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La situation confine... à l’expiation !

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Nous entrons dans la quatrième semaine de confinement en France. Mais peut-être pourrions-nous revenir sur l’historique de cette situation.

Après l’apparition du Covid-19 en Chine (un virus qui aurait franchi la barrière des espèces, il faut dire que l’être humain laisse de moins en moins de place aux animaux sauvages), la Chine décide de prendre des mesures radicales, confiner complètement les habitants de deux régions de son territoire. Les autres pays du monde l’observent avec un mélange d’horreur et d’admiration : la Chine est un pays totalitaire, c’est pourquoi elle peut imposer de telles mesures, que nous nous refuserions à utiliser (même s’il y a sans aucun doute chez certains un vrai regret à ce sujet), mais il faut dire qu’ainsi elle nous protège.

La France propose de rapatrier ses ressortissants séjournant en Chine. Elle fait tout bien comme il faut. On les accueille, on les isole… l’État se rengorge, tout baigne.
Mais à la suite d’un rassemblement religieux à Mulhouse, quelque deux mille personnes s’égayent aux quatre coins de la France, certaines porteuses du fameux virus. Puis deux cas sont avérés dans l’Oise et on n’arrive pas à remonter à l’origine.

Dès lors, la situation échappe à tout contrôle

A partir de ce moment-là, on pourrait penser qu’une campagne de dépistage systématique va être mise en place, afin d’identifier les malades et de les isoler des bien-portants. Mais il semblerait que ça n’a pas été fait à cause d’un manque de masques pour protéger les préleveurs, puis ce problème réglé, d’un manque de milieu de transport (éprouvettes spécifiques), puis ce nouveau problème réglé, d’une pénurie de tests disponibles.
Après avoir fermé les bars, les restaurants, les salles de spectacle le 14 mars à minuit, tout en maintenant le premier tour des élections municipales le 15 mars, le gouvernement décide que les écoles seront fermées le lundi 16 mars en prétextant que les enfants ont la fâcheuse habitude de se toucher, de s’échanger leurs vêtements, voire même (c’était comme ça du moins quand j’étais petite) leur chewing-gums mâchés ! C’est sans doute cette première décision qui entraîne l’État dans un piège abscons [1]. Car fermer les écoles, ça signifie empêcher les parents d’aller travailler (eh oui, l’école ça sert d’abord à ça !).
Ainsi tous les parents d’enfants de moins de seize ans qui ne pourront pas télétravailler auront l’autorisation de se mettre en congé maladie. Toutefois, l’absence de ces parents sur leur lieu de travail va créer des effets boule de neige. Certaines entreprises vont devoir fermer ou au moins limiter leur activité. Donc certain⋅es de leurs salarié⋅es vont se retrouver au chômage partiel. Qu’à cela ne tienne, l’État s’engage à verser à ces salarié⋅es 84 % de leur salaire.

L’hiver a été maussade, pas froid, mais on a manqué de soleil. Alors, malgré les préconisations des autorités à ne pas se rassembler, à « respecter les gestes-barrière », la population se rue dans les espaces verts pour profiter du premier soleil de printemps. Des citadins, sentant venir le pire, saisissent l’occasion pour rejoindre leur résidence secondaire. Mais les autochtones ne voient pas toujours d’un très bon œil ces gens, qui sont peut-être porteurs du virus, envahir leurs plages ou leur campagne alors qu’ils ont participé à la mort de leur village en y achetant des maisons ouvertes seulement quelques jours par an.

Et c’est sans doute le moment charnière de la période que nous vivons : l’État fulmine : « C’est pas les vacances ! »

Parce que ce qui est insupportable au pouvoir, c’est que les gens ne semblent pas se rendre compte de la merde dans laquelle il est ! Il vient de s’apercevoir qu’il n’a aucun moyen de faire face à une pandémie, qu’il n’a pas de masques de protection en quantité suffisante, qu’il n’a pas assez de réactifs, pas assez de médicaments, en bref, pas assez de tout, et pendant ce temps-là...ils profitent du soleil !
Et puis il y a ceux qui ont des enfants qui peuvent être en congé maladie, ceux qui sont en chômage partiel qui vont toucher 84 % de leur salaire pendant que d’autres sont obligé⋅es de se confronter au danger, comme les ouvriers des chantiers navals de Saint-Nazaire qui doivent continuer à aller travailler s’ils n’ont pas d’enfants, les employé⋅es d’Amazon qui voit son chiffre d’affaires exploser... Sans compter tout⋅es celles ou ceux dont le travail est indispensable, et en première ligne tout⋅es les soignant⋅es qui vont être particulièrement sollicité⋅es.

