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Paroles de suspendu-e-s

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Paroles de deux bibliothécaires suspendu-e-s recueillies par un lecteur adhérent à la médiathèque et faisant partie du comité de lecteurs pour le libre accès à la médiathèque sans passe sanitaire.

Mise à jour : ces témoignages on été collectés avant les dernières annonces du gouvernement et notamment celle ramenant la validité du test à 24 heures au lieu de 72 heures, ce qui change beaucoup de choses pour les personnes qui travaillent et qui refusent la vaccination.

Rappel : une journée nationale de mobilisation des établissement culturels et de loisir contre le passe sanitaire aura lieu le mercredi 1er décembre. A Limoges ce sera devant la médiathèque de 16 heures à 18 heures : tracts, affiches, prises de paroles, bibliothèque nomade, musique... Plus d’informations sur le site de SUD-Collectivités territoriales.

Un lecteur : Quel parcours vous a amené jusqu’à cette suspension ?

Yves* : Cela a commencé par les manifestations contre le passe sanitaire des samedis. On y a participé les jours où on ne travaillait pas, un samedi sur deux. J’étais à la base contre le passe sanitaire, vécu comme une obligation, une contrainte à me faire vacciner alors qu’en novembre 2020, je crois, M. Macron a bien dit que le vaccin ne serait pas obligatoire. Si on te laisse le choix entre deux possibilités et que ce choix se voit contraint dans un sens, c’est qu’en fait tu n’as pas le choix. On ne contraint pas un choix. Je n’avais pas de peur panique de la vaccination mais il m’a paru fort intéressant d’explorer le champ de cette prétendue liberté vaccinale, dès lors je me suis opposé au passe sanitaire. Et tout d’un coup, cet été, on annonce que le passe sanitaire va devenir obligatoire dans les bibliothèques le 30 août, ce qui a été une surprise alors que les mesures de distanciation et de jauge qui avaient déjà été prises fonctionnaient. A Limoges il est d’abord devenu obligatoire au centre-ville et pas dans les annexes qui appliquaient les jauges, puis ce fut obligatoire dans les annexes aussi. Je me suis retrouvé en rentrant des vacances à devoir contrôler les gens alors que j’étais opposé au passe sanitaire. Je trouve complètement anormal d’empêcher des usagers d’entrer à la bibliothèque et on s’est aperçu que beaucoup de gens ne venaient plus, surtout dans notre quartier, pour des raisons sociales, culturelles. Des ados non plus quand l’obligation est passée dès douze ans. La bibliothèque s’est fermée pour eux. Face à la baisse générale du niveau de lecture, surtout dans les milieux défavorisés, la bibliothèque est là pour remédier à ça.

Camille* : Il y a aussi des lecteurs, vaccinés, qui refusent de venir à cause du passe sanitaire. Il y a depuis le contrôle une sacrée baisse de fréquentation, c’est clairement une mesure d’exclusion.

Yves : Alors j’ai dit à mon chef de service que je refusais de contrôler les passes sanitaires. Quand tu adoptes ce genre de position tu te trouves en décalage par rapport à tes collègues, qui le font, soit de manière automatique, sans se poser de question, soit ils ne sont pas pour mais il le font parce que, comme me l’a dit ma hiérarchie, « il faut être solidaires », « tous ensemble ». Oui je veux bien être tous « ensemble » mais pas pour faire le flicaillon. On m’a même parlé de « maturité » ; de ne pas faire l’enfant, quoi. On infantilise et on joue avec le sentiment de culpabilité.

Camille : On a aussi essayé de me culpabiliser en me disant que mes collègues allaient faire mon travail.

Un lecteur : C’est le même argument quand tu fais grève.

Camille : J’étais évidemment contre le passe sanitaire qui est une ingérence dans notre vie, un contrôle sur ce qu’on est, sur notre identité. Et qui je suis, moi, pour autoriser ou pas une personne à entrer dans la médiathèque ? On a par ailleurs vu, tout au début de la mise en place du passe, dans un reportage de FR3 Limoges, un usager qui a refusé de présenter le passe sanitaire se faire sortir de la médiathèque par quatre policiers municipaux appelés par la direction.

