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Marche des sans-papiers : on y est !

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Samedi 17 octobre, 6 h 45, il fait nuit et un peu frisquet. Des silhouettes sortent sous le préau du 4 bis, avenue de la Révolution pour monter dans les véhicules qui vont les amener au parking des Casseaux. Là, le bus « Pouss-Pouss » conduira toutes les personnes qui se sont inscrites pour se rendre à Paris, place de la République, d’où partira le cortège, à 14 heures, de la manifestation nationale de la marche des sans-papiers.

Quarante personnes, dont une vingtaine de migrants venant de Limoges et de Felletin, s’installent dans le bus pour finir leur nuit en attendant l’arrivée à Paris.
Merci à celles et ceux qui ont contribué au financement de ce bus, coordonné par le collectif Chabatz d’entrar, signataire de l’appel, et ainsi permis de grossir les rangs de ce cortège, point d’orgue de toutes les marches, qui ont eu lieu de différentes villes (Marseille, Montpellier, Grenoble, Lyon, Rennes, Lille et Strasbourg) et dont la première est partie le 19 septembre.

Sortir de Limoges, c’est pas compliqué (pas de bouchons). Le trajet, nickel, la circulation étant fluide. Moins dans le sens inverse, les Parisiens profitant de ces premières vacances scolaires depuis la rentrée pour respirer l’air de la campagne et fuir le couvre-feu.
Couvre-feu, un terme, qui en ce 17 octobre fait écho au massacre d’Algériens (entre 150 et 200 personnes) commis lors d’une manifestation pacifique, le 17 octobre 1961, par des policiers français, couverts par leur préfet de police, le sinistre Papon [1].

Arriver sur Paris, c’est un peu plus coriace. À cause de la circulation et d’un arrêt, imprévu, par les gendarmes. « Vous allez où ? » Répondre « à une manifestation » est louche, donc nous avons eu le droit à la vérification des papiers de la compagnie Pouss-Pouss, demande de la liste des passagers, etc. Même si c’est pas l’envie qui manque, difficile de leur dire « allez vous faire foutre ». On ne s’est pas tapé plus de quatre heures de route pour être bloqué sur un péage, mais il serait intéressant de creuser la question sur la possibilité de refuser ou, du moins, ont-ils le droit de prendre en photo les documents ?
Bref, nous repartons, nous arrivons pas très loin du lieu de départ de la manifestation.

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L’arrivée à Paris

Image bizarre de voir tous les Parisiens masqués. Nous remontons l’avenue de la République et entendons des sons bien connus de tout rassemblement quand nous arrivons sur la place de la République.
Nous déployons nos banderoles et sommes bien contents d’être là et de manifester pour imposer enfin la régularisation de touTes les sans-papiers, la fermeture des centres de rétention et le logement pour touTEs.

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Les ami-e-s de Felletin fignolent leur pancarte place de La République

Marche des sans-papiers : nous voulons marcher vers l’Élysée

Initialement, l’arrivée de cette manifestation du 17 octobre était l’Élysée, puisque symboliquement l’ensemble des marcheurs s’adressent à Macron par une lettre ouverte (lire la pièce jointe). La seule réponse du pouvoir, par l’intermédiaire du préfet de police de Paris, est l’interdiction de marcher jusqu’à « proximité » de la présidence de la République (voir l’article de La Bogue du 16 octobre). Il est alors demandé que l’arrivée se fasse place de la Concorde. Là encore refus. A ce sujet lire communiqué du 16 octobre de la Coordination nationale de la Marche dans la pièce jointe. Du coup, impossible de passer à Châtelet en souvenir, toujours, des corps d’Algériens balancés, par la police, dans la Seine le 17 octobre 1961.
C’est place d’Estienne-d’Orves (métro Trinité), dans le 9e arrondissement, soit une distance de 4 km, que la tête du cortège a dû s’arrêter.
Cette fin de parcours imposée, à des milliers de manifestants (environ 15 000), par le gouvernement et le silence de Macron à la lettre qui lui a été adressée démontrent bien la volonté politique impitoyable face aux sans-papiers. Nous glissons de plus en plus vers un État fasciste dont les premiers de cordée sont les immigrés, réfugiés et les pauvres sans aucune distinction.
Pas encore totalement convaincu ? Voici un exemple très frappant sur la question du racisme : invité par la Mission d’information de l’Assemblée nationale « sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter », le Gisti a été auditionné le 24 septembre dernier, après un certain nombre d’autres associations et d’expert.es. Les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’audition de Danièle Lochak, qui représentait le Gisti, devant les quelques rares membres présent.es de cette mission, ont amené le Gisti, à saisir l’ensemble des parlementaires membres de cette mission, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, pour leur faire part de leur stupéfaction face à la partialité et l’agressivité du président de la mission, M. Robin Reda, et aux erreurs grossières qu’il a proférées, dénaturant l’audition qu’il a utilisée comme une tribune pour afficher ses positions partisanes. Ici pour visionner la vidéo.

