Pendant deux siècles, la gauche a pensé le dépassement du capitalisme par la propriété collective des moyens de production. Devant l’échec patent de cet horizon, ne devrait-on pas remettre en cause la notion même de propriété dans le domaine de la production ? S’appuyant sur l’étude d’expériences historiques, cet essai prospectif se concentre sur les innovations sociales et économiques actuelles propres à accélérer la disparition totale de la propriété productive. Il débouche sur une économie des communs au service d’une finalité sociale et écologique.
Cet essai propose de penser un au-delà à la propriété. Pas seulement de la propriété privée/capitaliste, mais aussi de la propriété collective. Il montre que, jusqu’ici, deux grandes formes de propriété collective ont été expérimentées : la coopérative et l’étatisation des moyens de production. Dans la première, le capital, même second, tend à reprendre le dessus en cas de succès de l’entreprise. Dans la seconde, elle induit une concentration du pouvoir excluant ceux au nom de qui elle a été réalisée. Ces échecs sont inhérents à la notion même de propriété : excluante et centralisatrice par nature. Même collective, une propriété reste un instrument d’oppression.
Cette démonstration repose sur une enquête portant sur le mouvement coopératif, les diverses approches de la propriété collective au XIXe siècle, l’étatisation soviétique, la socialisation espagnole de 1936 et la tentative de correction autogestionnaire des communistes yougoslaves. Le XXe siècle, de son côté, a été porteur d’innovations qui permettent d’envisager la disparition de la notion de propriété productive : les cotisations sociales, car elles contestent le régime de la propriété par l’imposition de règles de distribution des revenus ; le financement des actifs des entreprises par endettement, car il ouvre la voie à la disparition des fonds propres.
Le prolongement de ces innovations permet de relativiser la notion même de propriété et d’envisager que travailleurs et usagers d’une unité de production pourraient avoir sur elle un droit de codirection par le simple fait d’y travailler ou d’utiliser ses services et produits. L’unité productive pourrait ainsi devenir un commun, d’autres communs assurant des tâches de financement des actifs, de mutualisation des investissements, de redistribution et de péréquation des revenus. C’est l’articulation de ces différents communs qui pourrait permettre la disparition totale de la propriété productive.
Benoît Borrits, chercheur militant et animateur de l’association Autogestion (www.autogestion.asso.fr), est l’auteur de Coopératives contre capitalisme (Syllepse, 2015) et de Travailler autrement : les coopératives (Éditions du Détour, 2017). Ce livre prolonge sa réflexion sur les coopératives en pointant leurs limites inhérentes à la notion de propriété et en la généralisant aux autres formes de propriété collective.
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