« Heureusement que les gens se méfient de l’engagement », avez-vous déclaré. Comment une revue comme la nôtre doit-elle le prendre ?
Ce n’est pas une provocation de ma part. Nombre d’amis et de camarades passent leur temps à regretter le « désengagement » et la méfiance actuelle des gens à l’endroit de tout projet politique. Il ne faut pas en rester là. Tout n’est pas négatif : les peuples font une expérience de pensée — il n’y a pas que les intellectuels. Cette expérience est liée à des expériences, des échecs et des désirs. Le XXe siècle fut une période au cours de laquelle les promesses des engagements et les projets de radicalité et de changement ont, pour la plupart, produit le contraire de ce qu’ils voulaient. Les gens se sont sentis trahis : ce fut une déception immense. Qui aurait pu croire que tout cela conduirait à l’horreur du Goulag, à des massacres ? Voilà pour le courant révolutionnaire. Il y eut aussi le courant social-démocrate, et ce n’est pas mieux : il en est venu à gérer le néolibéralisme. Cette méfiance relève d’une positivité : « Attention, attention ! » Il en va de même à l’endroit de la médecine virile et conquérante du siècle dernier : le toubib qui savait où était la santé et le bien de son patient et prescrivait des antibiotiques à tour de bras et opérait à droite et à gauche… C’est une méfiance qui nous importe pour un renouveau de l’engagement. Il faut se dire que tous ces hommes et ces femmes ne sont pas morts pour rien ; il faut « capitaliser » ce qui n’a pas marché. Donc analyser, pour avancer dans ce désir d’émancipation et de justice sociale.
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