Dans notre bibliothèque du réseau on fonctionnait avec des jauges, pas plus de cinquante personnes. Je me disais que ce n’étais pas possible que les collègues acceptent ça. Et une dizaine de jours après, ça nous tombe dessus, il nous faut aussi contrôler. Et là, pareil, j’ai dit « non ». Que c’était très grave, que là on nous demandait de contrôler le passe, demain on nous demandera de faire autre chose, quel sens ça avait ? Ce n’est pas dans notre mission et même, au-delà de ça, c’est une question de principe, ce n’était pas possible d’accepter. Je partais en vacances à ce moment-là et en revenant j’apprends que mon collègue Yves refuse aussi. Et là j’ai été très très contente, très soulagée qu’il y ait une autre personne. Je pensais vraiment qu’il y aurait eu plus de refus. On nous a donc menacé de sanctions avec courrier on attend toujours la suite.

Yves : C’est à partir de ce moment-là que j’ai aussi reçu, suite au rapport hiérarchique, un courrier du maire m’annonçant que des mesures disciplinaires « étaient à venir » suite à mon refus d’obéissance.


Camille :
Dans le même temps je refusais de me faire vacciner mais tout en acceptant de faire des tests, qui étaient gratuits, pour aller travailler. Puis les tests deviennent payants et j’ai refusé de payer pour travailler. Convoquée par la DRH, j’ai demandé que la mairie prenne en charge le test. La DRH a répondu que c’est le gouvernement qui a demandé aux employeurs de ne pas rembourser les tests pour leurs employés.

Yves : Quand les tests sont devenus payant j’ai aussi refusé. Au début ça a été très carré, on nous a d’abord proposé de poser des congés ; ce que j’ai fait. Ce qui est rigolo était de nous dire « ça vous donne un temps de réflexion »

Camille : Oui, on m ’a aussi dit : « je te laisse réfléchir pendant une semaine », j’avais évidemment la même position une semaine après. La deuxième semaine je n’ai plus posé de vacances. J’ai alors été suspendue. J’ai ensuite été convoquée à la mairie pour être informée de ce que j’encourais. Précision, la suspension n’est pas une sanction disciplinaire, mais une suspension du contrat de travail, sans salaire, avec perte des cotisations, des parts de prime, etc., tout en continuant à faire partie du personnel. Il n’y a pas de date butoir car je peux revenir quand je veux avec un passe sanitaire valide.


Un lecteur : Comment ça se vit au quotidien ?

Yves : Au début je ne voulais même pas payer un euro pour avoir le sésame qui me permet de travailler. Mais là ça va faire un mois et demi qu’on n’est plus payés, ça commence à être dur. C’est pour ça que les autotests sont importants. Ils sont moins chers et moins intrusifs. On étouffe la contestation, comme on étouffe les informations sur la possibilité de s’autotester, ce qui revient moitié prix par rapport au test antigénique.

Et là tu vois ce sont tous les tests que j’ai faits, du 1er septembre au 15 octobre.

Un lecteur : (Yves me montre le paquet impressionnant de tests qu’il a faits alors, il les a tous gardés.)

Yves : Tant que c’était gratuit je me suis fait tester tous les trois jours pour aller travailler. Ça permet d’agir, nous opposer au passe sanitaire de l’intérieur...


Camille :
notre position était d’aller au moins jusqu’au bout d’une décision, d’avoir agi, de marquer le coup. Si, à un moment, on est obligés de reprendre le travail, il restera le refus de contrôler et les sanctions disciplinaires à venir. Le fait qu’il y ait les rassemblements du mercredi devant la BFM avec les lecteurs et la pétition qui circule doit quand même les gêner [1] Surtout qu’il y a maintenant une troisième personne, vaccinée, qui a le passe, qui refuse de contrôler, notamment après la mesure visant les adolescents à partir de douze ans. Car, en fait, ce n’est pas facile à vivre. Contrairement à ce que je pensais au début, je ne vis pas bien cette exclusion, cette interdiction. Un jour j’ai été chercher des documents réservés, je suis restée à la porte de mon lieu de travail, et ce n’est pas rien, par rapport aux collègues, ce que ça fait, je n’ai pas l’esprit dégagé, c’est un poids et j’appréhende le retour. C’est pour ça que les rassemblements avec les lecteurs sont importants. On se sent moins seuls.