Et il se trouve que le pouvoir n’est pas très à l’aise vis-à-vis des soignant⋅es : Hier encore ils criaient qu’on tuait l’hôpital public, qu’on supprimait des lits, qu’on les pressurait jusqu’à la moelle... en vain, et maintenant on a vraiment besoin d’eux. Alors si pendant le même temps d’autres batifolent dans la nature... au frais de l’État ! Il est vrai que le fait que certain⋅es profitent du printemps alors que la grande majorité des autres se crèvent à la tâche n’est pas quelque chose de nouveau, mais d’habitude ça ne saute pas aux yeux comme ça !

Il faut de toute urgence éviter le scandale que risque de provoquer une telle situation. C’est ainsi que le pouvoir décide que, le virus étant potentiellement chez chacun⋅e des autres, il est plus que prudent de rester chez soi pour « se protéger et protéger ses proches » et, si on doit absolument sortir, d’éviter de s’approcher trop près de ses semblables, d’ailleurs tous les rassemblements sont interdits.

Ce qu’aucun pouvoir ne peut tolérer, c’est la désobéissance

Mais décidément les gens sont incorrigibles. Ils ont trop l’habitude du virus de la grippe qui tue silencieusement environ dix mille personnes en France par an, alors qu’eux-mêmes ne sont jamais tombés malades.

Or, ce qu’aucun pouvoir ne peut tolérer, c’est la désobéissance (on pourrait même dire que c’est le seul véritable délit), et ce d’autant plus quand il patauge complètement et qu’il navigue à vue. Mais le pouvoir n’est rien s’il n’a pas suffisamment de gens d’arme pour faire appliquer ses décisions. Cent mille personnes ne peuvent contrôler une population de soixante-sept millions d’habitants, sauf si tout le monde reste chez soi. Ça devient simple alors de contrôler les quelques personnes qui sont dehors.

La Chine a ouvert la voie, d’ailleurs voyez comme ils ont réussi ! L’Italie, après avoir dans un premier temps refusé ce remède de cheval, panique et finit par l’appliquer. C’est bien la preuve que le confinement est l’unique solution ! On peut penser que cette idée n’aurait jamais osé prendre corps auparavant dans nos pays « démocratiques », mais l’exemple est trop séduisant, parce qu’il évite d’aller chercher trop loin une autre solution, que de toute façon on manque cruellement de moyens pour faire autre chose et que... quand même c’est vraiment tentant ! [2]

Il sera donc dorénavant interdit de sortir de chez soi, sauf cas de force majeure. (Certains de ceux qui ont un petit pouvoir voient là l’occasion d’en abuser : interdire aux gens de sortir au-delà de dix mètres de chez eux, interdire la vente d’alcool…). La population entière est placée en résidence surveillée. Le prétexte de la contamination possible voire probable à chaque sortie est martelé, l’angoisse ainsi créée permet de l’intégrer afin qu’il ne soit plus nécessaire de le mettre en avant. Chacun doit y mettre du sien, pour vaincre l’ennemi. L’interdiction s’est en quelque sorte autonomisée, elle n’a plus besoin d’avoir de justification, sa seule existence est suffisante. L’esprit frondeur devient même intrinsèquement, pour certains, porteur de germes !

