". Là aussi, l’artificier remet les pendules à l’heure : ça n’a pas de sens "un artifice est de toute façon un explosif, c’est pour cela qu’il y a des
règles et des diplômes", que S possède... cqfd.

Moyens de communication et outils informatiques
En gros, pour la DGSI, les juges et les procs, il suffit d’utiliser Signal, Protonmail et Linux pour être 1) hyper calé-e en info, et 2) louche. Alors Tails vous imaginez pas...

C’est d’abord à C. et L. de se justifier d’utiliser ces outils anodins, tellement banals et "bateaux" pour elleux, que "c’est comme conduire à droite, c’est pareil". Les questions posées prouvent surtout que les juges et procs sont, ou font semblant d’être, à la masse sur ces outils. Une assesseure parle d’"arsenal de discrétion" pour l’utilisation de Signal, Linux et Protonmail ; la juge demande si un atelier de présentation de Tails ne pourrait pas avoir une aura d’illégalité... Leurs questions et la procédure montrent qu’il est nécessaire de se méfier de la surveillance, qu’elle soit commerciale ou étatique, et qu’il faut utiliser ce genre de logiciels !

Les deux ont refusé de donner les codes de déverrouillage de leur tel et de leur ordi, et sont poursuivi-es pour ce refus. Iels tiennent leur position au nom de la préservation de leur vie privée. Pour l’un-e et l’autre, refuser de donner les codes de déverrouillage était la seule chose qui leur restait pour préserver leur intimité, pour montrer qu’iels n’étaient pas d’accord avec ce qu’on leur reprochait, face à tout ce qu’iels enduraient en GAV et pendant l’instruction. Comme iels étaient interrogé-es par la DGSI, iels étaient persuadé-es que leurs ordi et tel seraient déchiffrés de toute façon. Il s’avère qu’un certain nombre de données chiffrées n’ont pas pu être exploitées, on dit ça on dit rien...

C. est également interrogée sur les brochures retrouvées sur une clé USB : parmi les dizaines qui s’y trouvaient, la DGSI n’en retiendra qu’une poignée, avec un effet loupe dont elle a le secret pour créer la peur. La DGSI a jeté son dévolu sur la brochure "Brûle ton école" (une série de contes satiriques sur l’école), des documents sur les principes anarchistes, un article de Ballast sur une romancière et militante turque emprisonnée opportunément présentée comme appartenant au PKK, ce qu’elle a toujours nié, une brochure sur Action Directe et une sur le squat de Toulouse. Et voilà C. interrogée sur la possession de ces brochures sur une clé USB... Tout le monde est interloqué qu’elle doive se justifier de ça. Mais ce n’est pas de nature à freiner le duo juge/proc : la présidente veut savoir si c’est pas une contradiction de garder "Brûler son école" sur une clé quand par ailleurs on dit être attachée à l’éducation populaire ; le proc veut l’avis de C. sur la violence révolutionnaire en général (rapport à Action Directe), puis veut savoir si C. considère Action Directe comme "terroristes". Leurs questions provoquent des rires de sidération dans la salle, auxquels la présidente prend un malin plaisir à rabrouer le public sur un ton professoral et à donner des leçons de respect. Mais bon si elle et le proc ne sortaient pas autant d’énormités...

Un développeur de l’application Silence/juriste à la Quadrature du Net vient ensuite témoigner, au sujet des outils de communication.

Il fait un topo sur le chiffrement et les bonnes pratiques des prévenu-es concernant les outils numériques. Il s’appuie sur des diapos, qui contiennent notamment des citations de la DGSI tirées du dossier. Quelques points qui ressortent du topo : le chiffrement est partout, consubstantiel à la numérisation des vies, et il est essentiel pour se protéger des menaces cyber. Chiffrer ses données est largement recommandé, y compris par les institutions, et loin d’être une preuve de clandestinité, car c’est exercer le droit fondamental à la vie privée. Il égrène ensuite quelques logiciels dont il est question dans le dossier : Signal, Tor, Linux, Tails et e/os/. Pour chacun, il décrit le principe et l’intérêt de l’utiliser pour préserver sa vie privée, notamment des GAFAM

Au passage il souligne les erreurs faites par la DGSI dans les citations, erreurs qui tendent comme par hasard à construire une image criminelle de l’utilisation de ces logiciels. Ces piques sur l’incompétence des agents de la DGSI ne sont pas du goût de la présidente, qui n’hésite pas à couper le témoin à de multiples reprises, dès qu’elle est pas contente de ce qu’il dit. Sans doute un témoignage de respect de Mme la juge. Pour enfoncer le clou et montrer qui a le dessus dans la salle, elle le réprimande sur l’utilisation du mot "criminalisation".

Vient ensuite un moment lunaire où une assesseure semble proposer au témoin de devenir expert pour la justice (elle a dû kiffer les diapos, j’avoue c’était posé), puis une scène hallucinante où le proc menace le témoin de poursuites ! Il lui reproche d’avoir eu accès à des pièces du dossier et d’avoir mis des citations des PVs dans ses slides de présentation, bref, violation du secret de l’instruction. Ah ça, quand on déballe les conneries de la DGSI sur place publique, le PNAT est colère ! Heureusement les avocat-es de la défense viennent à la rescousse du témoin et renvoient le proc dans ses cordes. En rappelant qu’en pleine instruction, un journaliste bien connu d’un media brun avait sciemment violé le secret de l’instruction, divulgué identités, éléments d’auditions et de perquiz et qu’une plainte avait été déposée conte lui : que le témoin se rassure, la plainte a fini classée dans les poubelles de la justice. 2 poids 2 mesures...

Conditions de détention

Le dernier témoin de la journée est l’ancien directeur général de l’ACAT, une ONG qui combat les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la torture, les exécutions capitales. Il témoigne sur l’isolement que LibreFLot a subi en détention provisoire. En effet, sur les 15 mois de détentions, F. a passé plus d’un an à l’isolement sur décision administrative, et il n’en sortira qu’après une grève de la faim. Le témoin décrit ce qu’est l’isolement, la privation de contacts humains significatifs, l’ennui viscéral. Il donne une liste de symptômes physiques et psychiques développés par toutes les personnes qui subissent l’isolement et qui expliquent très bien les difficultés dans lesquelles ont été menés les entretiens avec le juge d’instruction : dans tous les cas, l’isolement inflige de graves souffrances aux détenenu-es, et les symptômes sont durables. Ces souffrances ont été endurées par F. lui-même, comme en témoigne ses correspondances en prison. L’isolement est une pratique carcérale extrême [3], qui s’apparente à un traitement cruel, dégradant et inhumain.

La semaine prochaine : mardi 24 c’est chargé comme jamais. Il y aura l’audition des autres inculpé-es sur les outils de communication, l’audition sur les conditions de détention, et les enquêtes de personnalité. Mercredi 25, réquisitions du parquet.

Jour 11, jeudi 19 octobre : va-t-on enfin prendre un peu de hauteur ?

