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Les syndicats de policiers n’ont pas leur place dans nos cortèges

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Mise à jour : 06/07/2018
Le procès des trois copines s’est déroulé le 5 juillet. Le délibéré sera le 17 septembre 2018 :

La proc’ a requis 4 mois avec sursis et 70h de TIG, 6 mois avec sursis et 105h de TIG, 6 mois avec sursis et 70h de TIG, plus un stage de citoyenneté et une obligation de travailler pour toutes. Les parties civiles demandent 5000€ de préjudice moral pour l’entrave, 1€ pour préjudice matériel, et 500€ pour préjudice moral pour le vol.

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Vous pouvez suivre l’affaire sur Expansive.info (site d’information de Rennes et ses alentours) et les aider sur Cagnotte en ligne

A Limoges, le syndicat policier Alliance, officiellement de droite et souvent décrié comme proche de l’extrême droite, est présent dans les manifestations intersyndicales. Une aberration quand on voit le rôle de la police dans la répression des mouvements sociaux comme dans les quartiers populaires. Pourtant ni l’intersyndicale ni un mouvement spontané des manifestants ne semble s’y être opposé. Il faut quand même préciser que ceux-ci sont généralement peu nombreux - 5 manifestants et 10 drapeaux - et inconnus. Le peu de réaction face à la police dans nos cortèges peut également s’expliquer par des manifestations peu offensives à Limoges et ne faisant donc pas les frais de la répression qui peut s’exercer ailleurs, à Beaubreuil, sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes ou dans des manifestations d’autres villes. Ne nous y trompons pas ce n’est pas parce que la police est plus gentille ici, c’est parce qu’elle n’a pas besoin de la répression pour garder un mouvement social pacifié et sans rapport de force.

A Rennes, le 22 mai dernier, une dizaine de flics d’Alliance, non contents de seulement défiler là-bas aussi, ont refusé de respecter l’ordre du défilé syndical pour se placer avec leur camionnette devant les facteurs grévistes dont ils avaient dispersé manu militari les rassemblements pendant les semaines précédentes. Outre la provocation, ils sabotaient ainsi leur collecte de solidarité en la masquant. Un communiqué de Sud-Solidaires revient sur cet événement : les manifestants de plusieurs syndicats représentatifs ont donc demandé aux membres d’Alliance de se positionner à la queue du cortège. Ceux-ci ont refusé d’obtempérer, devenant agressifs et menaçant les manifestants avec la hampe de leurs drapeaux et une banderole, avant de se faire repousser jusqu’à une rue où une compagnie départementale d’intervention de la police nationale en tenue est venue les récupérer. Le communiqué ajoute que le syndicat Alliance « s’est illustré à Rennes en manifestant au côté du Front National le 17 janvier 2017 son soutien aux policiers soupçonnés d’avoir tiré au LDB 40 et d’avoir éborgné un étudiant rennais le 28 avril 2016 ».

Suite à cet évènement, trois personnes ont été interpellées au petit matin du 30 mai puis placées en garde à vue jusqu’à jeudi midi. Elles sont convoquées au tribunal le 5 juillet 2018 pour, selon la police, avoir entravé la liberté de manifester et pour outrage envers des personnes dépositaires de l’autorité publique. La continuité entre les flics manifestants ou non semble claire.

Cet événement est donc l’occasion pour expansive.info de revenir sur la présence d’Alliance police dans nos cortèges.

Pourquoi Alliance n’a pas sa place dans nos cortèges

Si les policiers font partie de la fonction publique, peuvent être syndiqués (et même parfois, comme nous l’avons vu à l’automne 2016, participer masqués à des manifestations sauvages...), ces éléments ne nous semblent pas suffisants pour justifier leur présence dans une manifestation intersyndicale. En effet, il ne nous semble pas possible d’amalgamer dans une même lutte de « défense du service publique » ceux qui vont, d’une part, faire grève pour défendre une université ouverte à tous, désobéir pour protéger des personnes sans papiers, bloquer un centre de tri pour s’opposer aux restructurations au sein de la poste et ceux qui, d’autre part, ont par exemple pour fonction de rafler les réfugiés, de ficher les militants, de débloquer les universités, les dépôts pétroliers ou les bureaux de poste avec flash-balls, matraques et gazeuses.

