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Les Monts de Blond, la forêt et un groupement forestier citoyen

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Le paysage des Monts de Blond a évolué au fil de l’histoire : paysage de prairies (pastoralisme), landes, peuplement forestier, il s’est transformé en lien avec les activités humaines. Aujourd’hui, il est plus important que jamais de conserver ce précieux couvert forestier, d’en prendre soin individuellement et collectivement en prenant en compte les différentes fonctions qu’il offre, les usages que nous y partageons, sans en épuiser ses ressources, les tangibles comme les invisibles.
Cet article a été publié dans Mefia Te n° 20, journal de la Basse Marche dont le dossier de ce numéro est consacré à la forêt.

Un constat partagé

Lorsque l’on chemine dans les Monts de Blond, le couvert forestier majoritaire qui le constitue révèle les différentes approches de sylviculture qui définissent le paysage. Certaines semblent encore respectueuses de la biodiversité qui le constitue. Cependant, les habitants des Monts de Blond ont pu constater ces dernières années une intensification des coupes rases, y compris en proximité de sites naturels ou patrimoniaux qui nous sont chers (même s’ils se situent sur des parcelles privées). Ces coupes rases viennent modifier le paysage, dégrader les chemins ou les murets de pierre par le passage d’engins démesurés, mettre à nu, assécher et appauvrir les sols, détruire l’habitat de nombreuses espèces (faune et microfaune, flore et microflore) rendre vulnérables les arbres des parcelles voisines (prise au vent)... Il s’agit là d’une rupture écosystémique à long terme qui hélas débouche souvent sur des replantations en monoculture plus fragiles face aux éléments pathogènes.

Ces pratiques de sylviculture servent une valorisation voire une spéculation à court terme prioritairement dépendante des exigences économiques de la filière bois/énergie, avec une considération moindre de la valeur bois/matériau et des multiples autres fonctions qu’offrent nos forêts. Leur valeur n’est pas seulement marchande bien au contraire. Il est grand temps de remettre en avant ces différentes fonctions pour renverser la tendance actuelle... Elles sont multiples : paysagère, gardienne de la biodiversité, garante du stockage du carbone, de la qualité de l’air et de l’eau, patrimoniale, récréative, source de bien être, symbolique... Il s’agira de valoriser en parallèle l’ensemble des services offerts par la forêt : bois de chauffage, bois d’oeuvre, écrin potentiel pour une économie locale à échelle humaine des métiers du bois (bûcherons, scieurs, élagueurs, charpentiers, menuisiers, feuillardiers...). Au coeur de ce contexte, c’est la qualité de vie des habitants et des générations futures qui est en jeu !
Face à ce constat qui est loin d’être un cas isolé sur notre territoire national, nous nous sommes regroupés au sein du GFC pour mettre en oeuvre une alternative de gestion forestière qui s’appuie sur les principes de la Sylviculture mélangée à couvert continu.

La Sylviculture mélangée à couvert continu 

Partant d’observations et de diagnostics précis, la SMCC est une sylviculture d’ajustement menée à l’échelle de chaque arbre qui évite, sauf en situations contraintes, des à-coups trop brutaux pouvant conduire à des ruptures importantes du couvert forestier (coupes rases ou définitives).
Il s’agit en effet de veiller au maintien et au développement de la biodiversité locale, de privilégier la régénération naturelle du sous-bois à la plantation, de respecter un couvert continu de mélanges d’essences autochtones d’âges différents pour produire un bois de qualité dans une forêt ainsi adaptée au conditions pédoclimatiques locales (température, humidité, aération du sol).
Pour le propriétaire, cette orientation vers la production de bois de valeur lui permet de maximiser ses recettes tout en réduisant les investissements nécessaires à cette production puis qu’elle s’appuie avant tout sur les dynamiques naturelles (sources référentielles SMCC ASCAFOR).
A l’échelle d’une propriété, les récoltes se font par îlot parcellaire en réalisant des éclaircies successives , et cela dans le but de maintenir le capital forestier sur un long terme (respect du temps de rotation du capital).