Programme du jour : Interrogatoire de LibreFlot sur les armes, l’airsoft puis des témoins sur le Rojava.
L’après-midi commence par LibreFlot qui précise que pour lui la question des armes et de l’airsoft sont deux choses complètement différentes, comme ça devait être le cas dans le planning de l’audience ce qu’il remerciait. Il regrette qu’au final, les deux éléments soient abordés ensemble, comme l’avait fait la DGSI qui avait la volonté de tout mélanger pour faire croire que les deux éléments étaient liés. Mais pour lui il y a un jeu, l’airsoft, avec des répliques ; et des armes, pour tirer, de chasse, de sport, d’entrainement. Il aimerait qu’on dissocie les deux.
Il a donc trois répliques d’armes et une arme, dans sa perquis’. Les répliques sont le matériel d’airsoft. S’ensuivent donc à nouveau les mêmes et innombrables questions sur pourquoi faire de l’airsoft, quand, comment, avec qui, alors que les réponses ont globalement déjà été données par ses acolytesco-accusés les jours précédents. Il en a surtout fait quand il avait 18 ans, puis était passé aux jeux de rôles, mais a pu en faire quelques fois avec ses potes.
L’arme est un fusil qu’il a acheté en brocante pour essayer de tirer avec une arme avant de partir pour potentiellement se retrouver sur le front au Rojava. Ça lui donnera une idée de s’il acceptera d’aller au front ou pas. Il a re-tiré après pendant le confinement avec ses potes, qui lui ont donné l’envie de tenter le tir sportif, il passe donc son permis de tir. Il n’y a pas de volonté de s’entraîner caché, d’acheter des armes illégalement, pour fomenter quelque chose contre l’Etat ou quoi que ce soit. Tout est fait dans les règles et de manière traçable et publique.

On lui pose des questions sur les notes de carnets d’un autre inculpé, sur les raisons de l’association d’encore un autre, sur des bribes de phrases sorties des écoutes sans le reste des conversations. Comme il le dit, il ne peut pas parler à la place des autres. Ils ont d’ailleurs déjà répondu, et il dit ce qu’on pense tou-tes depuis le début : le parquet n’écoute personne et repose tout le temps les mêmes questions, sans écouter ou en tout cas sans prendre en compte et entendre les réponses de chacun-e. Ce n’est pas le premier à s’agacer des fausses questions du PNAT, les deux de la veille avaient déjà eu la même réaction.
C’est bientôt la fin des questions sur le fond du dossier, et on sent que le proc veut parler de tout ce qu’il n’a pas pu évoquer avant : "milice", "guerre", citations de Mao par des anarchistes (sic), "PKK terroriste", "attentats", "lutte armée". Il sort en quelques minutes tous les mots et idées qui font peur qu’il n’avait pas pu sortir avant car il n’y a rien dans ce dossier de dangereux et de terroriste. bingo, kamoulox ? Il essaie de rattacher chaque mot soit à des phrases d’écoute, soit à des brochures trouvées chez une autre personne, soit au fait d’être gauchiste. Mais toujours rien de concret. D’ailleurs, 99% des écoutes n’ont pas été mises au dossier, précisent les avocat-es. En effet, leurs vies à tou-tes est somme toute banale.

On revient ensuite sur la détention provisoire effectuée par LibreFlot. On a parlé des conditions d’arrestations et de gav, des auditions par la DGSI et le juge d’instruction, mais pas vraiment du fait que cinq des sept personnes ont fait plusieurs mois de détention provisoire pour cette (non)affaire. Cela devait être abordé dans la deuxième partie d’interrogatoire sur la personnalité des inculpé-es, mais plus le temps passe plus on ne sait pas quand cela pourra techniquement avoir lieu, donc on préfère le préciser maintenant (NdA). C’est en effet très vaguement évoqué avec le témoin de contexte qui vient parler du Rojava et éclairer nos lumières sur les ex-combattant-es du Rojava. Il parle de la situation de LibreFlot qu’il ne connait pas personnellement. C’est un spécialiste de l’engagement des internationaux chez les Kurdes, depuis vingt-cinq ans. Il a été amené à s’intéresser à LibreFlot quand il a entendu parler de ses conditions de détention, à savoir isolement et grève de la faim. Le cas de LibreFlot faisait triplement résonance pour lui, travaillant sur les personnes s’engageant pour combattre au Rojava, et sur les violences contre soi (dont la grève de la faim) et sur la torture subie par les kurdes en Turquie (dont l’isolement fait partie). Il confirme que les personnes rentrant du Rojava sont très souvent contactées, sinon repérées par les services secrets, lui-même l’a été, alors qu’il n’a été là-bas que pour son terrain, n’a jamais combattu. Il parle de la sociologie des internationaux allant combattre au Rojava et plus particulièrement des européens, et des militants anticapitalistes. Ces derniers reviennent en étant, selon ses enquêtes, souvent plus critiques sur la guerre armée que celleux qui n’y ont pas été et qui ont toujours en tête le romantisme révolutionnaire. Aucun n’a ensuite commis quelque acte que ce soit contre son pays ou un autre, n’a eu de comportement guerrier plus tard.

Le deuxième témoin est une personne étant partie combattre au Rojava, et revenue plus tôt que LibreFlot. A son retour, il est convoqué par les services de renseignements car le ministère de l’intérieur le soupçonne de vouloir utiliser les compétences de guerre apprises au Kurdistan contre l’Etat français. On lui a confisqué son passeport et sa carte d’identité. Il poursuivra l’Etat qui lui rendra et le laissera repartir. Après son retour, il aurait voulu lui aussi tenter de faire du tir sportif, pour le sport, pas pour la guerre. Mais il ne peut pas, il a été mis sur le fichier des personnes interdites de tir et de port d’arme, parce que revenant du Kurdistan. Pour l’Etat français, tous les revenants sont dangereux dit-il. Pourtant, là-bas, ils combattent avec la coalition internationale qui est soutenue par l’armée française. Pour les explosifs, là-bas on n’en utilise pas, on n’en fabrique pas. On utilise des grenades mais qui sont fabriquées d’avance. Ce n’est pas là-bas qu’on apprend à faire des explosifs.

On aura pris un peu de hauteur ce jour en parlant un peu de confédéralisme démocratique, projet du Rojava, anticapitalisme et antiterrorisme combattant DAESH pendant l’interrogatoire de LibreFlot puis pendant l’audition des deux témoins. Ce n’est pas l’objet du procès, mais c’est tout de même ce qui a amené les personnes à être sur écoute, arrêté-es, perquisitionné-es, mises en détention provisoire ou contrôle judiciaire et à finir ce mois d’octobre devant le tribunal, pour risquer dix ans de prison. Finir accusé.e d’être un.e terroriste parce qu’on a été combattre les terroristes...

Jour 10, Mercredi 18/10 : airsoft, bis repetita

Les jours se suivent et se ressemblent !
On s’attendait à une nouvelle audition sur les armes, mais l’audience s’ouvre sur l’intervention d’un-e des avocat-es qui dépose des conclusions (pour parler jargon)
Iel revient sur l’audition de l’expert en explosifs. Celui-ci avait révélé à la barre qu’il était habilité secret-défense. L’avocat-e demande donc la mise sous scellés des éléments classés secret-défense auxquels il aurait eu accès et la saisine de la commission de déclassification. Ces conclusions seront comme les autres envoyées au fond, donc les juges ne statueront pas dessus avant le délibéré final, aucun suspense !

L’artificier, dont c’est donc le taf de faire des pétards, quoi qu’en pense le fameux expert spécialiste des "mélanges typiques de la zone Irako-Syrienne", revient à la barre et doit maintenant se justifier à propos d’armes... qui lui servent surtout pour son taf, comme accessoires, et pour lesquelles il n’a pas de munitions ! Et qui d’après le calibre, ne tueraient pas un renard, donc encore moins un patron ventru, surtout évoqué une seule fois dans une discussion entre gens bourrés.