En lisant leurs tracts, en étudiant leurs slogans, nous remarquons évidemment que quand les membres d’Alliance manifestent, ils ne le font pas pour s’opposer aux ordres qui leur sont donnés, pour dénoncer l’armement croissant de la police, la répression des mouvements sociaux ou les contrôles au faciès mais, au contraire, pour dénoncer le « laxisme » de la Justice envers les « délinquants » et, alors qu’une quinzaine de personnes désarmées sont abattues par la police chaque année, pour demander à être mieux armés et à bénéficier d’une « présomption de légitime défense » quoi qu’ils fassent. Lors des manifestations de l’automne 2016, le slogan qui revenait le plus souvent entre deux Marseillaises était « la racaille en prison ». Quelques mois auparavant, en plein état d’urgence, lors du mouvement contre la loi Travail et alors que plusieurs manifestants furent éborgnés par des tirs de grenades et de flash-balls, Alliance s’était borné à dénoncer la « haine anti-flics » supposément présente au sein du mouvement social.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans une période de restructuration du capitalisme, d’augmentation des inégalités, de montée du racisme et de recul des droits des salariés, la police est le seul corps de métier dont les syndicats ont obtenu de nombreuses avancées : loi renseignement, inscription des pratiques de l’état d’urgence dans le droit commun, élargissement du cadre de la « légitime défense », armement de certaines polices municipales, etc.

Pour cela, il y a une cohérence entre le fait de participer aux luttes existantes et le fait de s’opposer aux policiers qui, comme le font régulièrement les représentants d’Alliance, demandent plus de moyen pour les réprimer. Rappelons que, comme le mentionnait la Charte d’Amiens (texte de référence pour l’ensemble du syndicalisme en France), la lutte est « une révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales », visant à « l’accroissement du mieux-être des travailleurs et à l’ émancipation intégrale ». Ce mieux-être et cette émancipation sont évidemment incompatibles avec les tirs de flash-balls et de grenades lacrymogènes sur les cortèges, avec le renforcement des contrôles aux frontières et de la mise sous surveillance des quartiers populaires. Dans la mesure où ces pratiques sont défendues par Alliance, les personnes qui ont expulsé ses membres de la manifestation ont eu raison de le faire.

Et les autres syndicats de flics ?

Dijoncter.info poursuit la réflexion en ouvrant sur les autres syndicats policiers.

Les manifestation de la fonction publique peuvent également être infiltrés par d’autres syndicats policiers : Unité SGP Police FO, UNSA Police, mais aussi VIGI, syndicat de policiers rattaché à la CGT, et donc réputé et autoproclamé « progressiste ». Des membres du VIGI ont été présents dans les cortèges de Limoges mais ne semblent pas s’afficher autant qu’Alliance. Tant mieux puisque ce syndicat défend également des idées rances. Par exemple, le 1er mai 2017, après des émeutes durant la fête du Travail, le VIGI nous expliquait que « cette journée devrait être une réjouissance publique pour commémorer toutes les luttes ayant permis l’amélioration des conditions de travail. Normalement à une fête on peut venir en famille pour s’amuser et partager sa bonne humeur, sans craindre d’être blessé ou mutilé. Les policiers, qui sont également des travailleurs et ne peuvent chômer ce jour férié pour la sécurité de tous, devraient être remerciés pour leur engagement. Pour commencer, les mots d’ordre des manifestations syndicales n’étaient pas de venir faire la fête mais des slogans politiques. » Le 1er mai dont ils nous parlent ressemble plus à la commémoration du travail de Pétain qu’à la journée de lutte et d’action en mémoire des évènements de Haymarket qu’elle est.