Quoi qu’il en soit, la manifestation suit donc ce trajet, imposant déjà aux flics de ne pas rester nassés place de La République, où pratiquement toutes les rues sont barricadées par d’imposantes barrières de police.
Un cortège massif se forme, dense, survolté, surtout devant où les manifestants sont au contact avec les gendarmes qui leur font face et qui reculent pas à pas, donnant leur rythme de la marche ouverte par des dizaines de voitures de flics et gendarmes.
Nous remontons le boulevard Magenta, puis redescendons par la rue de Maubeuge, les gendarmes sont aussi sur les côtés de la manif, interdisant toute échappée sauvage. Le service d’ordre des organisateurs a bien du mal à canaliser l’énergie débordante de la foule mais chacun sait que, tactiquement, ce n’est pas le moment de chercher l’affrontement. Des percussions, de la danse, des fanfares accompagnent la foule, tous les collectifs de France sont là et ont rivalisé d’invention pour peaufiner leurs banderoles.


Tout se passe bien jusqu’à l’arrivée à Trinité vers 17 h 30 où nombreuses prises de parole ont lieu. Où tout le monde a envie de traîner pour savourer cette victoire sur les tentatives de sabotage de la manif par le gouvernement.
Les gendarmes bloquent la plupart des rues et commencent à resserrer la foule de près. Nous décidons de rejoindre par des voies détournées le bus qui nous attend près du métro Pyramide avant que nous ne puissions plus bouger et de ne pouvoir rentrer sans encombre sur Limoges.

Cet Acte 3, qui a été très suivi, s’achève sans heurts et tant mieux, mais au retour, dans le bus, comment ne pas s’empêcher de penser aux paroles de Raoul Peck, réalisateur qui vit en France. Dans son livre J’étouffe, écrit suite au meurtre par un policier, de George Floyd, aux États-Unis, les dernières lignes se terminent par : « J’ai pensé qu’un autre monde était possible, sans qu’on ait à mettre le feu partout. Maintenant, je ne suis plus sûr du tout. »




P.-S.

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Notes

[1La Fédération de France du FLN avait organisé une manifestation pacifique pour protester contre le décret du 5 octobre pris par le préfet de police, Maurice Papon, interdisant aux Algériens de sortir après 20 heures. C’était un couvre-feu qui ne disait pas son nom. Comme la majorité des Algériens vivaient en banlieue, dans les bidonvilles de Nanterre et de Gennevilliers, les assauts de la police se sont essentiellement produits sur les ponts de Neuilly et de Clichy avec des tirs à balles réelles de leur part sur la foule. Dans Paris, il y eut également des heurts violents place de l’Étoile et sur les grands boulevards. 11 500 Algériens furent arrêtés et parqués dans des centres de tri, à Vincennes et au Palais des sports. Mais c’est sur le nombre de morts que la discussion fut la plus vive, le bilan officiel faisant alors état de deux décès, alors que d’après les différents travaux menés on peut estimer qu’entre 150 et 200 Algériens furent tués. Beaucoup de corps sont retrouvés dans la Seine. Pendant plusieurs décennies, la mémoire de cet épisode majeur de la guerre d’Algérie sera occultée. Georges Azenstarck, décédé le 2 septembre 2020, est un des rares journalistes à avoir couvert les ratonnades en octobre 1961 à Paris, lors de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Il relate ce massacre dans une vidéo https://www.franceculture.fr/histoi...