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Lettre de l’orphelin du monument aux morts de Gentioux

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L’orphelin du monument aux morts de Gentioux nous écrit pour nous donner son avis sur les dégradations qu’il a subies à l’occasion du passage du Tour de France au début du mois de juillet 2023 et de l’indignation qu’elles ont créée dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Note des modérateurices de la Bogue : nous avons reçu plusieurs textes sur le sujet mentionné ici, et nous sommes conscient qu’il a suscité un vif débat localement. Nous estimons que la proposition retransmise ici fait partie de ce débat, et nous pouvons déjà annoncer qu’une autre publication est en cours de modération sur le sujet.

Chers habitant.e.s, chers élu.e.s,

Après cent ans de silence, me voilà obligé de prendre la parole.

Je vous écris aujourd’hui parce que je vous vois vous déchirer, jouer à vous faire la guerre, à mon sujet, et on dirait que je suis le seul à voir l’ironie de la chose.

Je ne suis pas La Joconde, je ne suis pas une église, je ne suis pas une tombe.

Je suis un cri du cœur, un cri politique, je suis là pour marquer la colère sourde de ceux à qui l’absurde a pris un proche. Je suis une promesse aussi, celle de ne plus se taire, plus jamais. Pour ne pas oublier.

Je porte le nom de ceux à qui la guerre a pris la vie, j’honore leur mémoire mais ce n’est qu’une partie de mon histoire. Vous le savez très bien, vous qui venez me saluer, chaque 11 novembre. Je porte un message qui lui n’appartient pas qu’au passé : « Maudite sois la guerre » .

La guerre a pris d’autres formes aujourd’hui, et l’État continue d’envoyer ses enfants à l’échafaud. Mais pour eux, il n’y aura pas de monument, pas de plaque de marbre blanc, pas de stèle de granit avec les noms de Zied, Bouna, Adama, Nahel et tant d’autres.

Alors, si une colère légitime pousse quelques indignés à venir taguer ma pierre, ajouter (en outre, provisoirement) le nom des ces jeunes, tués par des hommes en uniforme, figurez-vous que je le comprends.

J’accepte que cela fasse partie de mon histoire. Je n’y vois ni division, ni discorde.

Je ne vois pas non plus en quoi agir sous le coup de l’émotion amènerait systématiquement à la haine. C’est aussi parce que des hommes ont agi sous le coup de l’émotion que mon monument se tient debout aujourd’hui.

Je ne me sens pas dégradé, au contraire.

Mon combat pour la paix n’est pas terminé, et que ce soit via des cérémonies, des manifestations ou des tags, mon message doit être entendu, encore et encore.

Vous savez, dès ma naissance, ils ont été nombreux à m’avoir couvert d’opprobre, avec les mêmes arguments que vous utilisez aujourd’hui contre ces tagueurs révoltés.

Soi-disant, je salissais la mémoire des morts, manquais de respect pour les familles des victimes, semais les germes de la discorde...

Ce ne sont ni moi à l’époque ni eux aujourd’hui qui semons les germes de la discorde.

Indignez-vous contre les bonnes personnes, ayez honte de l’État, de ceux qui vous gouvernent et vous surveillent, combattez le racisme et le fascisme montant.

A coté de ça, vos chamailleries sont des enfantillages.... Et c’est à moi de vous le dire ?