Dans quel état vont se retrouver tous ces gens confinés

En attendant, on a oublié les préconisations du ministère de la Santé : « Bougez ! » On nous a pourtant assez averti⋅es des méfaits de la sédentarité. On ne se préoccupe pas pour le moment de l’état dans lequel vont se retrouver tous ces gens qui n’auront pas fait assez d’exercice, qui se seront rattrapés sur les aliments « récompense », qui auront déprimé parce qu’ils n’auront pas pu rencontrer des personnes qui leur sont chères mais qui n’habitent pas avec eux, qui auront pris en grippe ceux ou celles avec qui ils sont confinés, qui n’auront pas eu le droit d’accompagner jusqu’au bout un⋅e proche contaminé⋅e... Pour le moment, nous sommes en guerre et, comme dans toute guerre, le soldat ne réfléchit pas, il obéit.
L’État, ne pouvant pas admettre ouvertement qu’il est le grand responsable de cette situation, ne peut se permettre que sa population ne la prenne pas au sérieux. S’il est dans l’embarras, ce n’est pas parce qu’il n’a pas été capable de gérer la situation, c’est qu’elle était ingérable, s’il prend des mesures drastiques, c’est la situation qui l’impose, et plus les mesures sont sévères plus elles sont la preuve que la situation est difficile. Ce n’est donc évidemment pas le moment de songer à son plaisir, et même toute idée de plaisir devient quasiment sacrilège. Sortir pour aller travailler, d’accord, mais certainement pas pour flâner ! Peu importe l’affront fait à la logique en posant des interdits totalement irrationnels, le pouvoir n’a pas besoin d’avoir raison, puisqu’il a la force.

Et voilà qu’il réalise qu’il a le pouvoir de contrôler la totalité de l’espace public ! Ça fait rêver, d’autant que la sortie de crise va être délicate à gérer. Jusqu’ici la population a joué le jeu du bon petit soldat, le danger de la pandémie n’est pas encore complètement écarté dans les têtes, avec son seul antidote possible, le confinement. Mais ne va-t-elle pas refuser d’entrer dans les prochaines « batailles » qu’on va tenter de lui suggérer ? Car elle en a encore les moyens. Déjà le confinement n’est plus autant respecté partout. Le pouvoir réagit, comme à Nice, par des mesures encore plus contraignantes mais elles ne peuvent fonctionner que si elles sont respectées par une majorité de la population.

La Suède et les Pays Bas, les deux seuls pays d’Europe à avoir choisi une voie différente en refusant le confinement et en misant sur l’immunité de groupe, un pari osé, doivent faire face aux très nombreuses critiques des autres pays. Tout nouveau décès est monté en épingle, la pression est forte pour qu’ils rentrent dans le rang. Ils ont déjà dû prendre quelques mesures d’interdiction. Mais, bien qu’il ne soit pas très facile de trouver des informations impartiales, il semblerait que leurs résultats ne soient pas moins bons que ceux des pays qui ont choisi le confinement et qu’à terme, si cela se confirme, ils sortiront beaucoup plus rapidement de la crise que les autres pays.

Alors qu’il ne fait aucun doute que les autres États tenteront de réutiliser ce précédent à la première occasion, la situation des Pays-Bas et de la Suède devra être examinée scrupuleusement, car elle contiendra, si elle s’avère aussi, voire plus efficace, un argument incontournable qui nous permettra de refuser une telle situation ultérieurement.

En attendant, l’État, après avoir importé de Chine des millions de masques de protection, se préoccupe dorénavant d’en faire fabriquer abondamment en France. Il y a fort à parier qu’il va bientôt crouler sous tout ce matériel. Après l’obligation d’avoir un gilet jaune dans sa voiture puis l’interdiction d’en porter un, allons-nous connaître le passage de l’interdiction de se masquer le visage à l’obligation de le faire ?
Jeanne Charles



Notes

[1« Le piège abscons procède de cette tendance qu’ont les gens à persévérer dans un cours d’action, même quand celui-ci devient déraisonnablement coûteux ou ne permet plus d’atteindre les objectifs fixés » Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois Presses universitaires de Grenoble 2002.

[2Le confinement sans précédent de plus de la moitié de la population mondiale ressort sans doute du fait que, dans une situation inédite, on a tendance à imiter le voisin. Ça rassure et on hésite à prendre une autre décision qui serait peut-être moins efficace et puis, plus un remède est difficile à avaler, plus efficace il est, tout le monde sait cela ! D’autant que tout État a sans doute toujours rêvé d’un tel pouvoir.