Les prélèvements se font en fonction des besoins réels en bois et de la maturité des arbres et doivent pouvoir améliorer la qualité du peuplement. Le couvert continu permet de préserver la qualité de la composition organique du sol et du sous-sol nécessaire aux échanges mycorhiziens. Le couvert continu favorise la circulation des nutriments indispensables à la vie de l’arbre dans tous ses étages, des racines à la canopée, pour une photosynthèse optimisée garante de la qualité de l’air. On porte attention à la préservation des milieux connexes à la forêt, comme les zones humides, à la conservation d’une partie des bois morts au sol et debout qui participent de la décomposition organique et offrent de précieux microhabitats. En gérant au cas par cas les entrées de lumière, on favorise le réensemencement, en évitant les mises à nu du sol qui entrainent une dégradation rapide de l’humus et fragilisent l’équilibre de l’écosystème forestier en place sur le long terme. En SMCC certaines surfaces peuvent être aussi laissées en libre évolution.
Enfin, une condition préalable à la mise en œuvre de la SMCC (comme dans toute autre sylviculture) est un engagement durable dans la recherche d’un équilibre sylvo-cynégétique (rendre compatible la présence d’une faune sauvage riche et variée avec la pérennité de l’activité sylvicole).

Le Groupement forestier citoyen des Monts de Blond (GFC)

Le Groupement forestier citoyen (GFC) des Monts de Blond est une structure d’acquisition et de gestion forestière collective créée en juillet 2021. Cette société civile forestière regroupe 180 associé.e.s (personnes physiques et morales), tous.tes bénévoles, et qui vivent pour la plupart à proximité ou au cœur de ce petit massif. En favorisant la constitution de réserves foncières par l’achat de parcelles forestières, leur gestion en sylviculture mélangée à couvert continu (SMCC), le GFC a pour objectif de préserver et d’améliorer la biodiversité et la qualité des paysages, de soutenir une économie locale de la filière bois en offrant une alternative à une exploitation intensive grandissante.

Le GFC n’est en rien constitué pour valoriser l’enrichissement personnel. Les bénéfices éventuels sont consacrés à l’acquisition de nouvelles parcelles de bois, aux frais de fonctionnement ou à tout investissement matériel nécessaire au développement du groupe.

Après plus de 2 ans d’existence, le GFC a pu gagner petit à petit la confiance de propriétaires pour acquérir ses premières parcelles de forêt et commencer à expérimenter la sylviculture mélangée à couvert continu. Il est confronté à la fois à l’augmentation de la pression foncière que connaît la région ces dernières années mais également au fort démarchage mené par les coopératives forestières auprès des propriétaires de bois.
Cependant, nous assistons peu à peu à une prise de conscience globale des différents acteurs locaux pour soutenir ce projet et lui donner toutes ses chances de se développer, de préférence en dialogue et complémentarité avec les autres présences sur le massif. De nombreux citoyens nous rejoignent ou créent d’autres groupement forestiers citoyens sur d’autres territoires pour décider de l’avenir de la forêt. Une forte mobilisation a vu le jour fin 2022 autour de la vente de la forêt communale de Vaulry dont nous avons pu nous porter acquéreurs grâce aux nombreuses nouvelles souscriptions. Les négociations sont toujours en cours avec la mairie de Vaulry. Dans le cas où nous en ferions l’acquisition, nous nous sommes engagés à dialoguer avec tous les usagers et associations déjà présents sur ce territoire forestier à haute valeur patrimoniale (VTTistes, chasseurs, promeneurs, propriétaires et visiteurs de la Chapelle...) et à mettre en œuvre une gestion respectant les principes de la SMCC. Lors de notre appel à souscription pour la forêt de Vaulry, nous avons mis en avant le souhait de perpétuer une forme de bien commun, par une réappropriation citoyenne partagée.

En quoi la forêt est-elle notre bien commun ?

