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Souffrance au travail ? Bienvenue à l’Education Nationale.

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La rentrée scolaire n’est plus que dans quelques jours ! De nouveaux professeurs des écoles stagiaires en alternance (PESA) vont faire leurs premiers pas dans l’enseignement. Vous avez dit « Alternance » ? Oui, l’emploi de ce jargon entrepreneurial par l’Éducation nationale en dit long sur l’évolution des objectifs de l’école et du nouveau « management » qui y opère. Les intitulés de ce poste ont évolué d’institutrice/teur [1] à professeur des écoles [2] (1990), stagiaires [3] (2009), en alternance [4] (2013), en arguant que la hausse du niveau d’études exigé est gage de qualité d’enseignement.

Or, il fut un temps où il était possible de devenir instit’ en sortant du bac avec une formation de 3 ans [5] comprenant des temps de formations théoriques et des temps de mise en situation. Ce temps permettait de créer une valise pleine de références pédagogiques, de concertations, d’échanges entre collègues. Sans tomber dans le « c’était mieux avant », aujourd’hui il est clair qu’on peut mieux faire ! Actuellement, un professeur en formation se trouve 2 jours et demi par semaine en classe et 2 jours et demi à l’Ecole supérieure du professorat et de l’enseignement (ESPE) où il est demandé de valider un Master 2 MEEF [6] pendant son année de stage… qui n’est pas un stage en entreprise, rappelons-le ! Être responsable d’une classe pendant 2 jours sans être (in)formé.e au préalable : accrochez vos ceintures, décollage pour une année démotivante ! En plus, il y a une évaluation continue par un.e enseignant.e maître formateur/trice (EMF) et un tuteur/trice de l’ESPE en vue de la titularisation. Censée être un accompagnement qui guide la formation, l’évaluation est surtout source de pressions, de contrôle des pratiques, voire de harcèlement.

A propos de la situation des professeurs stagiaires, SUD Éducation explique dans un communiqué qu’«  on retrouve systématiquement dans leurs témoignages une forte angoisse, un manque de soutien et d’accompagnement et parfois l’envie de démissionner, voire bien plus grave : tous les ingrédients d’une grande souffrance au travail. Sentiments d’être « agressés », « humiliés », « rabaissés »  ». Tous et toutes se retrouvent en plus face à l’isolement professionnel. Mais si les professionnel.les vont mal… comment espérer une école « bienveillante » ? L’organisation syndicale a mené une enquête auprès des PESA de l’année scolaire 2017/2018, leurs témoignages anonymisés sont éloquents. En voici quelques retranscriptions :

 J’ai subi des pressions de la part de mes EMFs. […] En début d’année, tout se passait bien avec mes EMFs jusqu’à la deuxième visite conjointe […] En effet, mes EMFs ont rédigé un rapport avec très peu de points positifs (voire pas du tout) et que des points négatifs. Quelques jours plus tard, l’inspecteur m’a téléphoné pendant mes cours vers 14h00 pour m’informer que j’étais en suivi renforcé et que si « je ne faisais pas mon travail, il saurait faire le sien ». Il m’a également demandé si je comprenais ce que cela signifiait.
J’ai dû reprendre en main ma classe juste après cette conversation ce qui a été très compliqué pour moi. Le soir, j’ai téléphoné à mon EMF pour savoir ce qui se passait. Elle m’a dit que je travaillais mais que « j’étais lente » du moins plus que les autres PESA selon leurs avis. Elle a ajouté qu’elle étais très déçue de moi et que j’étais « une déception ». Elle a enchaîné en disant qu’elle ne me voyait pas professeur des écoles l’an prochain alors que jusqu’en mars, elle ne m’avait jamais fait aucune remarque de ce type ou prévenue sur de graves lacunes. Je ne pense pas que le fait d’être « une déception » puisse être acceptée dans la relation EMF-PESA. En effet, ces propos ont été très violent pour moi.
Mon autre EMF, lors des visites conjointes, peut être très « franc », parfois trop. Bien qu’il soit au courant que je suis en processus renforcé, il ne mentionne que les points négatifs devant moi et sur les rapports ; les points positifs étant pour lui la « normalité » si bien que je suis obligée de lui demander ce qui est bien dans ma pratique enseignante. Par exemple, j’ai repris et corrigé toutes les remarques de mes rapports précédents pour ma dernière visite conjointe. Il n’a écrit qu’une seule phrase dans les points positifs et a beaucoup détaillé les points négatifs. Je me sens énormément sous pression car mes EMFs sont très exigeants malgré le travail que je fournis. Je finis par être épuisée […].
Lors de mes visites, je suis tellement sous pression que je me mets à pleurer. Mes EMFs ne font pas preuve de compassion et semblent plutôt énervés par cette réaction (non volontaire) et me disent qu’ils « ne rentreront pas dans mon jeu ». Lors de cette année je me suis sentie et je me sens encore sous pression, à vif. Je travaille énormément pour des résultats qui ne sont pas validés. Mes maîtres formateurs me rabaissent en me disant que je comprends lentement les choses et que je manque d’efficacité. Ils considèrent que me voir en dehors des cours deux fois dans l’année est suffisant pour me former et ne m’envoient que des mails. Je pense que le suivi de ces derniers n’est pas suffisant et que leur comportement envers nous (pour certains) est déplacé […].