Retour à l’airsoft, avec le désigné "spécialiste", qui en a fait au moins "quelque-fois" !
La juge revient sur l’attitude "détendue" de cet inculpé pendant les interrogatoires de la DGSI, pendant lequel les barbouzes le voyaient sourire à travers son masque (c’est un métier !), oui on a toustes des réactions différentes face au stress.
Il a en fait rigolé quand les flics l’ont désigné comme le "fidèle lieutenant du leader charismatique", il a beau leur dire qu’ils sont juste potes et pas dans un groupe hiérarchisé, ni même un groupe tout court, qu’ils préfèrent l’horizontalité, ça ne marche pas chez ces gens-là, le récit est écrit il faut distribuer les rôles. Il précise quand même qu’il n’était pas "détendu" ni à la DGSI ni devant le juge d’instruction alors qu’il était en détention provisoire (9 mois !) et que toutes ses réponses lui ont été arrachées par le stress et la contrainte et ne valent donc rien.

Toujours la même histoire, jouer à Denis la malice en cartonnant des canettes dans la forêt au lance-pierre acheté à Décathlon devient un élément à charge !
Il kiffe l’airsoft, après en avoir pas mal fait à l’adolescence, il en a fait avec ses potes... 2 fois en tout ! Un entrainement intensif à la guerre civile, la France a peur ! Il a beau préciser à chaque fois que dans les écoutes ou les notes retrouvées il ne parlait que d’airsoft, les juges et proc tiennent absolument à présenter ça comme des armes.
En parlant d’armes, la juge demande s’il en a déjà utilisé de vraies, en stand de tir, chasse ou autre. Non, en dehors d’une fois en Guyane où il a presque perdu ses dents avec le recul parce qu’il ne savait pas la tenir devant les chasseurs expérimentés qui rigolaient. Il n’a jamais réessayé et n’en a pas.

Dans la série objectivité totale des éléments à charge, on a droit ensuite aux morceaux très (très) choisis du carnet dans lequel il note plein de trucs : laver les vitres, racheter du café, mais non on ne retiendra que les quelques feuillets qui parlent du Rojava parce que forcément il ne pensait à rien d’autre dans la vie, genre un projet d’achat de terrain dont il parle depuis longtemps, mais non c’est pas important. Une brochure crypto-Mao cheloue trouvée dans son sac, récupérée sur un infokiosque quelconque (la définition de l’infokiosque a dû être donnée pour expliquer ce que c’est aux juges et proc, sic), pas lue avant la prison et dont il se désolidarise totalement devient pour la proc son livre de chevet. Sous prétexte que les thèmes reviennent dans ses réflexions (c’est sûr c’est bizarre de se poser des questions sur la gestion des blessés graves par exemple, avant d’aller sur une zone où traîne DAESH) on nous en tartine des extraits tous plus autoritaires les uns que les autres sans se soucier de la contradiction totale avec tous les principes qu’il défend inlassablement depuis le début, à chaque question. Des questions qu’on lui repose 4-5 fois en moyenne, notamment celle de qui se cache derrière les pseudos dans ses notes, qui reviendra particulièrement, et sur laquelle il ne transigera pas !

La citation du jour serait de Mao "prendre les armes où elles sont", et utiliser tout ce qu’on a sans scrupules : c’est exactement ce que fait l’accusation, en choisissant toujours précisément les extraits qui l’arrangent, en oubliant que dans telle discussion, même la transcription précise qu’ils ont l’air "bourrés et rigolards" et pas en train de préparer le coup du siècle, en choisissant la brochure mao plutôt que celles sur la CNV ou l’hygiène par les plantes, en présentant "les feuillets 4 et 5" parmi ses très nombreuses notes sans qu’on sache où ont disparu les 3 autres, du beau travail de couture avec le patron dessiné par la DGSI à partir de ses infos "trop secrètes qu’on peut pas savoir d’où qu’elles viennent".

Pour la vérité, comme disait un autre autoritaire, il faudra attendre, "l’Histoire jugera !"

Jour 9, mardi 17 octobre : l’airsoft en jeu (ou en entraînement paramilitaire selon le tribunal)

Au tour de C., L. et B. d’être interrogé-es sur les parties d’airsoft : il s’agit selon les accusé-es d’avoir joué lors d’un week-end dans une maison abandonnée en février 2020, ou pendant un après-midi pendant le confinement en mai 2020. En fait d’airsoft pendant cet après-midi, iels ne se sont pas tiré-es dessus avec les répliques d’armes comme lors d’une vraie partie d’airsoft. Iels ont plutôt fait des scénarios de jeu de rôle, se sont déplacé-es dans la maison en binômes, et ont "joué et fait les débiles pendant 2 heures." "Un vrai joueur d’airsoft se serait emmerdé" avec elleux.

Iels passent tout de même des plombes à se faire interroger sur ce passe-temps : les juges et les procs tentent de leur faire dire qu’il s’agissait d’entraînements, d’un transfert de connaissances de la part de F, décrit comme le leader. Iels ont dû batailler contre le vocabulaire guerrier employé dans les questions et la triste vision des juges et des procs. Iels ont insisté sur le caractère ludique de l’airsoft : il s’agissait bien de jeux et non d’entraînements paramilitaires, il était question de répliques et de jouets et non d’armes, de retour sur les jeux de rôles et les dynamiques de groupe et non de débrief... Comme le rappelle l’un-e des inculpé-es, pendant ce confinement, iels ont passé plus de temps à essayer de faire monter une véganaise qui ne prenait pas qu’à jouer avec les répliques. Voilà pour les exercices paramilitaires. Iels ont aussi démonté l’idée que F aurait été le meneur dans ces jeux.

L’airsoft, une activité assez répandue, est malgré tout utilisé dans une affaire de terrorisme : "je fais des actes anodins, mes ami-es ont des activités anodines, et pourtant je me retrouve accusé de terrorisme, je suis jugé pour mes idéaux". Un traitement d’exception quand à côté de cela, l’un-e des accusé-e rappellera que des youtubeurs d’extrême droite comme Papacito peuvent tirer à l’arme lourde sur un pantin à l’effigie de la France Insoumise, sans être inquiétés.

Juges et procs, très mauvais psys
Mais alors nuls nuls nuls. Il faut leur rappeler que oui, un moment (l’activité d’airsoft du confinement) peut être perçu comme cool car il a permis de rééquilibrer les dynamiques de groupes et parce qu’il y a eu des anecdotes rigolotes, sans pour autant être fondu-e de l’activité pratiquée à ce moment-là.

Ils découvrent aussi qu’une personne anxieuse peut vouloir se confronter à ses peurs dans un cadre ludique : il est possible de penser qu’on "aime pas les armes, on aime pas la guerre" et en même temps pratiquer l’airsoft.

Les conditions de garde-à-vue
Les conditions de GAV reviennent souvent dans les audiences, car elles sont un élément essentiel dans le montage du dossier par l’accusation. Les avocat-es interrogent sur les biais des interrogations en GAV : les flics distillent des infos pour monter les accusé-es les uns contre les autres hors audition officielle (pendant les pauses, les transports...), pour les inciter à charger LibreFlot.