Le VIGI s’était également fendu d’un appel à prendre la tête de la manifestation du 12 septembre 2017 afin d’intervenir par tous les moyens dont ils disposent pour interpeller celles et ceux qui « commettraient des infractions ». Un comité d’action lycéen à Paris avait, en octobre 2017, écrit un texte pour rappeler ce qu’il en était de ce syndicat censé être le plus progressiste dans la police :

Qu’est-ce que le VIGI ? Il s’agit du nouveau nom, depuis juin dernier, de la CGT Police. Un syndicat qui prétend rassembler les policier-es « de gauche » (ou presque), mais qui n’a pas hésité, par exemple, à appeler à se rassembler le 18 mai 2016 sur la place de la République contre la « haine antiflics », aux côtés de grandes figures de la droite dure et de la droite extrême (Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard notamment). Un syndicat dont certains communiqués avaient également été largement repris par les sites d’extrême droite « Égalité et Réconciliation » (site d’Alain Soral) et « Quenel + » (site de Dieudonné). Un syndicat, plus récemment, qui relaye sur son compte Twitter le vulgaire youtuber d’extrême droite « Raptor Dissident » (proche d’Alain Soral). Nous nous contenterons de ces quelques exemples, qui permettent de cerner un peu plus ce syndicat si « progressiste ».

Les présentations étant faites, reprenons leur communiqué, dans lequel le VIGI pose deux objectifs rigoureusement contradictoires avec l’esprit même de l’ensemble des manifestations depuis le printemps 2016. Premièrement, la défense de leurs collègues en service. Fidèle au corporatisme qui règne dans une institution policière que certain-es comparent, pour cette raison, à une véritable mafia, le VIGI n’hésitera pas à briser un mouvement social au nom de l’esprit de corps. La CGT Police, à son époque, avait déjà fermement condamné certaines affiches d’autres syndicats affiliés à la CGT parce que ceux-ci avaient simplement osé dénoncer le déferlement de violence policière lors des manifestations contre la loi travail. Le VIGI n’est pas un syndicat de transformation sociale, ni même de réforme sociale, mais un instrument au service d’une corporation qu’il s’agit, pour ses membres, de défendre coûte que coûte.

Deuxième objectif, la défense des manifestant-es contre « les délinquants et les criminels infiltrés ». Complètement dépassé par les rencontres, les discussions et les débats qui ont pu avoir lieu au sein des structures militantes, le VIGI est resté coincé quelques années en arrière, distinguant les « bons » des « mauvais » manifestant-es. Distinction dont on sait aujourd’hui qu’elle est caduque et qu’elle n’est qu’une stratégie du pouvoir politique pour briser toute contestation sociale. Le syndicat policier, usant sciemment de ces catégories morales du « gentil » et du « méchant », se place de facto dans le camp du pouvoir, pas dans le nôtre.

Pour finir, c’est sans doute là le plus comique, nos nouveaux « camarades » autoproclamés ne font aucune mention des violences et des crimes policiers de ces dernières années, que cela soit lors du mouvement contre la loi Travail, ou des crimes policiers qui ont pu toucher Adama, Théo, Liu Shaoyo, Curtis et bien d’autres. En 2016, la police frappait, gazait et mutilait les manifestant-es ; aujourd’hui elle prétend les défendre. Cette blague a assez duré : le VIGI n’est pas le bienvenu. Et il le sait. En appelant à infiltrer le cortège lycéen « quitte à se faire massacrer » (comme il le dit lui-même), le VIGI assume qu’il viendra en hostilité, et non pour manifester – en plus de feindre une posture de victime (comme si des lycéen-nes avaient la capacité de « massacrer » des policier-es).

[...] Parce qu’ils sont le garants d’un ordre social qui court à sa perte, aucun flic n’est le bienvenu dans nos cortèges ou dans nos manifestations : leur présence ne réjouit personne. Que les flics infiltrent nos cortèges, ils seront immédiatement repoussés : c’est cela, défendre une manifestation.

Comité d’action inter-lycéen

Au-delà des flics dans les manifestations cela pose concrètement la question des flics dans les syndicats. Sous le prétexte qu’ils sont salariés, des sections police existent dans la plupart des grands syndicats. Phillipe Martinez, secrétaire général de la CGT, déclarait même « nous critiquons régulièrement ceux qui donnent les ordres (et contre-ordres) mais ne rendons pas responsables ceux qui les exécutent. [...] Nos slogans portent sur les salaires, l’emploi, la protection sociale... et ne sont jamais dirigés contre d’autres travailleurs. » [1] Pourtant, les policiers ne sont pas des travailleurs comme les autres, ce sont les garants de l’ordre social et la protection de l’Etat et du patronat. Un syndicalisme de lutte ne peut faire l’impasse sur cet antagonisme.



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