La formation ne remplit pas mes attentes : beaucoup de cours sont des redites au mot et au diaporama près des cours de l’année [de Master 1]. Les autres sont en décalage avec la réalité du terrain. Ensuite, j’ai eu des difficultés avec mes tuteurs, notamment avec mon tuteur ESPE [...] bien qu’il insiste sur le fait qu’il faut faire appel à lui pour avoir des conseils [...]. Ainsi, en début d’année, je lui ai dit qu’une de mes classes cherchait à me faire pleurer. Il m’a répondu : « Eh bien vous ne pleurez pas, et nous verrons cela à ma visite ». Et lors de la visite, il m’a reproché de ne pas tenir ma classe… En parlant des visites, il est très négatif, dit peu/pas les aspects positifs. Je ne prétends pas que mon travail est parfait, mais avoir quelques éléments positifs sur lesquels s’appuyer pour continuer à progresser, c’est motivant. Ensuite, il ne donne pas de conseils. J’ai dû reprendre la construction de mes fiches de préparation (d’ailleurs, je n’ai jamais vu une fiche de préparation [...] au cours de mon Master 1). Lorsque je lui demandais s’il fallait mettre tel ou tel élément, j’ai eu pour réponse : « Non, enfin ... Vous devez trouver la forme qui vous convient ». Je n’ai donc pas eu de conseils concrets pour progresser. Ses exigences sont démesurées par rapport aux autres tuteurs […]. J’ai vécu mon année dans un état de stress, avec la boule au ventre à chaque visite conjointe et visite complémentaire. Je ne suis pas la seule à vivre ce mal-être, d’autres des élèves suivis par le même tuteur vivent la même chose.

Cette année a été particulièrement difficile pour moi. L’entrée dans le métier a été très brutale. En effet, la formation à l’ESPE ne me semble pas suffisante, les informations nous sont souvent données au dernier moment (notamment quant à la quantité de préparations demandées dès la première semaine de septembre) et beaucoup plus théorique que réellement concrète. Concernant le suivi des tuteurs (EMF), je ne me suis pas sentie réellement aidée dans ma formation. En effet, les horaires dédiés au travail avec nos tuteurs se sont faits rares et peu productifs. J’ai demandé plusieurs fois de l’aide en demandant des visites supplémentaires dans des classes dans lesquelles je ne me sentais pas à l’aise (classe difficile, avec 28 élèves en double niveau dont beaucoup suivis par des psychologues scolaires, la classe étant réputée difficile depuis des années et par la titulaire elle même), elles m’ont été refusées, jugeant « que je n’en avais pas besoin ». Je tiens à témoigner également du mal être de nombreux camarades qui se sont sentis abandonnés, livrés à eux mêmes, et lorsqu’il leur était imposé des visites supplémentaires, ne pas recevoir l’aide nécessaire pour pouvoir s’en sortir. De plus, une réelle inégalité est présente entre tous les étudiants. Les EMF ne demandent pas le même travail d’un étudiant à l’autre, n’ont pas les mêmes exigences. De plus, plusieurs de mes camarades ne se sont pas sentis épaulés par leur tuteur. Pire, ils ont senti un acharnement et une réelle injustice. En effet, quand un d’entre nous a commencé à avoir des problèmes, le retour en arrière est très difficile. Nous sommes victimes d’une stigmatisation, et il n’y a pas le droit à un « faux départ ». Je pense qu’il est temps de changer les choses quant à cette formation et à l’accompagnement presque inexistant qu’il en ressort.

Ces trois témoignages ne sont qu’un échantillon des nombreux messages reçu par SUD éducation. Le constat est le suivant : une qualité de formation alléchante sur le papier mais qui, dans la réalité, laisse place à un temps de formation réduit en présentiel et qui tend à devenir une formation à distance, comme l’illustre les échanges entre stagiaire et tuteur qui se font via les mails. Cette mise à distance des relations humaines peut-elle former des enseignants empathiques envers les élèves ?