Les interrogé-es soulignent le caractère performatif du langage des enquêteurs pendant la GAV : après avoir été transféré-es à la DGSI cagoulé-es, après avoir entendu les flics en off dire qu’il s’agit d’une affaire de terrorisme liée au Rojava, à force d’entendre le champ lexical de la guerre dans les questions, les accusé-es finissent par perdre pied vis-à-vis de la réalité (est-ce que leur pote avait prévu de faire un attentat si les flics le leur répètent h24 ?), et finissent par utiliser ce même vocabulaire dans les réponses. C’est pourquoi iels parlent d’entraînement d’airsoft au lieu de jeux de rôle en GAV, c’est pourquoi iels finissent par charger F, sans rien dire de concret vu qu’effectivement il n’y avait rien. Sans compter que leur droit au silence est constamment bafoué par le parquet et les enquêteurs.

On apprend aussi que l’un d’entre elleux s’est vu prescrire du Tramadol, un opioïde puissant, par le "médecin" de la DGSI, lui qui ne prend jamais de médicament habituellement. On lui en a donné juste avant une audition : la méthode chimique des enquêteurs pour faire craquer, pour obtenir de faux aveux.

La stratégie des juges et des procs : charger F.
Amorcé déjà jeudi et vendredi dernier, le recentrage sur la "responsabilité" de LibreFlot se fait sentir de plus en plus dans les questions de la juge et des procs. Celles-ci tournent quasiment exclusivement sur comment les autres prévenu-es perçoivent le positionnement de leader dans le groupe de personnes réunies pour jouer, sous influence dans les décisions, sa volonté de contrôle dans la manière dont les personnes se comportaient dans les entraînements ou les expériences.

Comme les éléments du dossier sont inexistants, juges et procs en sont réduits à faire "faire du commentaire de texte" des paroles de F dans les écoutes, exercice particulièrement éprouvant pour les interrogé-es. D’ailleurs, parfois il n’est même pas question de paragraphe, de phrase, ou de groupes de mots, mais simplement de mots isolés extraits des conversations. C’est ainsi qu’iels sont questionné-es sur l’usage que fait F des mot "bosser" et "travailler", utilisés par F à toutes les sauces apparemment, mais que le parquet veut relier à de potentiels "projets"...

Mercredi 18, ça continuera sur les parties d’airsoft et peut-être les moyens de communication.

Jour 8, vendredi 13/10 : fin de la 2e semaine de procès

Le vendredi s’ouvre sur un énième refus de la juge de faire droit « pour le moment » au visionnage des interrogatoires à la dgsi. Cela sera décidé au cours des jours qui viennent ou au délibéré… on a pris l’habitude de se faire balader, pas de surprise.
Vient ensuite la dernière partie concernant les « explosifs, pétards, tests » selon la juge avec l’interrogatoire de C.
Après avoir du se défendre de faire de la « récup », de ne pas utiliser les applis gouvernementales anticovid, C. s’entend disséquer des bribes de conversations où on lui demande de justifier d’un mot, puis d’un autre. Mais bien sur, Mme la Présidente nous rassurera : il n’y a rien d’absurde là-dedans.
Comme pour les précédents, les questions tourneront autour de « qui ? » a amené la recette. « Qui » en a parlé ? « Qui » a accès à internet dans la maison ?
La manoeuvre visant Libre Flot n’est pas dissimulée alors que C a vaguement l’impression d’avoir participé à un TP de chimie. Que ce confinement leur pesait et qu’iels passaient d’une activité à une autre par ennui… oui avec un peu d’insouciance mais c’est tout. Pourquoi s’arrêtent-iels dans leur expérimentation ? parce qu’iels ne s’amusent plus.
C’est si difficile à comprendre un jeu, en mai 2020….?
Pour continuer de bien tourner en rond, les questions du parquet essaient de lui faire dresser un portrait psychologique de Libre Flot : est-ce qu’il parle de la guerre ? Qu’est ce vous pensez de ce vécu ? Est ce que les activités qu’il propose ne sont pas en contradiction avec ce qu’il a vécu ?
A court d’arguments, le parquet revient sur la dimension intime des rapports entre C et F. C pointe fermement les choses : leur relation a toujours été très clairement expliqué aux enquêteurs, elle aimerait qu’on reste sur le fond du dossier. La Présidente sauve les fesses du parquet en rappelant que ce sont les règles du jeu.
Vraisemblablement ici personne ne s’accorde sur le sens de ce mot.

La juge décide ensuite d’entamer le chapitre sur les armes et l’airsoft et c’est W qui ouvre le bal. Litanies des armes en sa possession, « toutes acquises légalement » comme aime le souligner le parquet dans sa mansuétude… on sent la patate arriver, comme dirait W. Permis de chasse tout aussi en règle. Tout est carré.
W connait son sujet : il ne faut surtout pas confondre la chasse et le tir sportif, ce sont des pratiques qui amènent à manipuler des armes très différentes. Le permis de chasse est un outil, rien de plus. Oui, ils ont tiré tous les 3 ce jour là, et ont discuté des armes, ils étaient dans un "délire" de survivalisme à ce moment-là, pendant le confinement, ça se tient.
Ca ne le dérange pas de prêter ses armes s’il est là et que c’est en sécurité mais ça arrive peu, « vraiment ça n’intéresse personne, et il est très dangereux de mettre en parallèle, de rapprocher des activités aussi différentes que l’airsoft, le paintball et le tir ».
Comparer un jeu d’airsoft à un entraînement militaire, si son grand-père l’avait entendu dire ça, il lui aurait mis une petite tape derrière la tête. Tout le monde rit. Pas la présidente. Qui réprimande.
Comme si une seconde les prévenu.e.s et leurs soutiens pouvaient oublier qu’il se joue ici quelque chose de grave, comme si les 3 années passées à voir leur vie brisées, leur monde s’effondré, pouvaient un instant s’effacer de leur esprit, de leurs corps. W se défend, « le rire le détend », il en a besoin parce qu’il sait « qu’il y a le parquet qui arrive » et qu’il a peur.
« J’ai peur que mes réponses soient inaudibles, qu’on ne m’écoute pas. »
Stupeur de la présidente : « - vous avez l’impression qu’on ne vous écoute pas là ? »
Rire nerveux : « encore une fois, on verra selon le résultat à la fin, pour l’instant je ne sais pas »
S’ensuit un cours de 1re année de droit sur l’audience correctionnelle, c’est vrai qu’on n’est pas du tout à la bourre dans ce procès, autant faire des apartés façon vieille école.

Avec tout ce retard, mardi il sera à nouveau question d’airsoft et d’armes. Mercredi d’outils de communication et projets. Les témoins sont invités à venir le jeudi 19, vendredi les questions de personnalités. Mardi 24 réquisitions du procureur. Mercredi 25 et jeudi 26 plaidoiries des avocat-es de la défense.

