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L’école inclusive, un slogan ou une bombe à retardement ?

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La loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances (sic), la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » a imposé aux établissements scolaires d’accueillir tous les élèves en situation de handicap. Il s’agissait alors, à première vue, de sortir d’une logique de ségrégation (ces élèves étant auparavant pris en charge par des établissements spécialisés) pour rentrer dans une logique d’inclusion.
Plus de vingt ans plus tard, le constat est édifiant : l’école publique accueille effectivement ces élèves, mais la prise en charge est assurée par du personnel trop peu nombreux, souvent non titulaire et en situation de précarité (c’est notamment le cas des AESH - accompagnants des élèves en situation de handicap) et non formé dans ce domaine (qu’il s’agisse des mêmes AESH ou des enseignants).

En outre, l’accueil de ces élèves dans des classes aux effectifs de plus en plus chargés (fréquemment une petite trentaine d’élèves) ne permet pas d’envisager un enseignement dans de bonnes conditions, loin de là. D’autant que les AESH, dont la mission est d’apporter une aide individualisée à chacun des élèves concernés, sont souvent en sous-effectif.
Les remontées du terrain indiquent que de nombreuses classes de collège accueillent désormais plusieurs élèves (jusqu’à six ou sept parfois) relevant d’un dispositif ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire), chacun d’entre eux ayant besoin d’une aide spécifique qui nécessiterait la présence de plusieurs AESH dans la classe ; mais, bien souvent et dans le meilleur des cas, un.e seul.e AESH a été affecté.e pour l’ensemble des élèves de la classe relevant de ce dispositif.
Les cas se multiplient et se diversifient également au niveau de l’école élémentaire, alourdissant considérablement la charge de travail des enseignants, trop souvent secondés par des AESH non formés et généralement démunis.
Le cas de l’école maternelle n’est pas sans poser problème : alors même qu’elle est devenue obligatoire, les moyens spécifiques sont le plus souvent restés inexistants, les diagnostics concernant les enfants à profils particuliers n’ayant la plupart du temps pas encore été effectués.
Notons au passage que la mise en place des PIAL (pôles inclusifs d’accompagnements localisés) pour la gestion des AESH conduit partout à dégrader leurs conditions de travail déjà très précaires, leurs affectations et leurs missions étant de plus en plus fragmentées, le tout pour un salaire indigne.

École en souffrance, jeunesse insécurisée

Malgré la meilleure volonté des adultes présents sur le terrain, l’aide apportée aux élèves est donc bien éloignée de leurs besoins initiaux, ce qui génère de l’insécurité et contribue à déstabiliser l’ambiance de travail pour l’ensemble de la classe. De fil en aiguille, les conditions d’apprentissages sont donc dégradées pour l’ensemble des élèves et la qualité de l’enseignement dispensé par l’école publique se détériore peu à peu, ce dont témoigne partout le personnel éducatif. Au point de se demander si l’inclusion de quelques élèves en difficultés peut et doit se faire au détriment de l’ensemble des autres enfants. Notons au passage que les conditions de travail des enseignants s’en trouvent également largement dégradées.

Un premier niveau d’analyse conduit donc à constater que l’idée d’école inclusive, faute de moyens suffisants, est un échec. Un second niveau permet de penser que cet échec était programmé : l’ensemble des syndicats s’était inquiété dès 2005 du peu de moyens que les pouvoirs publics prévoyaient d’associer à cette réforme qui a permis de faire des économies de grande échelle (l’accueil des élèves en situation de handicap dans ces conditions étant bien moins coûteux que lorsqu’ils étaient accueillis dans des établissements spécialisés et pris en charge par du personnel médico-éducatif titulaire et formé).
La situation est malheureusement bien pire.

Néo-libéralisme et esclavagisme moderne

Il faut en effet replacer ce projet d’école inclusive dans son contexte, celui d’une dégradation progressive volontaire et réfléchie de l’école publique. Pilotée par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), cette dégradation est aujourd’hui observable dans l’ensemble des pays qui en sont membres, en Europe notamment.
Là encore, plusieurs niveaux d’analyses permettent de comprendre le processus à l’œuvre. Le premier, qui n’est plus un secret pour personne, conduit à constater que la classe dirigeante a désormais pour projet de marchandiser l’éducation, le secteur s’annonçant particulièrement lucratif. Signé en 1999, l’Accord général sur le commerce des services prévoit, comme son nom l’indique, que la fonction publique dans son ensemble est désormais dans la ligne de mire de l’agenda néolibéral. Privés des moyens de fonctionner correctement, l’hôpital et l’école sont désormais en première ligne.
Un second niveau d’analyse est pourtant indispensable afin de bien comprendre la situation : dans un contexte où le marché du travail est désormais organisé pour être divisé en deux parties, c’est désormais l’école privée, réservée aux enfants des familles les plus fortunées, qui est en charge de former la classe dirigeante et les futurs managers, tandis que l’école publique prépare les classes populaires à simplement pouvoir exécuter les tâches via un niveau minimal de polyvalence. Inutile donc d’en améliorer la qualité, bien au contraire : les familles les plus récalcitrantes qui en auront les moyens inscriront leurs enfants dans le privé : on observe ainsi, dans l’ensemble des académies et dans celle de Limoges en particulier, un transfert effectif des inscriptions du public vers le privé d’environ trois pour cent supplémentaires chaque année.

Se mobiliser pour l’école, une urgence absolue !

Loin de ses belles intentions affichées, le projet d’école inclusive porté par la loi de 2005 est donc pour l’école publique un ultime piège. Secouée voire traumatisée par les multiples crises (sociales, écologiques, sanitaires, politiques, énergétiques...) qu’affronte actuellement notre société, la jeunesse a actuellement, et plus que jamais, besoin d’une école accueillante et sécurisante au sein de laquelle l’enseignement dispensé pourrait permettre à chaque élève de se projeter dans un monde périlleux où tout est à refaire. La pénurie de moyens qui lui sont accordés engendre tout le contraire : alors qu’il est avéré que les différents confinements et les multiples protocoles sanitaires ont eu de dramatiques conséquences sur l’état psychologique des enfants, et alors que ce constat aurait dû engendrer une mobilisation exceptionnelle de moyens pour y remédier, notre jeunesse populaire est actuellement entassée dans des établissements scolaires qui fonctionnent mal, ce qui engendre chez elle, globalement, un sentiment d’insécurité grandissant.

S’il est évident que l’école publique se doit d’être inclusive pour tous les enfants, il est tout aussi évident que des moyens doivent être déployés à la hauteur de cette ambition, à commencer par du personnel en nombre et formé, qui puisse accompagner ces élèves dans leur scolarité, au sein de classes dont les effectifs devront être réduits afin de favoriser au maximum de bonnes conditions d’apprentissage et d’enseignement. La maxime progressiste « changer l’école pour changer la société » semble aujourd’hui bien loin derrière nous mais invite à cette double question alors en suspens : quels adultes deviendront ces enfants ? Pour quelle société ?



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