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Meurtre de Nahel : ne tombons pas dans l’ignominie du débat

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Il ne me sera jamais acceptable qu’une partie du peuple auquel j’appartiens et de la société dans laquelle je vis soit continuellement reniée dans ses fonctions citoyennes et dans son humanité. Je n’entendrai jamais que la France dans ses institutions les plus séculaires continue de cracher sa détestation des corps colonisés puis, désormais, immigrés ou racisés. Pauvres toujours.

Je voulais écrire sur ce qu’il se passe actuellement en France suite au meurtre de Nahel par la police. Quand j’ai appris la mort de ce jeune à Nanterre, j’ai reçu l’information sans trop d’émotions puis, rapidement, la colère et la tristesse ont pris leur place. Très fort. J’ai voulu, moi aussi, me lever, je me suis rendue au rassemblement du soir autour de la dissolution des Soulèvements de la Terre, parce que j’avais prévu d’y aller certes, mais surtout parce qu’il me semblait impératif de réagir, d’être là et rendre hommage à Nahel et Allousshein [1] dans le même temps. Bref, je voulais absolument montrer mon soutien par une présence physique, je voulais un mouvement collectif de révolte et de soutien parmi nos mouvements de gauche des centres-villes. J’en suis évidemment mitigée, d’autant plus mitigée qu’il me semble que ces jeunes n’ont pas eu droit à leur moment : quelques pensées au lendemain du meurtre de Nahel, et le rassemblement d’un groupe timide en nombre quelques jours ensuite.

Alors au-delà de mon positionnement personnel, comme tout le monde, j’observe surtout les révoltes, qu’elles aient lieu à Limoges ou ailleurs. M’appuyant sur mes observations que j’essaye d’aiguiser par une attention aux paroles de celleux qui savent mieux que moi, j’ai compris que la révolte telle qu’elle se tient dans les quartiers périphériques des villes ne sera jamais mon mode d’action. Il est vrai que l’on y observe des dégradations matérielles dans lesquelles je ne m’engagerai pas activement dans mon militantisme. Pas entièrement du moins. Pour autant, comme à d’autres reprises sur d’autres formes de violences matérielles à gauche, ma position se maintient et se renforce : je ne porterai aucun jugement sur des moyens d’action, aussi différents fussent-ils des miens, en réaction aux inégalités, aux injustices, à la misère économique, au racisme mortifère. Je ne peux tolérer le parallèle indécent entre biens matériels et meurtre. Ne tombons pas dans ce débat qui occulte le vrai sujet. Dans un Space twitter, une intervenante faisait très justement remarquer qu’incendier des écoles ou des services publics (de ceux encore présents dans les quartiers) n’était pas l’expression de « pillages » ou « destructions » massifs et aveuglés. Je crois qu’il nous revient de considérer ce moment pour ce qu’il est : l’expression politique de populations isolées et en danger.

À ce titre, arrêtons-nous sur les quelques cas d’écoles incendiées, rabâchés par des médias en quête de clivages. Il est utile de rappeler que l’école est le premier lieu de reproduction des inégalités sociales et raciales. Il faut se rappeler que l’école fait mal avant de sauver qui que ce soit, elle est discriminante. Se souvenir que les programmes scolaires occultent des pans entiers de l’histoire peu reluisante de la France. L’école est située. Ne jamais oublier que l’école n’est qu’un vivier qui favorise l’exclusion de milliers d’enfants dont les trajectoires n’y sont ni racontées, ni comprises, ni entendues. Comment, dans ce contexte, pourrait-on décemment demander à des populations en colère parce qu’en danger permanent d’épargner des lieux d’une « république » qui ne les considère pas ? Est-il utile qu’en France on parle d’ « immigrés de troisième/quatrième génération » ? Cette appellation n’est-elle pas le symptôme de ce rejet, de cette absence de considération ?

Je tenais à l’écrire parce qu’on ne peut pas ignorer ce moment dans le prolongement des précédents. Il ne me sera jamais acceptable qu’une partie du peuple auquel j’appartiens et de la société dans laquelle je vis soit continuellement reniée dans ses fonctions citoyennes et dans son humanité. Je n’entendrai jamais que la France dans ses institutions les plus séculaires continue de cracher sa détestation des corps colonisés puis, désormais, immigrés ou racisés. Pauvres toujours. Je ne m’en satisferai jamais. Partant de là, je n’exprimerai jamais ma désapprobation des actions violentes qui se déroulent en soulèvement. Il est aussi vrai que l’histoire nous montre que l’action civile violente mène à des victoires sociales, autrement dit à des avancées – quoi qu’en disent les commentateurs du moment.

Face à ça, face à l’acharnement du gouvernement à contrer toute forme d’opposition et réprimer celles qu’ils craignent au plus fort : un bloc social est indispensable. Nous ne pouvons tolérer collectivement le débat crasse qui se joue actuellement en France.



Notes

[1Ce jeune Guinéen de 19 ans a été abattu par un policier dans les même circonstances que Nahel le 14 juin 2023 mais sans témoin ni vidéo.

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