Jour 7, jeudi 12 octobre : La rencontre de 2 mondes, celui des "pétards" vu par l’autre comme celui des "dangereux explosifs"

Encore un jour sur les explosifs, encore un jour où on prend du retard sur le planning, pour des questions très nombreuses dont nous ne comprenons pas l’utilité. On pense que les juges veulent poser pleins de questions, qui semblent absurdes, détaillées, pour perdre les inculpé-es, essayer de leur faire dire certaines choses, se perdre, etc. Mais avec ce temps perdu, on se demande bien comment tous les sujets prévus vont pouvoir être évoqués... advienne que pourra. On verra bien.
2 impressions du soir : "respect les gars" et "il faudrait des cours de vie pendant les études de magistrats" (autant pour les juges que pour les procs). Respect pour les 2 personnes interrogées qui sont restées très fortes, qui ont réussi à ne pas se laisser complètement impressionnées par les questions des juges, procs - et même parfois avocat - ce qui n’est clairement pas chose facile. Elles ont pu évoquer leurs conditions de gav, et ne les souhaitent à personne, pas même aux procs. Se faire réveiller à 6h du matin par des fusils d’assault pointés sur la tête, se faire emmener cagoulé et camisolé entre des flics eux-mêmes cagoulés et plus qu’équipés dans des voitures, puis train, puis voiture jusqu’à Levallois-Perret (92) dans les locaux de la DGSI pour se faire interroger avec beaucoup de moments off où les flics leurs disent que leur pote s’est fait arrêter "le doigt sur la gachette" alors qu’il allait tuer des gens, qu’il va prendre 30 ans, et eux 15 pour complicité s’ils ne disent rien. Bien sûr, tout ceci est faux, mais iels ne le savent pas. Ils ne savent pas sur le moment qu’est-ce qui est en "in" et en "off", on ne peut pas dans ces conditions être de marbre, de sang-froid, pouvoir réfléchir et savoir ce qui est vrai ou faux. Alors oui, sous la pression, les mensonges, les armes, ils répondent aux questions en gav. Et ils s’en veulent, beaucoup, de répondre "oui" à des questions où les flics n’acceptent que cette réponse alors qu’ils pensent "non", pour sortir de cette situation... La juge leur dira que quand même, dans ces auditions, ils parlent beaucoup de LibreFlot. Ils répondent qu’on ne leur pose des questions que sur lui, ils ne peuvent donc faire autrement, ils ne peuvent pas parler d’autre chose, ni ne pas leur répondre. On les oblige à répondre.

Les questions du jour portent donc sur 2-3 après-midis d’avril 2020 où, pendant leur mois de confinement entre potes dans une maison et son terrain, iels mettent des pétards sur un mini-bateau (du type des bateaux des sushis, vous voyez ? un peu plus grand mais pas tant) sur l’eau, le bâteau brule, coule à moitié, mais pas tant. Iels mettent de la musique d’ambiance, rigolent... Iels s’occupent comme iels peuvent pendant ce confinement. Le bâteau n’ayant pas fini de couler, et n’ayant plus de pétards, iels se disent qu’iels peuvent essayer d’en fabriquer elleux-mêmes. Un atelier du petit-chimiste se lance, avec les quelques produits qu’iels ont. De l’engrais donc, du sucre, ce genre de chose. Les premiers essais ne fonctionnent pas, le mélange s’enflamme, mais c’est tout. Le dernier essai semble concluant, ça pète, plus qu’iels ne l’auraient pensé. Iels se sentent tou-tes un peu péteux, comme s’iels avaient fait une bêtise, arrêtent donc là, effrayé-es par la portée de l’explosion, et reprennent diverses activités de confinement. Mais entendons-nous bien, leurs habitations sont à peine à quelques mètres de là : l’explosion n’est donc pas si importante, rien n’a été abîmé.
Juges et procs aussi posent beaucoup de questions pour savoir si c’est LibreFlot qui a mené et incité à faire ces "explosifs" selon elleux. Terme que les inculpé-es réfutent, et utilisent toujours le mot "pétards", iels faisaient des "pétards".
La juge veut savoir qui a eu l’idée de fabriquer elleux-mêmes les pétards, et pourquoi personne n’a réagi et faire arrêter ceci parce que quand même "c’est fabriquer des explosifs, ce n’est pas anodin !" Elle ne semble pas comprendre qu’ils ne savent pas, ne se souviennent plus, 3 ans plus tard, c’était des discussions de groupe, ils essaient juste de s’occuper, de s’amuser. Et elle ne semble pas comprendre que si, c’est anodin de se dire, "on n’a plus de pétard pour finir le bateau, et si on tentait d’en fabriquer". Bref, un dialogue de sourd entre 2 mondes. Le vrai monde, et le monde des procs et des juges qui ont semble-t-il des vies très protégées, comme on peut le voir lors d’énormément d’audiences dans n’importe quel tribunal.

Jour 6, mercredi 11 octobre : Les explosifs, interrogatoire de Libre Flot et audition de l’expert

C’était l’interrogatoire de Libre Flot pendant près de 5 heures, par la juge, le proc et les avocat-es. Il était question des explosifs testés en février et avril 2020, et tout se fonde sur les retranscriptions des écoutes de la DGSI (qui a posé des micros dans son camion). Ce qui ressort de l’après-midi est un récit du point de vue policier de ce qui ressemble à du bricolage « de débilos » qui tâtonnent et des activités de confinement : comprendre un projet terroriste bien rôdé selon le parquet anti-terroriste.
La juge et le proc veulent faire dire à Flot que ce n’était pas la première fois qu’il essayait de faire des explosifs et qu’il avait un rôle plutôt directif en avril 2020. Impossible qu’il ait retenu la recette qu’un ami lui a montrée deux ans avant (aussi simple qu’un « chocolat chaud » selont Libre Flot, et en effet il suffit d’engrais et de sucre), il a forcément appris ce « savoir-faire » [5] au Rojava.
L’affaire est fondée sur des intentions supposées et rien de concret. Du coup toute la procédure se fonde sur des écoutes, et notamment des propos un peu vantards tenus alors qu’il était ivre et refaisait le monde pendant un week-end. Comme souligné par Libre Flot, même si les écoutes ont été très nombreuses, ce qui ressort dans la procédure est très parcellaire, les agents ont assemblé des morceaux par-ci par-là pour former « une mosaïque » factice, construisant l’image d’un ennemi prêt à agir. Sans compter que les retranscriptions par la DGSI sont souvent malhonnêtes : les agents ont écrit « gilet explosif » au lieu de « lunettes balistiques » par exemple...
Enfin, les juges et procs utilisent les relations entre les accusé-es pendant les écoutes pour tenter de les diviser, en appuyant sur les différences infimes de versions et de perceptions. Ce déballage de vie privée est une violence supplémentaire infligée aux accusé-es.

L’expert

Entre 19h45 et 23h, c’est au tour de l’expert en explosifs de la pref de déposer. Il a été demandé de comparaître par le proc, donc on se doute qu’il a une certaine vision de l’affaire, et quand plusieurs interprétations d’un fait sont possibles, il choisit le récit policier. Exemple : de ce qu’il connaît - les attentats, et pas les usages agricoles - le mélange nitrate d’ammonium/sucre n’est jamais apparu en Europe. C’est donc pour lui une recette moins partagée que les autres explosifs. Pour l’accusation c’est bien un signe que Libre Flot a importé un savoir-faire du Rojava ! Alors même que les écoutes montrent une équipe de bras cassés qui ne savent pas comment procéder, et que même mal réalisé, le mélange peut exploser.
Avant de répondre aux questions du tribunal, il finit sa présentation avec une simulation étrange : quels dégâts ferait une charge de 20kg (quantité bien plus grande que les quantités de matière saisies) d’explosifs posée place Vendôme ? Pourquoi cet exemple, pour déboulonner une nouvelle fois l’infâme colonne Vendôme ?