En optant pour une propriété collective, nous replaçons la forêt dans une forme de bien commun en prenant en compte les usages partagés répondant aux multiples fonctions évoquées plus haut.
En dehors de toute notion juridique de « propriété », c’est notre paysage commun, celui que nous habitons (pour un grand nombre d’entre nous), celui que des promeneurs contemplent où arpentent.
Le lien à la forêt a évolué au fil de l’histoire, ses usages également. Là où se tissait un lien permanent et partagé avec la forêt, dans un esprit d’entraide et de solidarité (pacage, bois de chauffage, chasse, cueillette, connaissance des plantes, des oiseaux, des arbres, des légendes...), s’est opérée une déconnexion progressive. Ce lien allait avec une transmission des usages et des savoirs. On a fini par oublier cette forme d’usage commun, de savoir commun, sauf peut-être encore à travers la cueillette des champignons, les randonnées pédestres ou équestres, la chasse, les activités sportives et de loisirs en général. Les connaissances botaniques ou ornithologiques se sont diluées approximativement dans nos mémoires, faute de transmetteurs, faute de récepteurs. Il ne s’agit pas de revenir en arrière. On intègre ou invente peu à peu un nouvel usage commun en évolution constante mais dépendant étroitement de l’évolution du droit, variable selon les époques et les pays. De nombreux ouvrages de référence ont été publiés sur ces questions, nous nous y référons pour y élargir nos connaissances tout en concentrant notre énergie sur notre expérience du « commun » au sein du GFC et dans notre approche de la forêt. Nous essayons d’y développer à notre tour de nouveaux modes d’entraide et de solidarité.

Et le massif des Monts de Blond est-il un commun ?

Les Monts de Blond sont souvent nommés dans les dépliants touristiques « le pays de l’arbre et de l’eau ». L’arbre et l’eau y sont en effet en interdépendance dans un équilibre fragile. Mille sources circulent dans le sous-sol de ce dernier point haut que constituent les Monts de Blond, dernier versant vers la Vienne, jusqu’à la Loire, puis l’Océan.
L’arbre par ses racines retient le sol et ralentit l’érosion, préservant ainsi la présence et la qualité de l’eau, notre bien commun. L’arbre par la photosynthèse et les échanges gazeux agit en permanence sur la qualité de l’air, notre bien commun également, filtre la lumière, offre son ombre en rempart à un surensoleillement qui assècherait les sols, assure son rôle de régulateur thermique et hydrique.
On considère moins le sol, la terre, comme notre bien commun, ils le sont pourtant au sens le plus large de notre présence ici et maintenant en tant que « vivants ». Une terre que nous partageons avec les autres vivants. La forêt des Monts de Blond constitue encore une réserve de biodiversité par sa flore, sa faune, chaque essence d’arbre représentant un habitat privilégié pour une espèce particulière d’oiseaux ou d’insectes, d’où la nécessité d’une variété d’essences d’arbres et d’âges. N’en est-il pas de même pour les humains ? Les Monts de Blond sont aussi désignés comme « site inscrit », qu’en est-il de la protection de ses sentiers, de ses murets, de ses sites mégalithiques qui perdraient toute leur magie si l’écrin qui les abrite est soudainement dévasté ?

La gestion vertueuse que mènent certains propriétaires de forêt devrait être encouragée et soutenue par les pouvoirs publics comme cela se pratique déjà en Allemagne ou en Irlande.
Une forêt vivante et bien accompagnée est une des réponses possibles au changement climatique et à l’extinction possible de certaines espèces, un espace-ressource à préserver, à développer, à transmettre aux générations futures. Ce qui nous est commun se mesure aussi à l’échelle du temps, nous l’avons reçu du passé, nous le partageons déjà avec ceux qui nous succèderont.
Notre existence se déroule dans une polyphonie de lignes temporelles qui nous échappent. Le temps de la nature est plus lent que notre temps d’humain. Entre une sanctuarisation de la forêt et son exploitation débridée, il y a une alternative : un équilibre entre la gestion de sa valeur écologique et sa valeur économique.
Scientifiques, économistes, acteurs politiques, citoyens animent le débat, à chacun de se positionner en conscience et responsabilité ! Les citoyens regroupés au sein du GFC des Monts de Blond y réfléchissent ensemble, mutualisent leurs connaissances et compétences, tout en se reliant ou se référant à des organismes spécialistes et acteurs de la forêt à l’échelle nationale et européenne. Il nous faudra poser un nouveau regard sur la forêt, l’écouter autrement dans toutes ses variations, du chant de l’oiseau au bruissement du vent dans les feuilles, l’arpenter dans une relation sensible. Le GFC pose son action au coeur d’une préoccupation planétaire qui nous concerne tous et toutes. La forêt congolaise, la forêt amazonienne sont aussi notre bien commun !


P.-S.

GFC des Monts de Blond : 06 41 45 84 52 / gfcmontsdeblond@riseup.net