Yves : Moi aussi, si on revient le même jour ce sera moins dur. Ce qui me navre est de voir à quel point les gens ne réagissent pas. Et cette affaire est mise en balance avec les gros problèmes financiers, de restrictions budgétaires. Peut-être que ça fera bouger les autres quand il y aura encore plus de restrictions de personnel. Les départs à la retraite ne sont pas remplacés. A partir de quand les gens vont se mobiliser pour ça. Le mouvement contre le passe sanitaire est un mouvement social qui peut se raccrocher à d’autres sujets de mécontentement, je suis dans la contestation plus globale contre l’autoritarisme.

Camille : C’est très important de ne pas entrer en conflit avec les collègues, ne pas faire le jeu de ce que le pouvoir voudrait, une guerre civile entre les gens, de diviser, nous dresser les uns contre les autres. Il y a des choses difficiles à entendre mais le problème est ailleurs. J’ai discuté avec une lectrice et je lui ai demandé si elle savait pourquoi on était là ; elle était d’accord avec le passe sanitaire, mais on a pu dialoguer sur le refus de contrôler ce passe. On a pu éviter le piège de la focalisation sur la vaccination qui reste un choix personnel.

Un lecteur : C’est ce qui m’a frappé quand on a été faire signer la pétition devant la bibliothèque de Beaubreuil. Les gens étaient très réceptifs à la possibilité de discuter, pour ou contre, vaccinés ou non.

Camille : Mon inquiétude personnelle m’a amenée à repenser aux soignants, qui eux n’ont pas eu le choix, ont eu le couteau sous la gorge, et pour qui ces exclusions ont dû être d’une violence incroyable. Ils ont bossé comme des forcenés, on les applaudissait et maintenant on les met à la poubelle. J’ai repensé également aux personnes qui ont bossé longtemps dans une boîte et qui, après un plan de licenciement, se retrouvent exclus de la boîte, à la porte.

Yves : Oui, tu n’es pas tranquille. Je suis très bien à la maison, je fais mes trucs comme je les ai jamais faits, ça préfigure ce que sera ma retraite. Mais il y a un dynamisme que tu perds quand tu ne travailles pas, tu perds le contact social. Je ne suis pas quelqu’un de très sociable mais la bibliothèque m’a beaucoup apporté, l’échange, le contact social et ça tu le perds aussi. Je n’ai pas envie de perdre ce fil. Ce qui m’est apparu important dans ce mouvement de lutte ce sont les lecteurs, on est là pour les lecteurs, pas pour faire un job peinard, et là avec le passe sanitaire on n’œuvre pas pour les lecteurs. Notre action est une action altruiste. Je ne suis pas sûr d’être aussi sage que toi, Camille, si on me reparle de « solidarité », « tu ne pense qu’à toi », non...

Camille : Moi je leur dirai « tu te trompes de cible ».

Yves : Oui, leur dire que s’ils étaient dans la galère parce qu’on n’était pas là c’est qu’il manque du personnel, le robinet est fermé, il a été décidé en haut lieu qu’on ne recrutait plus.

Camille : Il faut se positionner.

Yves : Est-ce qu’on va se mobiliser pour ça ? Mais il y a la peur de perdre de l’argent, de se faire mal voir s de sa hiérarchie.

Lecteur : Pour la BNF [2], la BPI [3], les chercheurs, il n’y a pas besoin de passe sanitaire. Quelqu’un peut arriver à la bibliothèque en disant qu’il fait une recherche, on ne lui demandera pas son passe sanitaire, s’il revient deux heures après pour chercher un livre, on va le lui réclamer

Camille : Oui, et il y a donc des bibliothèques qui considèrent les 12-18 ans comme chercheurs et qui ne les contrôlent pas, c’est une forme de résistance. En France il y a beaucoup de bibliothèques qui bougent et on en entend jamais parler [4].

Yves : Incohérences sanitaires.

Camille : D’où l’importance de la désobéissance civile, si une majorité s’y oppose, que veux-tu qu’ils fassent. Et en attendant il faut bien que quelqu’un commence.

* Les prénoms on été changés.


P.-S.

Voir aussi le « sondage choc » de l’Association des bibliothécaires de France et aussi l’article dans Lundimatin au sujet de la lutte contre le passe sanitaire à Trieste avec les dockers en pointe.


Notes

[1La pétition en ligne circule toujours aussi bien sur papier que sur Internet.

[2Bibliothèque François-Mitterrand, Paris.

[3Bibliothèque du Centre-Pompidou, Paris.

[4Voir plus d’informations sur le site Bibliothèques pour tous sans pass dont sont tirées la plupart des illustrations.

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