Jour 5, mardi 10 octobre : Une QPC, beaucoup d’attente et quelques vidéos

Au regard de leurs demandes répétées et rejetées lors des précédentes séances de pouvoir faire citer les 3 officiers anonymes de la DGSI qui ont rédigé la majorité des actes de l’accusation, l’ensemble des avocat-es s’accordent à réclamer une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) [4]. Cela dans le but de faire valoir l’équilibre entre les droits de la défense et le respect de l’anonymat des policiers : d’une part l’impossibilité de faire comparaître les flics à l’origine entrave le droit de la défense à citer des témoins ; d’autre part cela crée une rupture d’égalité entre la défense et le Parquet anti terroriste (iels mentionnent aussi une contradiction avec un autre article [5] et un "vice d’incompétence négative du législateur", mais on y capte rien et ça ne doit intéresser que les juristes).
Le proc lui espère surfer sur l’attentat de Magnanville - jugé au tribunal de la Cité en ce moment - donc il y fait référence. Il rappelle que des extraits des PVs de la procédure ont été publiés sur "certains sites internets". Il reproche surtout que dans ces PV apparaît le nom du juge d’instruction, qui n’a pas été anonymisé ! Bizarre de faire ce reproche quand le nom de ce juge était dans tous les médias mainstreams. En clair, il s’oppose à la QPC.

Bref, suspension d’audience pour décider de la recevabilité de la QPC. Réponse à 17h30, 3 heures plus tard : non (une heure par lettre). Les juges sont d’accord sur la forme de la QPC, mais la cour ne "retient pas le caractère sérieux de la QPC". LOL. De l’humour de juriste dont on se passerait bien.

On passe à la suite, le visionnage de vidéos tournées entre 2015 et 2020, où on voit les compétences d’artificier de l’un des accusé-es. Cela va du clip musical [6], à des pubs dont une pour une école de cascadeurs [7], en passant par un extrait du court métrage La Proie (à 13’20, dommage, 8 secondes trop tard). Sur les coups de 18h30, au moment de passer à un interrogatoire, la présidente suspend l’audience jusqu’à demain, estimant qu’il est trop tard. Le fond de l’affaire est reporté à la saint Glinglin... Ah râpé c’était aujourd’hui !

Demain : l’audience commencera par l’audition d’un expert, puis par l’interrogatoire.

Jour 4, vendredi 6 octobre : 5 heures de pression pour des pétards mouillés

Pour ce 4e jour d’audience, on est censé commencer le fond de l’affaire, et une des parties les plus importantes : la fabrication et essais d’engins explosifs. Cela doit durer une journée, avec l’interrogatoire de toutes les personnes concernées. On comprend donc que ça peut prendre un peu de temps, pour bien saisir comment ces personnes ont pu devenir des terroristes en faisant des explosifs.
Mais finalement, les 5h d’audience qui vont suivre s’acharneront sur une seule personne. Effectivement, cela a du être très important, très dangereux et très grave peut-on se dire. Mais non, ces 5 heures, très éprouvantes pour la personne interrogée, ne font que tourner autour de faits dérisoires.
On lui pose encore des questions sur sa vie, privée, pendant au moins 1h30 avant d’en arriver vaguement aux "explosifs". Il est en fait artificier à Disneyland, fait les jeux de lumières, feux d’artifices et effets spéciaux pour les spectacles et parades du parc. Pour son métier il fait donc, tout le temps, des essais, un peu comme un chimiste, de tel produit avec tel poudre. Et ce week-end là, où ils vont passer plusieurs jours entre potes, à boire des coups, se promener, passer du temps çà trainer, bavarder etc, ils vont aussi essayer de voir comment faire un pétard, son copain ayant surement du avoir à en fabriquer pendant son passage au Rojava. Un partage d’expérience donc, pour apprendre de nouvelles techniques pour son métier, et pour passer du temps. Et on passe 5 heures, à poser des questions, souvent les mêmes, absurdes, pour essayer de comprendre pourquoi il va boire des coups avec son pote et veut faire un pétard. Ce que toute l’audience a compris en 5 minutes, il faut croire que la justice a besoin de 5 heures. Et par la même on décortique de manière très malaisante sa vie privée.

A son tour, le PNAT (parquet national antiterroriste) a tellement peu d’arguments qu’il ne fera que répéter les questions de la présidente et relire les mêmes écoutes, dans une démonstration incroyable de vacuité et de harcèlement.
Il se raccroche tellement aux branches d’une procédure vide qu’il doit évoquer « Anders Breivik », que l’inculpé ne connait pas, l’explosion du 4 août 2020 au Liban, mais toujours en creux, de façon sournoise car au fond il sait bien qu’il n’a rien. Qu’il ne cesse d’agiter les scellés de produits dangereux en en gonflant les quantités : 150 grammes d’un mélange se transforment avec lui en 2 kilos d’explosifs. Tremblez, propriétaires de sucre, d’eau oxygénée ou d’engrais.
Qu’il réinvente les normes du métier d’artificier en brandissant les dires terrorisés d’un autre artificier. La législation est pourtant claire et l’inculpé n’aura de cesse avec force de la rappeler. Il se doit d’ « être parfait » dans sa pratique car justement il assure la sécurité de personnes. Et donc il se doit d’avoir toujours le bon matériel. C’est son métier, il avait le droit de posséder, de transporter et de manipuler tout ce qui a été retrouvé chez lui. Dans des quantités qui font comprendre que ces personnes du PNAT n’ont jamais mis la main dans un sac de terreau et ont certainement des employées de maison pour ne pas avoir à croiser un jour de leur vie du destop ou de l’eau de javel. Le fossé ne cesse de se creuser entre leur réalité et la notre. Mais rien n’y fait, l’audience continue et les procs martèlent. Comme les quantités, les durées explosent : une matinée à tester en vain un mélange explosif se transforme en 4 jours à faire des explosifs. Sur ce point encore, l’inculpé les corrige avec force systématiquement mais quel dommage : la video de la surveillance correspondant a été très opportunément effacée par la dgsi « oups erreur technique » à peine un mois avant les interpellations. Et il n’en existe aucune retranscription….
Il faut donc faire avec les délires du PNAT qui voit de dangereux individus là où 2 « pieds nickelés » se retrouvent et picolent.
Heureusement la personne tiendra le coup, répondra à toutes les questions, comme il le peut, ne se laissera pas déstabiliser.
Les avocates souligneront les pièges grossiers du parquet qui articulent ensemble des bribes de conversation à peine audibles et distantes parfois de 8 min pour faire ressortir une supposée intention délictuelle.
On ressort vraiment avec une impression que la justice est ridicule, et que le dossier qu’on croyait sans fond, l’est encore plus (sans fond), et sans coeur. Cette affaire a détruit la vie d’au moins 7 personnes, affectée celles de beaucoup de leurs proches. Et l’audience continue d’être extrêmement dure pour elleux, même si au moins iels peuvent s’exprimer.
On hésite entre le rire et les pleurs. Le rire du pathétique des questions et de la scène. Mais les pleurs parce qu’iels risquent 10 ans de prison pour ça, que leurs vies sont brisées, et que cette affaire est grave, politiquement, et sans fond.

Jour 3, jeudi 5 octobre : questions de personnalités des quatre autres inculpé·es

L’audience de ce jour est consacrée aux éléments de personnalité des quatre prévenu·es restant·es, et aux liens que chacun·e d’entre elleux entretient avec les autres inculpé·es.

En termes d’ambiance générale, la cour et le proc posent le cadre dès le début de l’audience : tout commentaire ou réaction de la part du public est proscrite, et la présidente menace de faire évacuer la salle si cela se reproduit. Le proc demande à ce que la personne qui avait été expulsée la veille ne revienne pas. Le ton est donné. Les émotions, les manifestations d’empathie ou de soutien n’ont pas leur place : ici, c’est la justice, froide, droite, dure. Prière de laisser votre humanité à l’extérieur du tribunal avant d’entrer.

Comme la veille, chaque audition commence par des questions sur le parcours de vie, le cadre familial, les études, les différents emplois, ainsi que sur les mentions existantes au casier judiciaire. Moment difficile s’il en est, où toute sa vie est passée en public sous le regard inquisiteur du tribunal. Les moments les plus durs, les difficultés psy, les ruptures familiales, les addictions, l’alcool, les passages par la rue ou par des périodes de chômage, etc. Quand bien même la juge garde une relative posture de neutralité, l’examen et le choix même de ces questions est le fait d’une rare violence de classe.

Inlassablement, les questions reviennent vers le rapport à la violence, vers les armes ou les explosifs. Chaque présence sur une ZAD est l’occasion pour le tribunal de demander si les prévenu·es ont participé aux affrontements qui ont eu lieu, s’ielles ont un attrait pour la violence. Les parties d’airsoft sont toujours suspectées d’être des entraînements. Le militantisme pour la cause animale devient une preuve de la volonté et de la capacité à passer à l’acte.

Tout aussi inlassablement, à chaque interrogatoire une petite mécanique se répète : essayer de faire reconnaitre aux inculpé.e.s qu’iels pouvaient être sous l’influence de l’inculpé principal (Libre Flot). Ce qu’iels ont toustes réfuté.

Heureusement, les prévenu·es s’emparent de ces questions pour rétablir un récit simple, cohérent, limpide de leurs parcours. Loin des affabulations paranoïaques et délirantes du PNAT (Parquet National Antiterroriste, ici représenté par le procureur) et de la DGSI, qui cherchent à maquiller les quelques maigres éléments du dossier en autant d’« indices graves et concordants » qui tendraient à étayer leur récit flou et mal ficelé d’un soi-disant « projet terroriste », les inculpé·es opposent à ce récit une lecture proprement « banale » des faits qui leur sont reprochés. Les parties d’airsoft ? Une simple initiation de quelques heures. Le fusil et le permis de chasse ? Pouvoir faire des tirs d’effarouchement, et chasser pour se nourrir. La formation d’artificier ? Un projet de reconversion professionnelle vite abandonné car rendu impossible pour cause d’antécédents judiciaires, le permis sans pouvoir en faire sa profession ne l’intéresse pas. La baudruche de l’accusation se dégonfle, révélant à nouveau la vacuité du dossier.

Au détour d’une question sur les expertises psy et sur le refus de certain·es de continuer à s’y soumettre, un·e des prévenu·es, appuyé·e par un·e avocat·e, rejoint un avis déjà exprimé la veille par une autre personne. La psy est arrivée avec un important préjugé sur les personnes, et a produit des expertises à charge, contredites même par le reste de l’enquête.

Les questions du tribunal reviennent aussi beaucoup sur les différents lieux visités, et en particulier sur les lieux « suspects », toujours uniquement présentés comme étant le théâtre d’affrontements, où les prévenu·es sont suspecté·es d’avoir nourri un prétendu attrait pour la violence. Les ZAD de NDDL et de Sivens, tout d’abord, le rapport aux expulsions, à la mort de Rémi Fraisse.

Mais surtout, comme on pouvait s’en douter, pour un des inculpé·es, une bonne partie des questions concernent son séjour au Rojava. Les questions sur les raisons du retour remuent des choses forcément très dures, profondes, l’émotion est forte. La juge en conclura que « le fait que ça [l’]émeuve à ce point est une démonstration de [sa] personnalité ». Comprenne qui pourra.

Cependant, le récit de l’expérience au Rojava tourne court. La présidente assène : « Dans votre personnalité c’est votre arrivée et votre départ qui m’intéressent. » Peu importe ce qu’il s’est passé là-bas, ce qu’il y a vécu. Seul compte le fait d’être allé au Rojava. Les motivations humaines, les enjeux politiques sont balayés. La scène est d’une violence incroyable. Mais cela trahit aussi la stratégie déployée jusqu’alors par l’accusation : recontextualiser les faits, leur donner de l’épaisseur et du sens va à l’encontre du récit du PNAT. Si le Rojava intéresse le tribunal, c’est uniquement sous le prisme de la formation à l’usage des armes et, après son retour, à la manière qu’il aurait eu de communiquer au sujet du Rojava, à de prétendus « conseils » qu’il aurait donnés à d’autres personnes qui envisageaient d’y aller. Ces insinuations sont rapidement réfutées par l’accusé, mais le procureur revient à la charge et cherche vainement à démontrer que ce choix de l’engagement armé au Rojava cache un autre dessein que celui d’exprimer une solidarité internationale et de partager et de défendre l’expérimentation sociale et politique kurde qui s’y déployait au même moment.

Régulièrement, quand les inculpé·es s’étaient préparé·es à raconter des récits, en sachant que leur vie serait passée au crible pendant l’audience, finalement, la présidente les coupe en disant « Cela ne nous concerne pas. » Ceci après leur avoir demandé en début d’audition s’iels étaient dans de meilleures dispositions qu’en garde à vue ou que devant le juge d’instruction, et s’iels répondraient (enfin ?) aux questions.

Jour 2, 4 octobre : demande d’accès aux keufs ayant mené l’enquête et questions de personnalités des inculpé-es

Avoir les keufs enquêteurs dans le procès

Suite au refus de renvoi du procès des juges de la veille pour faire interroger les flics à l’initiative de ce procès, les avocates déposent des conclusions de supplément d’information pour demander à ce que ces enquêteurs de la DGSI soient entendu comme témoins pendant le procès. « La citation de ces témoins est l’affaire de tous, pas qu’une lubie de la défense ». Ils sont à l’origine de plus de 150 PV et autres documents sur lesquels se base l’affaire et sont donc au cœur de l’enquête. C’est eux qui ont fait le choix de laisser ou enlever du dossier les éléments de surveillance des enregistrements audios, vidéo et cie qui sont présents dans l’enquête et sur lesquels les juges et avocats se baseront pour juger cette affaire.
Ils ont fourni les matériaux de l’enquête sur lesquels les experts vont s’exprimer, en supprimant tous les autres éléments et moments qui seront sûrement à décharge.
Les juges ont répondu qu’elles répondraient a cette demande d’audition des keufs au moment du délibéré, c’est-à-dire après que le procès se soit tenu. Ironique.
Lors d’un procès aux assises, les enquêteurs viennent forcément présenter les éléments de l’enquête lors du procès. On a la réponse de pourquoi ce procès n’est plus aux assises pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » comme prévu initialement mais juste « association de malfaiteurs terroriste délictuelle. »

Personnalités des inculpé-es

L’après-midi a continué avec les 1ers interrogatoires des inculpé.e.s où se sont mêlées questions de personnalité et de fond et qui se soldent tous ainsi : la juge demande à l’inculpé-e ses liens avec chacune des autres personnes inculpé-es.
Moments très éprouvants pour les 3 personnes qui y ont eu droit aujourd’hui.
Après avoir vu leurs antécédents judiciaires et leurs parcours d’étude, de travail, et de choix de vie, les questions tournent vite sur les participations à des ZAD, au Rojava, à des actes violents ou à des cours de sports de combat, sur leurs réactions à la violence.
Pour le 1er, les juges, suivis (ou précédés) par les procs, cherchent à dresser le portrait d’un reclus de la société : son amour de la campagne, de la tranquillité est suspect, sa présence sur des ZAD est réduite à son expérience d’une zone de conflit, le confinement de 2020 devient une matrice à créer des personnes en rupture.
Avec la 2e personne interrogée, on entre dans une agence de voyage : Guyane, Colombie, Irak… le procureur veut voir un lien entre tous ses voyages et affiche le but de cette construction : « M., est ce que vous êtes intéressé par le projet révolutionnaire des forces kurdes au rojava ? » au moins c’est clair.
La 2e juge, elle « ce qui [l’] intéresse c’est la France » et les policiers visiblement « vous parlez d’intolérance M., vous ne supportez pas l’intolérance. Vous parlez des policiers ? ». Comprendra qui pourra.
Enfin, véritable harcèlement pour la dernière personne. Déluge de questions sournoises des 3 juges qui n’ont visiblement pas apprécié qu’elle ou ses proches aient refusé les enquêtes sociales et autres expertises de sa personnalité. Ses projets perso sont relus pour coller au récit policier : "vous avez une attirance particulière pour les armes ?" "Vous avez vécu des situations de violences ?" "Quels auteurs étudiés pendant vos études ? Des récits de guerre ?" "Vous pensez quoi de la justice ?"
Alors que l’inculpé.e se tirait des pièges des juges, une réaction enthousiaste à l’une de ses réponses a valu à une personne d’être sortie de l’audience. Des camarades lui ont solidairement emboité le pas.
Heureusement, les dernières questions de son avocat nous laissent sortir toustes avec la tête un peu plus haute de cet endroit sinistre :
"Est ce que vous pensez qu’on peut critiquer la justice ?
Est ce vous pensez que la critique et la violence sont la même chose ?
Quand vous parliez de « présomption de culpabilité », vouliez-vous dire que vous avez eu l’impression de devoir amener les éléments prouvant votre innocence ?
Est ce que vous trouvez qu’il est difficile de se défendre d’un projet qui n’existe pas ?"

Planning prévisionnel du procès

Jeudi 5 octobre, l’audience reprendra à 14h30 sur la personnalités des autres inculpé-es. Ensuite cela continuera sur les questions sur les expérimentations des explosifs
Mardi 10 interviendra l’expert sur les explosifs
Mercredi 11 on passera au sujet des armes. Avant de passer jeudi 12 à l’airsoft.
Vendredi 13 : outils de communications et possibles projets
Mardi 17 audition des témoins de contexte (principalement Rojava)
Mercredi 18 : audition des témoins de personnalité, à nouveau interrogatoires de personnalité
Jeudi 19 : suite des interrogatoires de personnalité
Vendredi 20 : réquisitions du procureur
Mardi 24 et mercredi 25 : plaidoiries des avocat-es
Jeudi 26 et vendredi 27 : délibéré puis rendu de la décision.

Jour 1 : mardi 3 octobre : Rassemblement et découverte du tribunal et du procès

Rassemblement
Un appel à rassemblement devant le tribunal avait été fait pour ne pas laisser les inculpé-es et leurs proches seul-es à ce procès. Il y a eu des prises de paroles, des banderoles et des messages affichés sur le parvis, des chants et même une cantine. Environ 200 personnes sont venues en soutien.

Des personnes ont eu des contrôles d’identités en arrivant sur le parvis.

NOUS NE NOUS LAISSERONS PAS ANTI-TERRORISER

Le procès
Une fois n’est pas coutume, la salle prévue n’est pas toute petite et nous n’avons pas eu à batailler pour avoir la place de rentrer dans la salle. Le procès se déroule dans une grande salle, avec peut être 150 places (dont certaines réservées aux journalistes accrédité-es).
14h l’audience commence. Se pose la question des témoins participants au procès. Les avocat-es ont demandé à ce que soient entendus les flics de la DGSI qui ont fait les déclarations et PV estimant que ces personnes pouvaient être dangereuses, qu’il fallait enquêter sur elleux et les mettre sur écoute. Personne ne sait sur quoi ils se sont basés pour lancer ces accusations... Ces flics ne sont pas allés chercher leur citation à comparaître (sorte de convocation) et pour l’un d’eux, anonyme, ce sont les locaux de la DGSI qui sont restés fermés face à l’huissier venant demander des informations sur la personne et remettre la citation.
Les avocat-es font une demande de renvoi du procès pour pouvoir audiencer les fonctionnaires de la DGSI, et qu’ils puissent témoigner au procès.
Cela est refusé.
Ni le ministère public (représentant de l’État, qui accuse les personnes jugées), ni les juges n’auront la volonté d’aider à convoquer ces flics pour qu’ils témoignent, même anonymement au procès.
Pour les avocat-es, il y a obstruction à la justice et déni des droits de la défense : iels n’auront jamais accès à la réelle raison de toute cette enquête.

Une autre demande de renvoi a été faite sur un argument plus juridique qui sera sûrement très bien détaillé ailleurs, mais dont nous n’avons pas compris tous les tenants juridiques. Elle concerne la mise sur écoute des prévenu-es avant même la date officielle de l’enquête, ces mises sur écoute sont donc censées être illégales. Si une décision du Conseil Constitutionnel de la semaine dernière est validée par le Conseil d’État (si on a bien suivi), ces mises sur écoute seraient illégales, et il n’y aurait donc plus de procès 8/12.

Bon, comme on s’en doutait tout-es malheureusement, après une suspension d’audience d’une heure, les juges ont décidé de refuser ces demandes de renvoi. Le procès aura donc bien lieu.

17h Ont encore lieu des "demandes d’actes", c’est-à-dire que certaines pièces soient ajoutées au dossier. Les avocat-es n’ont pas pu avoir accès à certains enregistrements des mises sur écoute ou à un disque dur d’ordinateur. Le tribunal répondra plus tard à ces demandes, en fonction des débats.

Après avoir demandé aux inculpé-es leurs identités et revenus, et cité les faits reprochés (globalement, participation à groupement en vu d’actes terroristes, associations de malfaiteurs, atteinte à l’État, utilisation de clefs de cryptage, refus ADN, détention ou usage d’engin explosif, c’est-à-dire des fumigènes ou autres, etc. etc.), le procès peut enfin commencer. La présidente (juge principale) fait un très long rapport d’audience : elle résume les faits pour les assesseuses (les 2 autres juges).
Les faits reprochés et préventions seront reprécisés pendant toute la durée du procès. Ils sont aussi dans les différents articles beaucoup plus détaillés, dont vous retrouvez les liens au tout début de cet article.

Pour finir : la juge donne un planning flou des futures journées de procès à venir.
Mercredi (aujourd’hui quand sort l’article), les liens entre les inculpé-es, comment iels se connaissent, le passé commun et les lieux de surveillance.
Jeudi (début 14h30 exceptionnellement) : les explosifs (si cela n’a pas commencé la veille), les armes, les entraînements militaires, les outils numériques, les projets.



Notes

[1Par exemple Le soleil se lève toujours par le collectif de la Conspiration des cellules de feu. Là encore, fanzine trouvé dans un dossier avec plusieurs dizaines de brochures venant d’infokiosques.net.

[3Il appelle ça « les oubliettes »

[4C’est l’article 706-24 du Code de Procédure Pénale qui est visé, il permet d’anonymiser des agents dans certaines procédures et de les désigner par un matricule tout du long.

[5Le 550 du CPP

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